Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Quelques années après la grande réussite que fut la série the Missing, dont les deux saisons furent un succès autant critique que populaire, les showrunners originaux (Harry & Jack Williams) décident de remettre le couvert en développant cette fois une intrigue autour d’un des personnages de la série, l’enquêteur Julien Baptiste, dont le personnage fascinant et le jeu subtil de son interprète (Tchéky Karyo) avaient séduit les audiences. Et bien que totalement indépendant de the Missing, ce spin-off pouvait dès le départ bénéficier d’un confortable préjugé positif, bien que l’exercice ait par le passé engendré pas mal de déceptions. Un projet donc pas si aisé et évident que cela à concrétiser, dont les spectateurs français peuvent juger de la pertinence depuis la mi-novembre avec la sortie du coffret de l’intégrale en DVD édité chez Koba Films, décidément en verve en cette fin d’année 2019.
Rassurons immédiatement ceux qui avaient raté la série originelle : bien que le passé de Baptiste soit régulièrement cité, il n’est guère nécessaire de l’avoir visionnée pour autant pour apprécier cette nouvelle série. L’histoire se déroule à Amsterdam, après un prologue sanglant sur une côté anglaise, dont les tenants et aboutissants nous seront dévoilés plus tard. Martha Horchner, chef de la police locale, contacte son vieil ami Julien, qui s’est retiré aux Pays-Bas pour y filer le parfait amour et se rapprocher de sa fille, laquelle est devenue maman. Bien que ne travaillant plus pour quelque agence que ce soit, Baptiste se laisse convaincre, un peu par amitié envers son ancienne collègue, beaucoup par curiosité pour l’affaire qui lui est proposée : Stratton, un Anglais, arpente en effet les rues de la ville (et incidemment celles des quartiers chauds) à la recherche de sa nièce portée disparue. Son insistance commence à rendre les commerçants et les flics nerveux, d’autant qu’il insinue qu’elle aurait eu maille à partir avec la Brigada Serbilu, une organisation occulte d’Europe de l’Est à la tête de plusieurs réseaux de prostitution. Martha n’a pas besoin de ça, elle qui tente d’appréhender le fameux Constantin, responsable local de cette mafia, tout en ménageant la susceptibilité d’Europol qui exige des résultats concrets ; c’est pourquoi elle charge son ex-collègue de calmer le jeu, confiante dans ses qualités d’investigateur et dans sa connaissance de l’âme humaine. Or, si Baptiste avoue ne plus disposer de la vista qui l’avait fait briller naguère, il sait qu’il peut encore rendre service et, qui sait, rendre le sourire à cet homme brisé cherchant autant une personne disparue qu’un réconfort moral. Julien prend donc contact avec Edward Stratton et, tous les deux, commencent à reprendre les maigres pistes mises au jour jusque-là. Ce dont il ne se doutait (évidemment) pas, c’est qu’il va mettre le doigt dans un engrenage infernal, un engrenage qui non seulement mettre sa vie en péril mais également celle de ses proches, alors qu’il se rapproche d’autant plus des vérités cachées de cette enquête dont les conséquences éclabousseront jusqu’aux cadres de la police d’Etat.
Baptiste évolue ainsi sur un tempo lancinant, au gré des vagues se brisant sur la grève des côtes britanniques ; les personnages s’y débattent en vain dans le milieu glauque des réseaux de traite des Blanches où les jeunes filles ne sont vues que comme des marchandises à vendre au plus offrant. La série met en scène un héros brisé qui avoue lui-même ne plus avoir ses capacités d'antan entouré par des protagonistes venus de tous horizons, multipliant les langues parlées, forçant sur un anglais scolaire dont le ton monocorde émousse les émotions... Très vite, on se rend compte qu’on ne sera pas devant un thriller intense ponctué de fusillades et de coups de théâtre et on a parfois l’envie d’abandonner devant cette succession de scènes indolentes, cette enquête progressant doucement et ces faux-semblants qui soulèvent, un peu trop lentement, le voile de mystère entourant ces meurtres et disparitions. Pourquoi Kim, cette barmaid populaire, a-t-elle autant de contacts avec les « filles » du réseau ? Que cache Edward dans son appartement, qui risque de bouleverser ce qu’on sait de lui ? Pourquoi Constantin décide-t-il de faire suivre Baptiste tout en espionnant sa femme ? Pourquoi l’agent Genevieve d’Europol se rend-elle en cachette dans un hospice ? Et qu’est-ce que le fils de Martha dissimule ?
Autant de questions qui enrichissent un script implacable, qui sait vous berner, paraît s'endormir avant de proposer une première accélération, puis une seconde, cruelle celle-là, éliminant hommes et femmes sans pitié mais avec malice, se nourrissant de masques, de mensonges pieux et d'histoires cachées. Dans Baptiste, il s’avère bien vite qu’il est impossible d'échapper à son passé, car celui-ci vous rattrape inexorablement, vous transforme et vous détruit, vous fait évoluer ou disparaître, vous encourage ou vous inhibe. Si l'on peut encore faire la nique à son destin, on ne peut se soustraire à son passé. Une leçon que seul Julien Baptiste semblait connaître, lui qui ne désirait rien d’autre que profiter de ses proches, mais dont la générosité et la curiosité impactera le sort de ceux qu’il va aider, envers et contre tous ; si son apparente bienveillance lui vaudra de mauvaises surprises (il se fait berner plusieurs fois), sa sagesse lui permettra également d’anticiper les mauvais coups à venir et sa bonhomie lui ouvrira des portes qui ont résisté à de nombreuses enquêtes officielles.
Ni bouleversante, ni trépidante, une série qui se laisse déguster doucement, qui finit par
captiver voire séduire, au gré des champs de tulipes et des ruelles historiques. Des décors réels qui servent à merveille cette histoire à tiroirs dont les interprètes sortent souvent le grand jeu, bien la V.O. occasionne parfois des séquences improbables en raison du caractère cosmopolite de la distribution : chez Baptiste, on y parle français (entre sa fille et lui) mais aussi hollandais (son gendre) et anglais (sa femme). Et si Tchéky Karyo maîtrise la langue de Shakespeare, on sent que les efforts consentis dans certaines discussions nuisent au naturel des situations. C’est le même sentiment lorsque Martha et son fils apparaissent à l’écran, interprétés par des acteurs belges : leur anglais, plutôt fluent, peine à retranscrire leurs émotions aussi bien que dans leur langue natale. En revanche, les interprètes britanniques sont, comme souvent, d’une incontestable aisance. Tom Hollander apporte à son rôle beaucoup plus dense que prévu des relents d’inquiétude et de nervosité qui contribuent à enrichir chacune de ses apparitions. Jessica Raine, en agent d’Europol pressée par sa hiérarchie mais héritière d’un lourd secret, est absolument rayonnante en agent fédéral tiraillée entre plusieurs obligations.
A voir.
Titre original |
Baptiste |
Créateurs |
Harry & Jack Williams |
Format |
1 saison de 6 épisodes de 52 min |
Date de 1e diffusion |
17 février 2019 sur BBC One (UK) |
Date de 1e diffusion française |
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Date de sortie en vidéo |
13 novembre 2019 avec Koba films |
Distribution |
Tchéky Karyo, Tom Hollander, Jessica Raine & Anastasia Hille |
Réalisation |
Jan Matthys & Börkur SigÞórsson |
Photographie |
Arni Filippsusson & John Lee |
Musique |
Dominik Scherrer |
Support |
DVD Koba (2019) zone 2 en 1.78:1 /312 min environ |