Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
La situation étant ce qu’elle est, alliée à la morosité ambiante et à la frilosité des distributeurs, le spectateur se retrouve un peu frustré et se rabat sur les productions des plateformes de streaming, attendant de plus en plus impatiemment les nouveautés destinées au cinéma. Pourtant, des films continuent à sortir, mais la plupart des salles étant closes, ils trouvent un autre support pour s’extirper des tiroirs où ils rongeaient leur frein.
Ainsi en est-il de the Exception, film danois qui avait déjà fait parler de lui lors d’une tournée des festivals probante en 2019. Et si ses quatre actrices principales n’ont pas réussi à décrocher le moindre Robert (c’est le sobriquet dont sont affublées les récompenses aux Danish Film Awards, les équivalents de nos Césars), le réalisateur a tout de même reçu un Valhalla Award au Festival du Film de Santa Barbara en 2020.
Rien que sur le papier, le film propose quelques atouts intéressants : adapté d’un polar scandinave, il promet l’ambiance oppressante et la tension cathartique des avatars de Millénium ; la présence de Sidse Babett Knudsen, interprète hypnotique de Borgen ou de la série Westworld (Theresa Cullen, c’était elle !), déjà magistrale dans le somptueux the Duke of Brugundy, garantissait une haute tenue dans le jeu des comédiens, des regards lourds de sens et cette fragilité sous-jacente derrière des sourires de façade.
L’autre intérêt du film réside dans sa façon de fausser les pistes au départ, avec un résumé adroitement orienté et une bande-annonce légèrement tendancieuse.
Or, son introduction frappe un grand coup en évoquant les crimes de guerre les plus atroces, agrémentés de photos d’archives et de citations historiques, dont on finit par comprendre qu’ils font partie d’un long travail de recherche mené de front par deux jeunes femmes œuvrant pour une ONG spécialisée dans les génocides. La première, Iben, vit seule et on la découvre hantée par le souvenir d’une très sombre période de sa vie, alors qu’elle avait été retenue en otage au Kenya. Son travail dans un centre de documentation semble être le seul phare de son existence, ainsi que sa proximité avec sa meilleure amie, Malene, une rousse sylphide qui souffre d’une forme d’arthrite rhumatoïde, laquelle a tendance à fortement altérer sa vie sentimentale. Les deux femmes se soutiennent et s’entraident, investissant leurs efforts dans cette enquête à la portée humaniste et universelle. Mais leur service comprend également deux autres personnes : Camilla, qui fait office de secrétaire et partage fous-rires et moment de détente avec elles. Et Anne-Lise.
Cette dernière, contrairement à ce que peuvent nous laisser croire les résumés lisibles sur les différents sites promotionnels, n’intervient pas avant un petit moment, et le spectateur a de ce fait une approche très partiale de son arrivée : avant même que de la voir, elle nous est présentée comme une arriviste. Elle a un bureau fermé et chaque fois qu’elle arrive, l’humeur se tend, les sourires s’estompent, les connivences s’envolent, les regards se détournent. Elle est clairement ostracisée mais, en dehors de son âge (quoique…), on ne comprend pas vraiment pourquoi. Bibliothécaire de formation, Anne-Lise, femme discrète proche de la cinquantaine, a une vie rangée, un mari et des amis petits bourgeois et un enfant. On voit les efforts qu’elle fait pour s’intégrer au groupe mais elle se heurte immanquablement à des visages crispés et une connivence qui l’exclut de facto. Leur directeur sent bien que l’équipe ne rayonne pas et entreprend des démarches pour davantage de synergie mais rien n’y fait : Anne-Lise veut s’intégrer mais Malene la bat froid et les deux autres prennent le parti de la rouquine.
Entre le fruit de leur travail, qui explore la noirceur de la psyché humaine, tenant de comprendre comment des individus ont pu se livrer à de telles atrocités par le passé (exécutions sommaires, tortures et actes de barbaries au nom d’un régime ou d’une idéologie), les angoisses existentielles qui les minent (chacune semble porter un trauma lié à son passé, à des pensées malsaines ou à quelque acte regrettable) et les dissensions qui nuisent au groupe, on n’arrive pas à trouver un liant dans un récit qui prend son temps.
