Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Quentin Tarantino nous offre avec Once Upon A Time… In Hollywood l’une de ses plus grandes réussites : véritable déclaration d’amour à un art, à une époque et à une ville, son film - qui est le mélange parfait de toutes ses précédentes œuvres - déborde de l’énergie si caractéristique du réalisateur, tout en s’avérant l’un de ses plus touchants. Un chef d’œuvre.
Qu’il est étrange ce nouveau film de Quentin Tarantino ! Once Upon A Time… In Hollywood a tout du mélange parfait de toutes les précédentes œuvres du réalisateur - et en cela il en est en quelque sorte l’aboutissement jubilatoire - mais il est également totalement singulier, comme s’il nous donnait à voir une facette encore méconnue d’un artiste plus tendre que ce que son image pourrait laisser croire. On savait l’homme, un immense cinéphile dont les souvenirs d’enfance liés au septième art nourrissent chacun de ses longs-métrages, empreint de nostalgie, mais on ne l’avait encore jamais vu se livrer avec autant de sincérité grâce à cette peinture à la fois fantasmée (les deux héros du film étant des personnages fictifs, figures emblématiques voire désuètes d’un Hollywood changeant) et incroyablement bien documentée et crédible (le Los Angeles des 60’s est tellement réaliste et « magnifié » qu’il en devient un personnage à part entière) d’une époque qui l’a vu naître.
C’est que le jeune Quentin avait 6 ans en 1969, année pendant laquelle se déroule son film, et que ses propres souvenirs influent directement sur la façon avec laquelle il parle de cette période, qui voyait un certain cinéma de genre - en l’occurrence, ici, le western - sur le déclin, tandis que les séries télévisées se faisaient l’écho d’un nouveau mode de vie et que le courant hippie envahissait les rues. Le choix de l’année n’est bien entendu pas anodin, 1969 marqua un tournant à Hollywood avec l’avènement d’un nouveau type de cinéma mais fut surtout retenue pour la terrible affaire Manson. Si le clan est ainsi bel et bien évoqué en toile de fond, c’est pour mieux raconter l’opposition entre deux visions d’Hollywood. Entre l’insouciance d’une Sharon Tate (formidable Margot Robbie) promise à une belle carrière, et les angoisses de l’ancienne star Rick Dalton (Leonardo DiCaprio, toujours aussi excellent) dont les exploits n’intéressent plus grand monde. Entre les deux, le cascadeur de Rick, Cliff Booth (Brad Pitt y trouve probablement son meilleur rôle, au point d’éclipser les autres acteurs), sorte d’électron libre ultra cool mais au passé houleux et dont les actions sont parfois ambiguës.
Once Upon A Time … In Hollywood est ainsi fait d’oppositions, de paradoxes, de contradictions. Du style même de Tarantino (dont les dialogues sont pour la première fois moins « écrits » que d’habitude), à son idée de montrer les véritables acteurs lorsqu’ils apparaissent à l’écran à l’intérieur du film. A ce titre, la scène pendant laquelle la Sharon Tate jouée par Margot Robbie regarde, émue, la véritable Sharon Tate sur un écran de cinéma est probablement l’une des plus belles idées du réalisateur de Pulp Fiction. La vérité se trouve dans la fiction, à l’intérieur de la fiction. On peut y voir ainsi un personnage s’observer, ou une actrice en admirer une autre. Mais peu importe comment les spectateurs pourront percevoir cette scène : elle est simplement sublime, parce qu’elle donne de quoi comprendre un artiste que l’on a souvent bien trop associé à son penchant pour les déferlements de violence graphique parodique. Avec cette scène sensible et tendre, Tarantino tend à nous parler de ses propres inquiétudes à propos d’un art dans lequel il ferait presque figure de dinosaure (alors que son influence évidente n’est plus à démontrer), de sa propension à se réfugier dans son passé, quitte à inventer sa propre mythologie et à s’enfermer dans un univers dont lui seul est maître. La dernière scène du film est ainsi saisissante et en dit long sur un artiste bien plus complexe qu’il n’y parait, et qui derrière ses références affichées, ce fétichisme qui lui est souvent reproché et sa recherche de la coolitude, s’avère d’une touchante lucidité. Voir dans la séquence mettant en avant Bruce Lee, une forme de racisme ou du moins d’irrespect à l’encontre du célèbre artiste martial, serait une hérésie : le Bruce Lee de Once Upon A Time… In Hollywood n’est pas le Bruce Lee réel, c’est une version over the top, sorte de délire régressif d’un artiste fasciné par ses héros de l’époque, qu’il s’amuse à animer selon l’image de stars qu’ils pouvaient renvoyer plutôt que selon leur véritable caractère.
Ces jeux de contrastes entre réalité et fiction donnent au film sa véritable raison d’être. En racontant des faits qui se seraient déroulés il y a 50 ans, Tarantino ne parle finalement que de notre époque contemporaine. En opposant la « famille » Manson, assemblée en communauté recluse dans un décor de western délabré qu’elle semble vampiriser ou parasiter, à la « famille » du spectacle, dont les membres vivant souvent seuls trouvent dans les plateaux de cinéma un endroit où se réconcilier autour d’une même passion, Quentin Tarantino parle de ses inquiétudes quant au futur d’un art que l’on a retiré des mains d’artisans honnêtes mais archaïques au profit de prétendants plus en phase avec leur temps et l’industrie. Dit comme ceci, l’on pourrait croire que le metteur en scène est devenu un « vieux con », d’autant que les membres de la secte sont joués par des jeunes actrices et acteurs (Dakota Fanning) filles et fils de (Andie McDowell, Uma Thurman, Bruce Willis…), mais la note d’intention du film nous est révélée lorsque le titre apparait, à la dernière image. On comprend alors où voulait en venir le réalisateur de Kill Bill avec cette ballade cinématographique au récit bien moins structuré que d’habitude, beaucoup plus « improvisée » au rythme des allées et venues des personnages.
Once Upon A Time … In Hollywood est avant tout une déclaration d’amour au cinéma, aux
spectateurs et aux gens du métier, qu’ils soient des acteurs débutants, des vedettes chevronnées, des doublures, des maquilleurs, des costumiers, ou autres travailleurs peu souvent mis en valeur mais qui participent tout autant à insuffler la magie.
Un chef d’œuvre.
Titre original |
Once upon a time… in Hollywood |
Date de sortie en salles |
14 août 2019 avec Sony Pictures |
Date de sortie en vidéo |
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Photographie |
Robert Richardson |
Musique |
Mary Ramos & Jim Schultz |
Support & durée |
35 mm en 2.39:1 / 161 min |