Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Début décembre, Koba Films a eu l’excellente idée de proposer à la vente et dans les circuits VOD le film qui a fait le plus gros carton du mois de mai aux Etats-Unis. Rien que ça. Accumulant plus de 4 millions de dollars de recettes à travers le monde, the Wretched est bien, en soi, un événement, quoi qu’on puisse penser du taux d’exagération des campagnes publicitaires. Pour une année aussi miséreuse en termes de sorties que 2020, c’est plus que respectable.
Toutefois, n’oublions pas, justement, le contexte singulier qu’on vient de traverser : the Wretched a bel et bien bénéficié de circonstances exceptionnelles, de l’acharnement bienveillant d’un producteur avisé et du report de la plupart des grosses productions ciné du moment dont les commanditaires étaient trop frileux pour tenter l’expérience en des temps aussi troublés. De fait, ce petit film d’épouvante a été sur plusieurs semaines le seul film neuf proposé dans les salles américaines.
La question se pose aussitôt : aurait-il eu autant de succès dans une année lambda ? Sans doute que non, même s’il est permis de penser que certaines de ses particularités et le goût actuel pour le genre horrifique lui auraient certainement permis de surnager au milieu de tant d’autres productions similaires.
Alors, allons-y voir de plus près.
Synopsis : Un adolescent provocant, aux prises avec le divorce imminent de ses parents, affronte une sorcière de mille ans qui vit sous la peau de la femme d'à côté et se fait passer pour elle…
D’emblée, le métrage nous signifie que ses concepteurs ont décidé de ne pas faire les choses à moitié : les petits détails montrés en gros plans sous une pluie tenace, ces objets du dérisoire quotidien, abandonnés, tentent dans un dernier sursaut de leur existence d’adresser un signal au spectateur, lequel se voit happé par une séquence s’achevant sur une scène peu ragoûtante : dans une maison qui s’avère vide, la baby-sitter interloquée tombe sur l’infâme repas d’une créature ignoble.
Cut.
Retour au présent, où Ben émerge d’un mauvais rêve alors que son bus parvient à destination. L’adolescent, à l’avant-bras plâtré, maugréant, mal luné, se retrouve dans une marina au bord du lac Michigan et va se présenter à son père qui y travaille, vivant seul, désormais, séparé de sa femme restée en ville. Bien que le but soit de renouer des liens ainsi que de faire un petit job d’été sympa, Ben montre visiblement un peu de mauvaise volonté, même si quelques rencontres l’amènent à se dérider : les filles du coin semblent peu farouches et la famille voisine de son père paraît plutôt cool.
Petit à petit, Ben va se rapprocher de Mallory, qui assiste son père à la marina : un caractère bien trempé mais qui pourrait ne pas être insensible à son charme, quand bien même Ben accumule les gaffes. C’est qu’il commence à être intrigué par Sara, cette maman un peu hippie résidant à côté de la maison de son père à la lisière d’une forêt profonde. Un peu parano, un peu voyeur, il va se mettre à l’espionner, aiguillonné par quelques petits événements lui susurrant que quelque chose de pas net se passe là-bas : n’a-t-il pas cru voir une bête s’y faufiler un soir, alors qu’il rentrait d’une fête adolescente complètement foirée ? Et pourquoi le gamin vient-il tout à coup se réfugier chez lui, refusant de suivre une mère qui semble le terroriser ? Aucune aide à trouver chez son père qui lui en veut pour ne pas accepter sa nouvelle liaison avec une locale, et Mallory, malgré son ouverture d’esprit manifeste, voit dans sa fixation quelque chose d’assez malsain. Restent les légendes locales et l’internet : on y déniche tout ce qu’on veut, et notamment sur Witchypedia ! Armé de sa seule détermination et de la certitude vacillante que le fils des voisins est en danger, Ben se lance dans une (en)quête désespérée aux frontières du réel.
