Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Difficile de s'ennuyer dans ce film de Michael Mann, même si le premier quart d'heure est assez déstabilisant avec son rythme placide qui prend le temps d'installer doucement une ambiance lancinante ponctuée d'extraits de standards musicaux, au point qu’on se demande où est l’intérêt pour le réalisateur de nous faire défiler des images de Los Angeles by night en un long diaporama.
Cela dit, plus les minutes passent, plus on se rend compte d'une chose indéniable : la qualité filmique. L’œuvre est conçue avec méticulosité, jouissant de cadrages étonnants de maîtrise, avec un montage d'une précision exemplaire. Certaines séquences clefs sont visuellement époustouflantes et les affrontements, pour brefs et brutaux qu'ils soient (ce qui leur confère un réalisme et une puissance remarquables - typiques chez Man), demeurent lisibles et terriblement mobiles.
Pour le reste, l'interprétation est à la hauteur : Tom Cruise est convaincant dans ce rôle d'un tueur qu'on a du mal à détester - même si la dernière partie du film, après une révélation faite à Max (le moment où il avoue ne pas descendre des crapules mais des témoins à charge), nous montre clairement la voie à suivre. Je le préfère dans l'inquiétude, avec ces regards en coin, la tête constamment en mouvement, vérifiant la présence ou l'absence d'éventuels témoins de ce qu'il s'apprête à dire ou accomplir. Malgré ce que ces attitudes peuvent avoir de répétitif ou systématique, elles démontrent une intensité dans son jeu que Minority Report dévoilait déjà.
Foxx est nettement plus dans la nuance, ballotté par les événements, poussé à agir, malgré lui, malgré des principes pas toujours évidents. On le sent très à l’aise dans ce registre, au point qu’on se rend vite compte qu’il ne se donne pas à fond.
Les dialogues sont percutants, et certaines notes d'humour viennent désamorcer des tensions, ou, en contrepoint, les souligner. C'est que malgré tout on n'est pas devant un film d'une grande originalité, ni dans l'intrigue, ni dans le traitement. Pire, quelques passages relèvent de l'invraisemblance (comment Vincent parvient-il à être hors de la discothèque avant Max alors que ce dernier l'avait quittée avec Fanning bien avant lui et qu'il était pris dans la foule ?). Cependant, pour peu qu'on se soit immergé dans l'action, les différents épisodes se suivent sans déplaisir : on sait où l'on va, on sait qu'on va se laisser surprendre, on sait ce qui risque d'arriver. Malgré tout, on peut être un peu agacé par la minceur du scénario qui ne parvient pas à sous-tendre complètement la succession des événements, et par le rythme très lent de premier tiers.
La fin est convenue ? C'est vrai. Décevante ? Peut-être. Disons que la dernière demi-heure conserve en intensité ce qu'elle a perdu en choc émotionnel, mais tout dépend de la manière dont le spectateur s'installe face à l'écran : quelqu'un qui a envie de tout analyser en temps réel passera à côté du film et ne relèvera qu'incongruités et déjà-vus. A partir du moment où il accepte d'être dupe - comme dans tout film de genre après tout - il ne peut que passer un bon moment.
Sans être glauque et sombre, Collateral instille quelques réflexions sur la condition humaine, les rapports entre les êtres, la valeur d'une vie... Ce n'est pas un pamphlet ni un brûlot contestataire, ni encore une œuvre totalement désespérée : une nuit, dans L.A., un contrat sur cinq personnes doit être honoré. Le tueur est-il conscient de la vacuité de ses actes ? Est-il sensible aux déboires et aux promesses de ceux qu'il va être amené à fréquenter ces quelques heures ? On lui découvre une passion (le jazz), cela le rend-il plus perméable aux émotions ? Et pourquoi cet attachement contre-nature à ce chauffeur de taxi qui devient plus embarrassant de minute en minute ? Jusqu'au bout, je me suis demandé ce que cela cachait : le rapport de Fanning sur un cas similaire semblait prouver l'existence d'une organisation méticuleuse ayant entraîné le choix délibéré du chauffeur ; un temps, j'ai cru que Vincent lui avouerait ne pas l'avoir choisi par hasard, mais non,
Un bon moment, d'une rare maîtrise formelle, qui marque pour Mann un retour aux procédés structurés du film de genre. Cela en gênera plus d’un qui s’étaient ébaubis devant Ali et s’attendaient à davantage de profondeur, mais ça n’est en aucun cas un film raté.
|
Titre original |
Collateral |
Réalisation |
Michael Mann |
|
Date de sortie |
29 septembre 2004 avec UIP |
|
Scénario |
Stuart Beattie, Michael Mann & Frank Darabont |
|
Distribution |
Tom Cruise, Jamie Foxx & Jada Pinkett-Smith |
|
Photographie |
James Newton Howard |
|
Musique |
Dion Beebe & Paul Cameron |
|
Support & durée |
Blu-ray Paramount (2010) region B en 2.35:1 / 120 min |
Synopsis : L.A., la nuit. Après avoir déposé une séduisante femme procureur, Max charge un nouveau client dans son taxi, un certain Vincent, homme d’affaires qui, afin d’honorer 5 rendez-vous importants, lui propose 600 dollars pour qu’il le pilote toute la nuit. Max accepte, mais devra vite changer d’avis lorsqu’au premier rendez-vous, un cadavre défenestré s’écrase sur sa voiture et que Vincent lui demande de l’aider à cacher le corps…