Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Allez, profitons des dernières heures de vacances pour nous acquitter des tâches promises, comme le visionnage de films dans le cadre du Challenge Post-Apocalyptique au cinéma . Au menu du mois d’avril, deux œuvres du duo français Caro & Jeunet traitant du sujet sans ostentation (les deux films se passent « en des temps difficiles » après ce qui a très bien pu être une catastrophe mais sans que rien ne l’explique).
le Bunker de la Dernière rafale
Un court-métrage de Marc Caro & Jean-Pierre Jeunet (1981).
Un DVD Zootrope
1.66 :1
VF stéréo Arkamys ; 26 min
Résumé : à l’intérieur d’un bunker isolé, un groupe de soldats sort de sa routine débilitante lorsqu’une alarme retentit. C’est le branle-bas de combat, qui s’achève par le constat d’une fausse alerte. Tout pourrait rentrer dans l’ordre quand l’un d’eux découvre un compteur dissimulé. Cette trouvaille exacerbe les tensions et aiguise les angoisses…
Une chronique de Vance
Le Bunker de la Dernière rafale permettait d’explorer l’imaginaire de Caro & Jeunet avant de s’attaquer au morceau de choix, Delicatessen. En outre, son script semblait le placer (tout comme le 3e film trouvable dans le très beau coffret, la Cité des enfants perdus) dans une optique similaire : l’exploration d’un milieu clos par nécessité et les interactions dans le groupe de résidents (survivants ?).
Ici, il s’agit d’un bunker. Il se découpe, massif, sur un fond de ciel nocturne parcouru d’éclairs surnaturels. A l’intérieur, un groupe d’hommes en uniforme et au crâne rasé trompe son ennui en attendant la prochaine mission – si elle a lieu. Les tâches routinières succèdent aux occupations plus ou moins ludiques mais personne ne se laisse aller, la tension est permanente, les sourcils froncés, les traits crispés, sur le qui-vive.
Caro et Jeunet, responsables d’à peu près tout (du scénario aux effets sonores et visuels en passant par le montage et le cadrage), signent une œuvre glauque, oppressante, refusant le moindre dialogue : la communication repose sur des signes concrets, des témoins lumineux ou sonores (ces derniers sont essentiels car le film n’est pas muet, au contraire, et se rapproche plutôt de ce que réalisait Jacques Tati avec l’importance conférée aux bruits d’ambiance), autant de stimuli les faisant réagir avec l’efficience attendue de la part de militaires à l’affût d’un rebelle à abattre (la seule mission à laquelle on assistera consistera en la traque d’un tireur isolé). Le choix de ces teintes désaturées, de ces ombres envahissantes, de ces angles inclinés et de ces cadrages serrés faisant ressortir les mimiques, les yeux hagards ou les expressions féroces de ces pseudos-nazis (le design des uniformes ne laisse aucune place au doute) démontre une recherche permanente dans l’élaboration d’un style narratif particulier, même si le côté expérimental de l’ensemble, le découpage abrupt et le jeu outré des interprètes laisse facilement le spectateur en dehors de l’histoire : pas aisé de se passionner pour l’un quelconque de ces individus déshumanisés par des enjeux qui nous échappent. Le mystère lié au compteur qui se met en branle soudain (sorte de lointain ancêtre de ceux de Lost ?) ne parvient pas non plus à focaliser l’attention.
Restent ces parti-pris esthétiques qu’on perçoit déjà dans le Bunker… : le choix d’une époque indéterminée, caractérisée par des objets du quotidien désuets mais fonctionnels, comme une sorte de nostalgie à rebours (particulièrement sensible dans Amélie Poulain avec ce Paris coincé dans une sphère temporelle oscillant entre les années 40 et 80) ; un traitement de l’image évident qui semble étudié pour ôter du réalisme au sujet filmé, allant de pair avec des techniques de montage pointues ; un casting de « gueules » marquantes, immédiatement reconnaissables mais complètement décalées par rapport aux canons traditionnels du cinéma. On le verra, Delicatessen reprendra ces choix en leur apportant la cohérence du long-métrage.
Quant à l’aspect « Post-Apocalyptique », il n’est pas le plus évident à traiter. L’absence de couleurs, la texture du ciel, l’angoisse exsudant par tous les pores des protagonistes permet d’avancer que nous nous trouvons dans une période trouble et que ces soldats sont coupés du monde. Rien ne dit en effet que le message d’alerte qu’ils reçoivent n’est pas enregistré. Quelques détails viennent semer le trouble, mais le contexte est volontairement flou.
Techniquement parlant, le DVD n’est disponible a priori que dans le coffret collector Studio Canal réunissant Delicatessen et la Cité des enfants perdus (la version carton, plus compacte, dispose du même contenu que la boîte métal). Le son est bien rendu, grinçant à souhait et les images, quoique très sombres et granuleuses, sont de bonne facture.
A voir.
Ma note : 2,7/5
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