Puis survient le fait : Iben et Malene reçoivent un mail lourd de menaces, reprenant carrément des éléments de langage nazis et leur promettant la mort. Une fois passé le choc, la question se pose : qui est l’auteur ? Le boyfriend de Malene propose d’envoyer un spyware pour tenter de connaître l’expéditeur de ces courriels abjects, mais il ne se fait guère d’illusions. Les filles suspectent d’abord l’un des psychopathes sur lesquels elles font des recherches, un criminel de guerre serbe qui a réussi à passer entre les mailles du filet. Puis, insensiblement, elles en viennent à se demander si la menace ne viendrait pas de l’intérieur : et si c’était Anne-Lise ?
Leurs soupçons ne vont évidemment rien faire pour réchauffer l’ambiance au bureau, d’autant qu’Anne-Lise elle-même commence à se demander si ce n’est pas un coup monté contre elle. Et voilà que Camilla en reçoit un aussi. Du coup, chaque élément de la vie de chacune se voit monté en épingle, sapant les bases déjà fragiles de leurs relations : Camilla n’a-t-elle pas évoqué au téléphone une liaison un peu louche ? Malene n’est-elle pas un peu jalouse du jeu de séduction d’Iben sur Gunnar ? Iben n’est-elle pas en train de perdre les pédales à cause de son expérience africaine ? Et quel est exactement le jeu d’Anne-Lise ? Ses excuses semblent toujours artificielles, et ses accusations ne reposent sur rien.
Du coup, lorsque survient le premier cadavre, l’affaire prend une tournure autrement plus dramatique.
The Exception surprend par sa façon élégante et fluide de nous plonger dans les atermoiements de ces femmes au bord de la crise de nerfs, sa réalisation factuelle agrémentée de très jolis plans de coupe et sa narration ponctuée de réflexions sur le Mal qui dort en chacun de nous. Alors même que le script s’avère avare en événements, ils sont suffisamment espacés pour nous laisser profiter de cette lente montée de l’angoisse et on ne s’ennuie jamais, esquissant nos propres réflexions, tenant d’anticiper sur la résolution en sur interprétant le moindre détail (pourquoi les miroirs chez Iben sont-ils cassés ? A quel point les crises de violence d’Anne-Lise ne sont-ils que fantasmées ?).
Efficace, prenant, doté de retournements qui évitent le piège du grotesque ou du gratuit, ce thriller est une bonne surprise qui séduira surtout par la présence de ces quatre femmes à l’interprétation convaincante, bien soutenue par une bande son pesante et pleine de sous-entendus et une photo superbe.
A tenter, en VOD et achat digital chez Wild Side depuis le 1er avril 2021 en France.
Synopsis : Anne-Lise rejoint, en tant que documentaliste, une petite ONG danoise travaillant sur les génocides.
Remarques mesquines, mise à l’écart… Dès le départ, elle fait face à un front glacial instauré par trois employées. Le harcèlement subi par Anne-Lise vire au cauchemar lorsque ses collègues reçoivent des menaces de mort par e-mail.
Les quatre femmes soupçonnent un criminel de guerre serbe dénoncé dans le cadre de leurs recherches, mais dans un climat de suspicion de plus en plus oppressant, elles en viennent bientôt à penser que la menace pourrait bien venir de l’intérieur…
Titre original |
Undtagelsen |
Date de sortie en salles (Danemark) |
2 juillet 2020 avec SF Studios |
Date de sortie en vidéo |
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Date de sortie en VOD |
1er avril 2021 avec Wild Side |
Réalisation |
Jesper W. Nielsen |
Distribution |
Sidse Babett Knudsen, Danica Curcic, Amanda Collin & Lene Maria Christensen |
Scénario |
Christian Thorpe d’après l’œuvre de Christian Jungersen |
Photographie |
Erik Zappon |
Musique |
Henrik Lindstrand |
Support & durée |
Streaming (2021) Wild Side /115 min |