Le film se suit sans déplaisir, le tempo est plutôt agréable, les péripéties s’enchaînent avec une réelle maîtrise de la narration jusqu’à une résolution qui succède à un retournement de situation réussi. Regardé un peu distraitement, avec juste ce qu’il faut d’attention pour sursauter au bon moment et frissonner en rythme, the Wretched ne parvient guère à se distinguer du tout-venant des productions actuelles en terme de cinéma d’horreur : guère terrifiant, il se contente de quelques jump scares habiles au milieu des codes éculés depuis Vampire, vous avez dit vampire ? Evidemment, personne ne croit Ben lorsqu’il prétend qu’un drame s’est déroulé à côté, et il devra y aller seul pour se retrouver face à une terrible vérité.
Cependant, force est de constater que le film écrit et réalisé par les frères Pierce dispose de quelque chose de plus que la plupart de ses équivalents actuels. D’abord, la photo est soignée, et notamment la composition, particulièrement méticuleuse, abondant en plans signifiants et en cadrages savamment pensés : Conor Murphy, chef opérateur, signe une œuvre sombre et élégante qui sait magnifiquement bien mettre la lumière en valeur. Si l’interprétation n’est guère transcendante, elle ne montre pas vraiment de failles, même si les dialogues s’avèrent souvent le point faible du script. L’ambiance sonore sait recourir aux basses vrombissantes à bon escient et les mouvements de caméra refusent le spectaculaire pour préférer des travellings intelligents.
Reste le déroulement de l’intrigue, et le thème de base, qui achèvent de faire de the Wretched une expérience légèrement plus satisfaisante que la plupart des autres films d’horreur actuels.
[A partir de là, les lecteurs désireux de préserver le suspense feraient bien de sauter à la fin de l’article, car les prochaines phrases risquent de divulgâcher un tantinet.]
Car si Ben se retrouve bien confronté à un être surnaturel, millénaire qui plus est, issu de vieux mythes au demeurant, ce dernier, bien qu’en présentant toutes les caractéristiques, n’est pas une menace directe pour lui (dans un premier temps) : la créature n’est ni un monstre assoiffé de sang (comme le laissait croire la première séquence), ni un être tentant de posséder des humains dans le but d’affermir son emprise sur le monde réel (comme peuvent le laisser croire certains teasers et accroches). L’espèce de sorcière tapie dans les bas-fonds d’une forêt mystérieuse se nourrit moins du sang chaud que de l’oubli, et croît dans les zones d’ombre des mémoires lacunaires : un seul être vous manque et la voilà qui prend corps dans le monde. Certes, elle dispose de pouvoirs défiant l’entendement, qui font qu’on ne comprend pas vraiment ses motivations (pourquoi certains sont capturés et d’autres tués ?), mais cette singularité entraîne un twist déroutant qui s’avère le seul élément véritablement surprenant du scénario, vous mettant en perspective l’intégralité d’une histoire dont vous vous apercevez soudain qu’il lui manquait un élément.
Bien joué, du coup, car l’ennui guettait, non pas à cause du rythme ou de l’absence de péripéties, mais parce qu’on sentait le réchauffé. Du coup, tout cela repart de plus belle pour se conclure sur un finale peut-être un peu maladroit, mais touchant. Car the Wretched, dans notre contexte actuel plombé par la pandémie, se permet de relativiser sur ce qui nous manque le plus actuellement (outre la culture et les arts) : les liens sociaux, ce réseau dont les mailles se renforcent à coups de contacts, de soirées entre amis, de repas en familles, de ces échanges que les écrans et claviers peinent encore à retranscrire. Avec une acuité assez rare dans le cinéma grand public, il pointe un manque flagrant dans nos populations qui voient se désagréger insensiblement les familles et les sociétés.
Sorti le 2 décembre 20 20 en DVD, il ne propose que quelques bandes-annonces en bonus mais une image de très belle facture et un bon mixage sonore en VO. A découvrir.
Titre original |
The Wretched |
Date de sortie en salles (US) |
1er mai 2020 avec IFC Films |
Date de sortie en vidéo |
2 décembre 2020 avec Koba Films |
Date de sortie en VOD |
27 novembre 2020 avec Koba Films |
Réalisation |
Brett & Drew T. Pierce |
Distribution |
John-Paul Howard, Piper Curda & Jamison Jones |
Scénario |
Brett & Drew T. Pierce |
Photographie |
Conor Murphy |
Musique |
Devin Burrows |
Support & durée |
DVD Koba Films (2020) zone 2 en 2.39 :1/95 min |