Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
4,2/5
"la Pensée latérale des technologies désuètes"
La plupart des (très grands) réalisateurs s'intéressent tout autant au fond qu'à la forme de leurs récits. C'est normal de les imaginer se soucier autant des dialogues, que du jeu des comédiens, de la musique, de l'étalonnage... Car après tout, le cinéma est un art qui en combine d'autres : musique, peinture, poésie, photographie...
Mais chez Wes Anderson, cela vire par moments à l'obsession. Son amour pour toutes les différentes formes d'art se répand - malgré ses cadrages millimétrés et symétriques - littéralement sur la pellicule. Au point que l'on ne sait pas vraiment ce que l'on regarde : ses films sont construits d'une manière un peu foutraque, et paradoxalement donnent une étrange impression de rigueur et d'organisation ultra stricte. Ca c'est pour la forme : des plans ayant tendance à nous donner l'impression que seuls les éléments filmés vivent (comme si rien n'était crédible et vivant à l'extérieur des cadres et comme si les ellipses n'en étaient pas réellement), mais versant tour à tour dans le contemplatif, l'illustration, le théâtre, la poésie... On ne comprend jamais réellement le type de film qui nous est montré.
Pour le fond, c'est la même chose : Wes Anderson fait-il des drames ou des comédies ? Fait-il du burlesque ? Fait-il de l'action ?
Et finalement, c'est un peu ça sa marque de fabrique : il mélange les genres et les arts, et les fige dans un cadre.
Certains trouveront cette volonté de vouloir toucher à tout un peu prétentieuse. A dire vrai, on peut être totalement hermétique devant ses films. En cela je le rapprocherais un peu de Baz Luhrmann. Mais on ne peut pas lui reprocher de vouloir créer un style, de vouloir imposer une patte. Attention à ne pas s'autoparodier cependant.
La Vie aquatique est une sorte d'apogée pour son cinéma. Pour son quatrième film, on dirait qu'il atteint déjà les limites de la touche "Anderson". J'ai toujours eu l'impression que ses films suivants (aussi géniaux soient-ils) sont une sorte de parodie de son propre style. Avis totalement subjectif bien entendu - comme toute cette critique - mais l'ombre de Tim Burton n'est pas loin, dans ce qu'il a à répéter inlassablement les mêmes figures depuis pas mal d'années maintenant.
En tous cas, La Vie aquatique marche à fond sur moi.
Déjà parce qu'il y a Bill Murray. Donc on est sûr de voir un bon film.
Mais en plus parce que le background m'interpelle. J'ai fait pas mal d'études en océanographie, ça doit être ça. Je reconnais un peu - un peu, hein ? - la fac à travers les rôles des stagiaires (petite digression, l'un d'eux, celui qui décide de rester à la fin, est un des acteurs de la série "Esprits criminels"), et du fait qu'ils n'aient pas un "A" car la plupart se décident à quitter le navire après l'attaque des pirates (ce passage me fera toujours autant rigoler).
La Vie aquatique se rapproche beaucoup d'un Rushmore, mais avec son héros qui aurait décidé de quitter la bibliothèque pour se lancer dans une aventure. Déjà dans Rushmore, nous pouvions voir Jason Schwartzman plongé dans la lecture d'une histoire de Cousteau. Ici, c'est carrément un simulacre du grand explorateur qu'il nous est donné de voir. Mais Zissou n'est pas sensé être Cousteau, il y fait d'ailleurs directement référence dans le film. Nul doute qu'Anderson doit être un de ses admirateurs, le film lui étant dédié. Mais je me demande à chaque fois si son attrait pour Cousteau n'est pas plus lié à la part de mystère et à l'imagerie un peu datée de ses aventures plutôt qu'au personnage en lui-même. Je l'imagine bien en train de contempler une illustration sous-marine dans un vieux livre, déformant légèrement la réalité et l'agrémentant d'une sorte d'étrangeté mythologique.
Ce réalisateur me semble complètement obsédé par les illustrations, les contes (ce n'est pas pour rien qu'il adaptera du Roald Dahl, par la suite...). J'en veux pour preuve la scène du petit vieux qui demande des autographes sur des couvertures de livres narrant les exploits de Zissou (les anguilles d'Antibes par exemple). Ces dessins participent énormément (si ce n'est plus que ce que peuvent raconter les membres de l'équipe du Belafonte) à croire qu'un jour, Zissou a été un grand explorateur. C'est ce qui explique aussi sa fatigue au moment de les signer : ces miroirs lui renvoient l'image de l'homme qu'il n'est plus. Une petite scène, des plans furtifs sur des dessins, mais qui parlent beaucoup.
