Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Le choix de visionner les longs-métrages traitant d’Hannibal Lecter dans l’ordre chronologique du personnage était loin d’être anodin : il permettait de déconstruire le processus d’investigation privilégié par les différents enquêteurs, ces profilers qui n’ont parfois d’autres recours que celui de plonger dans la psyché de celui qu’ils traquent. Ainsi, au lieu d’expliquer a posteriori les tendances meurtrières, sanguinaires voire cannibales de ce tueur en série par ailleurs extrêmement cultivé, méthodique et raffiné (l’image d’Anthony Hopkins dans le Silence des Agneaux demeurera indélébile), nous avons tenté d’évaluer comment le cinéma traitait l’évolution du personnage.
Hannibal Lecter : les origines du mal partait avec un handicap majeur : l’ombre portée par le film de Jonathan Demme, véritable référence dans le genre – et, partant, l’extraordinaire charisme d’un Lecter incarné diaboliquement par Hopkins. Cette combinaison gagnante, associée à un script méticuleux, engendrait pour l’éternité un être semi-légendaire suscitant autant de dégoût que d’admiration, de ces figures modernes foulant aux pieds les caractères habituels. Loin d’être un héros, Lecter parvenait à un statut différent de ceux des habituels criminels par son magnétisme, son élégance et certains choix qui parvenaient à tempérer la réaction habituelle de rejet face à ses actes abjects. Il fascinait.
Explorer son enfance, son passé, représentait donc un gros risque : il fallait à tout prix réussir à préserver ce miraculeux équilibre d’amour/haine qu’atteignait le Silence des Agneaux. En outre, il n’était pas sûr que le fait de narrer la genèse d’un monstre ait un impact positif : ses actes peuvent peut-être se comprendre, mais certainement pas être excusés. Le danger de faire basculer le spectateur vers l’un des deux pôles risquait de mettre à mal l’icône démoniaque qu’est Lecter.
Or, la quasi-totalité des crimes que le jeune Hannibal va commettre durant cette période (l’immédiat après-guerre) sera dictée par un besoin irrépressible de vengeance. On en fait donc un être passionné, agissant de manière déraisonnable mais légitime : le traumatisme (d’abord sous-entendu en un vague mais lancinant leitmotiv, puis de manière grossière) qui déclencha sa folie meurtrière devient son excuse. A partir de là, soit on adhère – et on fait de Lecter une sorte d’ange de la mort – soit on y va à reculons, et l’ensemble du film ne fait plus guère illusion.
Vous l’aurez compris : malgré le soin apporté à la photographie, aux images et aux couleurs (ambiances rouges et noires classieuses, décors anxiogènes), le film ne m’a jamais passionné. Ulliel arbore un faciès inquiétant qui intrigue parfois, et déstabilise : le casting est assez réussi, mais sa mise en scène ne le transcende jamais et il campe un Lecter tour à tour énigmatique, violent ou à moitié fou – mais jamais brillant. Très peu d’éléments viennent étayer cette « intelligence supérieure » qu’il est censé posséder (on apprend qu’il est entré à l’Académie de médecine avec un an d’avance). Quant à sa culture, on choisit de le faire recueillir par une tante prodigue (somptueuse Gong Li, à la fois complice amante, bienveillante et maternelle) qui lui fera goûter aux fruits de sa magnifique bibliothèque et à l’essence même sa propre civilisation. Que dire de ce clin d’œil (parmi les nombreux autres) qui transmute le masque de contention d’un Hannibal Lecter dans sa camisole en pièce d’armure de samouraï ? Si stupides que soient les choix, la réalisation tend à les exploiter au maximum, jouant sans aucune subtilité avec les symboles : c’est pesant, peu digeste à l’image du jeu outré de Rhys Ifans.
Donc Lecter est devenu ce qu’il est à cause de ce qu’on a fait à sa famille. Il s’est vengé de ceux qui ont commis des atrocités en en commettant de semblables. Il y a pris goût. Le finale cherche bien à le placer face à ses propres excès, à le faire douter de la légitimité toute relative de ses forfaits – mais le spectateur ne sera jamais dupe de la tournure que prendront les événements.
Sanglant, pervers, parfois nauséeux mais sans classe ni subtilité : le film est à l’image de son personnage principal, déséquilibré, à la dérive et, finalement, pas intéressant.
Ma note (sur 5) : |
2 |
Titre original |
Hannibal rising (uncensored) |
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Mise en scène |
Peter Webber |
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Production |
De Laurentiis, Zephyr Films, Carthago Films |
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Distribué en France par |
Quinta Distribution |
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Date de sortie France |
7 février 2007 |
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Scénario |
Thomas Harris d’après son œuvre |
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Distribution |
Gaspard Ulliel, Gong Li & Rhys Ifans |
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Durée |
125 min (version non censurée) |
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Musique |
Ilan Eshkeri & Shigeru Umebayashi |
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Photographie |
Ben Davis |
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Support |
DVD TF1 zone 2 (2007) |
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Image |
2.35:1 ; 16/9 |
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Son |
VOst DTS 5.1 |
Synopsis : Comment un petit garçon comme les autres est-il devenu l'un des criminels les plus fascinant qui soit ? Au travers du parcours atypique d'un adolescent meurtri par les atrocités vécues pendant la Seconde Guerre Mondiale, suivez la naissance de l'incarnation absolue du mal... Hannibal Lecter.