Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Synopsis : Avner est chargé par l’Etat d’Israël, Golda Meir en tête, d’éliminer 11 personnes jugées responsables de l’enlèvement et du meurtre des athlètes aux J.O. de Munich, en 1972. Il ne devra agir que sur le territoire européen et ne pourra jouir d’aucune garantie ou couverture, en dehors des subsides généreusement alloués pour cette mission. Avner, qui ne s’estime pas homme de terrain, accepte pourtant d’être le chef d’une équipe de Juifs extrêmement disparate, dont les motivations divergent. Au fur et à mesure qu’il poursuit sa mortelle randonnée, le doute et la rancœur feront place à une sombre détermination, alors que son épouse est sur le point d’accoucher loin de lui.
Un film âpre et lancinant sur la vanité des conflits t la vacuité des justifications morales. Une œuvre qui met mal à l'aise, étonne et sidère encore de nos jours.
Eric Bana est Avner. Beau gosse, avec cette impression d’être trop honnête et droit pour pouvoir faire un sale boulot, il en est l’interprète idéal. Il faut le voir avec un enfant dans les bras pour comprendre à quel point il incarne idéalement ce jeune père tiraillé entre sa famille et son dévouement pour son pays bafoué. Et, à l’image de son engagement dans la mission létale qui lui a été confiée, le film progresse en intensité et en noirceur.
Le démarrage prête pourtant à confusion et peut aisément désarçonner : longs dialogues, musique quasiment absente, des champs/contre-champs serrés sur des visages fermés, on s’accroche comme au peu au rythme lourd qui succède aux événements initiaux. La pesanteur émotionnelle qui suit l’annonce de la mort des athlètes sur le tarmac de l’aéroport enlise les prémisses et l’organisation de l’opération de vengeance institutionnelle. Puis, après des débuts d’une maladresse touchante, l’équipe d’Avner se serre les coudes et rebondit, se fiant aux informations délivrées à prix d’or par un contact français. Ca s’accélère alors, sur un tempo qui serait l’inverse même de celui de Saving Private Ryan. Ça devient intense et profond, en dehors de quelques facilités dans le choix des enchaînements et des ellipses.
Et on se prend au jeu, sans pour autant s’impliquer. Malgré la diversité incroyable des lieux (de Londres au Liban en passant par les Pays-Bas, la France, l’Italie et la Grèce), le récit se déroule en vase clos, centré sur ces « opérateurs » qui s’enflamment à des degrés divers pour leur mission et se feront vite rattraper par les remords, les doutes et l’angoisse de la justification éthique. Cependant, dans ce cadre, en pleine guerre larvée, le doute tue et les cadavres se comptent dans les deux camps… Même lorsqu’on s’efforce d’épargner les « civils », les « innocents » s’ajoutent aux dommages collatéraux, comme ce jeune couple israélien surpris par une explosion au milieu de tendres ébats, ou cet enfant qui assiste impuissant à l’exécution de ses parents. On se demande bien, dans ces conditions, où cela s’arrêtera, car qui empêchera les survivants de se lancer à leur tour dans une croisade vengeresse au nom des leurs ? C’est là, on le devine, la question majeure au centre du film, d’autant qu’elle est régulièrement distillée lors d’intéressants débats entre représentants des différents camps. Les arguments avancés ne reposent que sur l’idéologie ou des valeurs fluctuantes : seul l’enthousiasme de leurs défenseurs leur confère un quelconque poids.
C’est fasciné par une mise en scène limpide et une photographie sublime de Kaminski qu’on regarde Bana/Avner subir de plein fouet les conséquences de ses prises de décision. Comme l’avoue un de ses hommes, Carl (joué par un Ciarán Hinds hiératique et digne) :
It's strange, to think of oneself as an assassin.
On n’est pas étonné outre mesure des ravages causés à la candeur du personnage de Kassowitz, chargé de fabriquer des bombes alors qu’il est concepteur de jouets. Et la bande son, aussi impressionnante que dans la Guerre des Mondes, met l’accent sur des détonations qui vous font jaillir de votre fauteuil, d’autant que la musique, discrète, sensible, n’est pas là pour entretenir le flot d’émotions qui devrait déborder, à l’instar des films habituels du père Steven : c’est pourtant bien du John Williams, qui a troqué son orchestre philharmonique contre une petite guitare, remarquablement bien épaulé par quelques morceaux additionnels signés Stan Getz ou les Temptations…
Alors on constate, bouche bée, l’inexorable destruction que causent les implications de ses actes à la psyché d’Avner. D’espion hésitant et exécuteur amateur, il devient une machine à tuer implacable. Au nom de quoi ? Et pour quel résultat ?
Spielberg ne dévoile rien mais montre tout : suggérant ce qui aurait pu se passer, dans une sorte d’uchronie politique très proche de notre monde moderne, il renvoie dos à dos tous les participants de cette danse macabre que rien, à l’heure actuelle, ne peut arrêter, ni même justifier. Seuls les faits comptent, les actes, pour horribles qu’ils soient : les corps explosent, se déchiquettent et se vident de leur sang dans un gâchis sans nom. Coller à ces horreurs des étiquettes politiques n’est qu’une façade futile, un moyen de tenter de rationaliser l’irrationnel. Papa, l’énigmatique Français qui fournit les renseignements à Avner – et joué par un Lonsdale impressionnant -, ne dit pas autre chose.
Le problème est que l’émotion reste absente : on ne partage pas la douleur d’Eric Bana, les doutes de Kassowitz et la froide détermination d’Ephraïm (Geoffrey Rush, impérial) malgré tout le talent de ces interprètes. C’est comme un grand spectacle à huis-clos, comme une parade vue par une fenêtre. On assiste à des moments poignants, douloureux et terriblement graves, réalisés avec un réel savoir-faire (toute la séquence où Avner retrouve sa femme et lui fait l’amour montée en parallèle avec l’épilogue de l’enlèvement des athlètes à Munich est hallucinante) et on n’y participe pas. Par pudeur, sans doute. Ou, surtout, parce qu’on a du mal à s’y impliquer. Tout ça semble si proche, et pourtant si loin – du moins l’espère-t-on.
Cependant, à l’heure où des millions de citoyens ont été confrontés, de près ou de loin, à la violence aveugle des attaques terroristes, on se doute que de nombreuses personnes, personnellement, idéologiquement impliquées, ne peuvent que réagir avec violence et empathie à ce film magistral.
Munich se termine dans le doute, laisse un goût amer, une impression fuligineuse d’inachevé. On se sent mal à l’aise et coupable de ne pas s’être impliqué davantage. On aimerait hurler notre mépris envers ceux qui engendrent de tels actes de cruauté et de violence et on voudrait les comprendre aussi, afin de mieux les juger. Alors, on s’aperçoit que tout est vain. Même la vie.
Et on souhaiterait oublier.
Titre original |
Munich |
Date de sortie en salles |
25 janvier 2006 avec U.I.P. |
Date de sortie en vidéo |
12 juin 2006 avec Dramworks |
Date de sortie en VOD |
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Réalisation |
Steven Spielberg |
Distribution |
Eric Bana, Mathieu Kassowitz, Daniel Craig, Geoffrey Rush, Mathieu Amalric, Ciaràn Hinds, Michael Lonsdale & Marie-Josée Croze |
Scénario |
Eric Roth & Tony Kuschner d’après l’œuvre de George Jonas |
Photographie |
Janisz Kaminski |
Musique |
John Williams |
Support & durée |
Blu-ray Paramount (2015) region B en 2.35 :1/164 min |