Anderson est très malin : pour garder cet aspect désuet, d'illustrations de vieux récits d'aventure, il ne pouvait pas utiliser de technologie ultra-moderne. Représenter la faune aquatique en images de synthèse aurait été perçu comme une faute de goût majeure. Il a donc eu l'intelligence de demander à Henri Sellick d'animer en image par image chacune des créatures (toutes plus délirantes les unes que les autres). La technique a fait ses preuves depuis longtemps (même si elle ne se cantonne plus qu'à des films entièrement animés et non plus à un mélange avec des prises de vue réelles). Un charme désuet, une poésie tournée vers un passé fantasmé.
Car il est énormément question de passé dans ce film. Le passé est un poids pour les personnages. Zissou a été rattrapé par le futur, il ne comprend pas ce qu'il lui arrive. Tout change autour de lui. La mort de son mentor va être un élément déclencheur. Il ne se reconnaît plus et n'a plus de repère. Pour noyer son chagrin, il va alors se trouver un but aussi dangereux qu'inutile : poursuivre une chimère. En l'occurrence, il va pourchasser le requin-jaguar qui a avalé son ami et le tuer. Le but scientifique de cette expédition ? « La vengeance » dit-il. Cette mission lui permettra avant tout de garder la tête hors de l'eau. Mais son équipage n'est pas dupe : tout le monde - sa femme principalement - pense qu'il se lance stupidement dans une quête illusoire.
Arrive alors Ned, le personnage d'Owen Wilson, qui se revendiquera comme son fils. Il agira comme un moteur tout le long du film, poussant Zissou à se dépasser et aller de l'avant (quitte à se mettre en compétition directement avec lui, notamment pour conquérir le coeur de la journaliste). Lorsque Ned aura accompli sa mission, le moteur cassera (littéralement celui de l'hélicoptère). Ned est une sorte d'ange-gardien (il est aviateur d'ailleurs), qui veillera sur Zissou (on le voit surplombant l'équipage à la fin du film). Zissou ne s'en rendra compte qu'à la toute fin (lorsqu'il sera dans le sous-marin, soit au plus bas) mais ce n'est qu'uniquement par amour que ses acolytes ont décidé de l'accompagner, comme pour participer à sa thérapie.
Vu comme ça on pourrait penser que le film n'est pas drôle. Ce n'est bien entendu pas du tout vrai. L'humour est bel et bien présent, particulier, jouant sur les non-dits, sur les poses. Bill Murray qui se fait filmer en haut du bateau de Jeff Goldblum en train de couler par exemple. L'un de mes plus gros fou-rire. "La communauté scientifique" scandé à tout bout de chant pour se permettre tout et surtout n'importe quoi. Jeff Goldblum en scientifique maniéré. Willem Dafoe, bonnet rouge avec ponpon, short, sandales et accent allemand. Les yeux fous de Bill Murray. La scène totalement délirante de l'attaque des pirates et de la riposte sur l'île, avec les membres de l'équipe en tenue de plongée et armés de flingues. Ou encore la subtile référence à un nanard sympathique dans lequel jouait déjà un Jeff Godblum "autre", les Aventures de Buckaroo Banzaï à travers la huitième dimension, avec le générique de fin, qui redonne le sourire.
La Vie aquatique est, comme son titre en VO le sous-entend (The life aquatic with Steve Zissou), un film sur la vie de l'équipage avec Zissou en mer, plutôt que sur la vie de la faune de l'océan. Tout indique que l'on regarde une fiction totalement surréaliste, avec des animaux inventés et des héros de bande dessinée (les personnages sont définis par leur tenue, qu'ils ne changent pas ou peu - comme Wes Anderson en fait, toujours dans un costume). Mais à la fin, lorsque l'on se remémore le cheminement des personnages, peu importe le côté artificiel du film, l'énorme gamme d'émotions qui a traversé le public, elle, est bien réelle.
J'ai plus qu'envie de découvrir son prochain film, puisque Bill Murray est encore dedans. Pourquoi a-t-il raté son train dans le Darjeeling limited ?
Pour le Challenge, je dirais que c'est vraiment ce film que j'aime le plus chez Anderson, mais le reste de sa filmographie est exceptionnelle.
[NDLR] N’hésitez pas à passer chez Cachou pour y lire sa propre vision de ce film unique.
The life aquatic with Steve Zissou
Une comédie dramatique écrite et réalisée par Wes Anderson (2004) distribuée par Buena Vista International avec Owen Wilson, Bill Murray, Cate Blanchett, Anjelica Huston & Jeff Goldblum.
Un DVD Touchstone zone 2 (2008).
2.35:1 ; 16/9 ; VOst ; 113 minutes.
Synopsis : L'océanographe mondialement connu Steve Zissou et son équipe partent pour une ultime expédition dont le but est la traque du mystérieux et insaisissable requin-jaguar. Rejoints par un jeune admirateur de Zissou, une séduisante jouranliste et son extravagante épouse, Steve et son équipe vont devoir affronter nombre de péripéties au cours de leur incroyable périple…