Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Un film de Peter Jackson (19 décembre 2001, Nouvelle-Zélande) avec Elijah Wood, Ian McKellen, Viggo Mortensen, Liv Tyler, Sean Astin, Sean Bean, Christopher Lee, John Rhys Davies, Orlando Bloom, Hugo Weaving, Dominic Monaghan, Billy Boyd, Cate Blanchett & Ian Holm
Le 19 décembre 2001, l'histoire de Tolkien que tout le monde pensait inadaptable prit vie devant les yeux ébahis des spectateurs du monde entier.
10 ans plus tard, la sensation d'être face à un classique ne s'est pas estompée, bien au contraire même. De nombreux films ont tenté de surfer sur cette incroyable réussite mais aucun ne lui ait arrivé à la taille. Le Seigneur des Anneaux, c'est le film de tous les superlatifs. On a vu juste bien mieux en terme d'effets spéciaux depuis, c'est tout. Mais faut-il rappeler que, de l'aveu des producteurs eux-mêmes, leur film est le plus gros film à petit budget de tous les temps ? C'est justement cette impression de spectacle à l'ancienne, très artisanal, associé au travail de personnes sincères et compétentes, qui fait que la recette fonctionne.
Peter Jackson est un homme passionné par son travail et par son sujet. On ne peut pas mettre 10 ans de sa vie personnelle dans un projet aussi difficile si l'on ne croit pas en ce que l'on entreprend. Il s'est battu pour que son film se fasse, allant jusqu'à écrire lui même le scénario avec l'aide précieuse de sa femme Fran Walsh. La chance a fait que les producteurs lui donnèrent le feu vert pour réaliser trois films. Inutile de revenir sur la genèse de la trilogie, facilement trouvable dans les nombreux bonus des éditions de ces films.
Peter Jackson était surtout connu à l'époque pour ses délires comiques et gores dans des films de série Z cultes (Bad Taste, Braindead, The Feebles) et pour son Heavenly creatures, un film à la beauté et à l'histoire effroyables. Juste avant de se lancer dans le projet de l'adaptation du roman de Tolkien, il s'était vu confier par Robert Zemeckis un budget confortable pour The Frighteners. Mais cette expérience américaine (bien que le film fut tourné en Nouvelle-Zélande) ne l'aida pas à se faire une réputation auprès du public et à concrétiser son King Kong, annulé pour ne pas concurrencer l'autre gros film de monstre devant sortir la même année, Godzilla. Ne baissant pas les bras, il décida de commencer quasiment seul à travailler sur le Seigneur des Anneaux, histoire de pouvoir (d'après ses dires) faire un gros film fantastique rempli de bestioles et autres créatures dont il raffole énormément. Et voilà comment un réalisateur, pas très connu et pas très habitué aux gros budgets, s'est lancé lui-même dans l'aventure et finit par arriver à convaincre les producteurs.
Pour ses précédentes oeuvres, afin de limiter les dépenses et de travailler chez lui, il créa sa propre société d'effets visuels Weta (nom d'un gros insecte de Nouvelle-Zélande) qu'il mit à contribution pour Le Seigneur des Anneaux. Un peu à la manière du héros de son Forgotten Silver, Peter Jackson expérimente. Son grand sens de la débrouillardise ainsi qu'un réel talent de mise en scène lui permettront de retranscrire à l'écran avec un certain savoir-faire les images tout droit issues des livres de Tolkien illustrés par Alan Lee ainsi que John Howe, qu'il invita d'ailleurs sur le tournage afin de devenir de véritables consultants capables de l’aider à recréer en live la Terre du Milieu. L'une des grandes qualités de Peter Jackson est justement de savoir s'entourer par les bonnes personnes. Cela se ressent en premier lieu par le choix des acteurs, nés pour interpréter ces rôles. Mais cela se ressent aussi par le choix de l'ensemble de l'équipe. Les scénaristes (dont Philippa Boyens) ont réussi l'exploit de garder l'esprit du roman tout en en faisant une véritable et bonne adaptation. J'adore les livres mais je trouve que toutes les modifications du scénario sont justifiées et bénéfiques. Il en résulte une trilogie très fidèle à l'univers, mais très rythmée et avec une émotion qui ne fait que légèrement transparaître à la lecture des livres.
La Communauté de l'Anneau devait jouer son rôle de premier film de la trilogie en étant facile à comprendre et captivant pour le public tout en restant respectueux de la complexité du livre de Tolkien. Le prologue narré par Galadriel est un bon exemple du travail colossal d'écriture. Non seulement il est simple, clair et très impressionnant (la séquence de bataille, le plan fabuleux de Gollum), mais il montre que Peter Jackson a eu la volonté de créer un univers vaste et cohérent en citant d'autres écrits de l'auteur. Son histoire est d'abord l'adaptation du livre éponyme, mais également d'une partie de la mythologie de Tolkien. En traitant l'histoire d'une manière rigoureuse, Peter Jackson a évité le ridicule très souvent inhérent aux films d'heroic fantasy. La réalisation n'est pas pour autant froide et distante, à la manière d'un film historique, et Peter Jackson s'est fait plaisir à de nombreuses reprises en incluant par petites touches ses déviances typiques de ses séries Z. Ainsi, les personnages gagnent en sincérité, avec un humour très particulier. Le duo Legolas et Gimli fonctionne bien mieux que ce que l'ont pouvait imaginer grâce à ces petites notes humoristiques qui ponctuent leurs relations. Loin de jouer le clown de l'histoire, Gimli arrive au contraire à exister au sein de la foule de protagonistes. Sans Jackson et ses blagues potaches ("Personne ne lancera un nain !"), il aurait été difficile de s'attacher à un personnage sans caractère discernable. Il en va de même pour tous les membres de la Communauté de l'Anneau. Mieux, il est allé jusqu'à personnaliser un Uruk Hai de Saroumane, Lurtz, afin de créer une véritable menace pour nos héros. En effet, pas facile de représenter l'oeil de Sauron au concept surréaliste et de faire ressentir un danger pour Frodon. De ce fait, le combat final opposant Lurtz à Aragorn restera l'un des plus dynamiques et jouissifs du film.
