Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
En cette fin d’année, Wild Side a eu la bonne idée de sortir en HD les premiers films de l’immense artiste qu’est Takeshi Kitano. Bien que profondément marquée par la violence, son œuvre unique a également su toucher le public : elle sera donc désormais disponible sur support blu-ray dans des boîtiers dont les jaquettes seront harmonisées, l’occasion de redécouvrir ce cinéaste protéiforme, capable de tout avec une maîtrise insensée de la grammaire du VIIe Art.
Disponible depuis le 21 novembre 2018, Violent Cop est sans doute la meilleure façon d’aborder le monde de Kitano, même si l’on ne fera qu’effleurer le potentiel du réalisateur-acteur-écrivain, humoriste à ses heures, animateur TV voire chanteur. Car ce film, considéré comme sa première réalisation, résulte à la fois d’un concours de circonstances et de l’engagement total de Kitano dans son art. En effet, alors qu’il avait été appelé pour jouer le rôle principal – conservant son pseudonyme d’acteur Beat Takeshi - il s’est retrouvé seul à bord suite à la défection du metteur en scène. Qu’à cela ne tienne, il a repris le script à son compte, éliminé les éléments de pure comédie et renforcé le caractère sombre et désespéré que le métrage inspire désormais tout en relevant le challenge de la réalisation. C’est lui qui, malgré parfois la réticence de ses collaborateurs, a insisté pour multiplier les plans longs, reculant autant que possible la coupure du montage, conférant à son personnage un aspect quasi mutique (ce long plan fixe d’arrivée, où il arpente un pont face caméra, est une trouvaille géniale, à la fois symptomatique et révélateur de la lancinante solitude de cet homme qui ne parvient plus à s’intégrer dans un système gangrené) et à son film un tempo lent, pesant, que viennent rythmer des moments d’une brutalité inouïe, presque gênante : cet inspecteur Harry nippon n’est pas genre à suivre la loi lorsqu’il s’agit de soutirer des aveux ou des informations, et sa hiérarchie a toutes les peines du monde à l’empêcher de tabasser chaque individu interpellé. D’autant que Azuma, le flic qu’il interprète, découvre très vite la corruption qui ronge la société dans laquelle il tente de s’occuper d’une sœur atteinte de troubles mentaux, une corruption qui touche jusqu’à certains de ses collègues. Dès lors, alors qu’il tentait de mettre fin aux agissements d’un gang yakuza, il en devient aussi bien la cible que le bourreau et ni les cadres trop rigides de la Loi ni les avertissements de ses supérieurs en qui il n’a plus foi ne l’empêcheront de mener sa croisade, empreinte de vengeance personnelle et de Justice immanente.
Violent Cop, par son épure calculée, parfois embarrassante, par son sens du détail rehaussant
un cadrage millimétré, par son interprétation à la théâtralité déflorée, sidère autant qu’il émerveille, quand bien même on y sentirait çà et là quelque chose d’inachevé, d’inabouti : le montage ne parvient pas toujours à dissimuler les trous du script lequel, bien souvent, était carrément rédigé au moment du tournage, au grand dam des comédiens et techniciens les moins progressistes. Il est certain que les conditions de production n’ont pas connu que des moments de bonheur et les tensions ont sans aucun doute engendré des scories au gré des concessions lâchées par Kitano à ses financiers trop frileux ou ses collègues trop suspicieux. Il n’empêche que ce qu’en a retenu le public occidental est cette fascination pour un artiste cultivant avec talent un sens de l’autodestruction à haute valeur dramatique ajoutée. La manière dont les plans magistraux de la séquence du duel final se succèdent tient du génie et la HD permet de sublimer cet art de la prise de vue qui a explosé sur les écrans du monde à la fin du XXe siècle.
Une collection qui s’avère indispensable avec les sorties concomitantes de Jugatsu et Sonatine, des films qui ne font qu’effleurer les possibilités d’un cinéaste acclamé tout au long de sa carrière.
Titre original |
Sono Otoko Kyobo ni Tsuki |
Date de sortie en salles |
25 mars 1998 avec Metropolitan FilmExport |
Date de sortie en vidéo |
22 novembre 2001 avec Studio Canal |
Photographie |
Yasushi Sakakibara |
Musique |
Daisaku Kume |
Support & durée |
Blu-ray Wild Side (2018) region B en 1.85 :1 / 98 min |