En combinant la volonté de respecter l'oeuvre originale et l'ajout de sa propre patte artistique, Peter Jackson arrive à entraîner les spectateurs dans un spectacle tout simplement jamais vu jusqu'alors au cinéma. Bien sur, tout le monde ne sera pas convaincu : après tout, il faut accrocher à ces histoires d'Elfes et de Nains, mais si l'on joue le jeu, alors on assiste à l'un des plus beaux moments de cinéma de divertissement. Les visions des mines de la Moria, de la Comté, les immenses décors naturels, les combats impliquants des centaines de milliers d'orques, restent des moments de grâce comme on en a vu trop peu depuis.
Mais l'attachement aux personnages est probablement la plus grande réussite du film. Je reviens sur ce que je disais plus haut : le casting est vraiment extraordinaire. Elijah Wood a sans doute le rôle le plus difficile, Frodon étant un personnage assez complexe à imaginer dans les livres. Mission accomplie pour l'acteur, personnellement je n'arrive plus à me représenter Frodon autrement. Viggo Mortensen obtient enfin avec Aragorn un rôle un peu différent de ses précédents dans lesquels il interprétait souvent des gens antipathiques. Remplaçant Stuart Townsend jugé trop jeune pour être crédible, il apporte une sorte de force toute en retenue à son personnage. Brillants acteurs que sont Ian McKellen et Christopher Lee : leur combat à Orthanc est un de ces moments dans lesquels on commence par sourire ("Ah, les vieux qui se fightent !") pour rester ensuite scotché ("La vache ! Gandalf fait la serpillière devant Saroumane !"). Sean Astin (Mickey dans Les Goonies), apporte sa bonhomie naturelle et tisse un lien presque spirituel avec le fameux classique du film d'aventures dans lequel on reconnaîtra quelques similitudes, notamment sur l'amitié au centre de l'histoire. Il en va de même pour tous les autres acteurs.
La version longue aère le film et se rapproche encore plus de l'essence du livre. De nombreuses références à des chansons font leur apparition (Le Dragon vert, Aragorn qui chante, Sam qui récite une poésie). La Communauté se repose bien plus fréquemment, plusieurs scènes se passant la nuit sont rajoutées. Le voyage s'en trouve plus réaliste. Plusieurs séquences font écho avec les deux autres films : Bilbon (impeccable Holm) assis sur sa chaise et évoquant la vie des Hobbitts renvoie directement à l'un des derniers plans du troisième film, Frodon et Sam observent les Elfes qui vont aux Havres Gris, Boromir parle de la Cité blanche à Aragorn...
La version longue permet aussi au réalisateur quelques petits écarts, comme lorsque Lurtz lèche la dague que vient de lui planter Aragorn. Si la version cinéma est la seule véritable selon Peter Jackson, nul doute qu'il a voulu se faire plaisir et faire plaisir aux spectateurs avec ces 3h48 de montage qui passent sans s'en apercevoir.
Le blu-ray de la version longue sorti tout récemment propose le film dans une version remasterisée pour la toute première fois en 10 ans.
L'image est d'une beauté à couper le souffle et avec le nouvel étalonnage on redécouvre le film. Certaines scènes ont leur colorimétrie totalement modifiée, mais globalement on se rapproche des teintes des deux autres opus. En effet, La Communauté de l'Anneau n'avait pas eu droit à un DI (digital intermediate) contrairement aux deux autres, et n'avait pas été étalonné de la même façon.
Il y a un léger filtre vert sur l'image, qui a soulevé de nombreuses polémiques sur internet. Les blancs tirent vers le vert, contrairement aux versions précédentes. Mais ce n'est en aucun cas un problème (puisque non dû à un défaut comme l’a souligné Warner) et l'image n'a jamais été aussi belle.
Après la déception de la version cinéma en blu-ray, nous retrouvons enfin un côté argentique, sans DNR ni EE (Edge Enhancement). Toutes les scènes n'ont cependant pas la même qualité, certaines sont plus douces que d'autres.
Contrairement à la version longue en DVD, les scènes ajoutées sont magnifiquement bien intégrées aux scènes cinéma.
Le son en DTS HD Master Audio est toujours aussi bon. Je vous renvoie vers mes précédentes critiques.
Au niveau des bonus, il s'agit de l'un des films qui a le mieux bénéficié de l'interactivité des DVD. Si l'on peut râler par l'absence de ceux ci en HD, ils restent tout de même tellement passionnants que ce serait idiot de ne pas en profiter. 3 disques de bonus au total, dont le fameux documentaire interdit à la sortie en 2001 de Costa Botes, qui réalise un film sans distanciation sur les conditions de tournage.
Un plaisir total que de voir et revoir ce classique du cinéma fantastique.