Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Kitano, avec Outrage Coda, boucle sa trilogie funeste sur les yakusa. Celle-ci n’est pas sans rappeler la série des Combats sans code d’honneur de Kinji Fukasaku. Fukasaku, par sa défection peu avant le tournage, avait donné à Kitano l’opportunité de commencer sa carrière de réalisateur avec Violent Cop en 1989. Ce film sonne donc comme la fin d’un cycle dans le cinéma de Kitano et dans son exploitation du genre Yakusa.
5 ans après la guerre qui a opposé les familles Sanno et Hanabishi, Otomo s’est retiré sur une île coréenne sous la protection de M. Chang. Un incident et la mort d’un des hommes de main d’Otomo va faire monter les tensions entre Chang et Hanabishi. Au milieu de cette opposition, les membres dirigeants du clan Hanabishi vont essayer de tirer profit de cette confusion pour se hisser à sa tête. Cela mènera Otomo à retourner au Japon pour régler une fois pour toutes son contentieux avec Hanabishi.
Pour peu que l’on ait vu les deux premiers opus sortis en 2010 et 2012, le nouveau film n’offrira que peu de surprises. On retrouve la même trame narrative qui est toujours aussi efficace. Un infime élément de tension entre deux clans va être monté en épingle par la hiérarchie pour aboutir à une guerre sanglante qui remettra à plat tout l’échiquier. On est bien dans le cas d’une vraie partie d’échec où chacun essaie d’anticiper les coups de l’autre jusqu’à ce que les hommes de main entrent en jeu et transforment ces intentions en action. C’est là qu’on retrouve le taciturne Otomo. Bien qu’involontairement à l’origine du différend entre les clans, il est celui par qui la violence explose. Cette violence chez Kitano reste toujours très sèche et douloureuse pour le spectateur. Cela tient au fait qu’elle arrive souvent sans prévenir, est souvent courte et intense et le son y est souvent surmixé pour augmenter l’effet d’agression que ressent le spectateur. Pour autant, Kitano ne semble pas être un adorateur de cette brutralité puisqu’il essaie tant que possible d’éviter de la styliser - c’est cependant pour lui un passage incontournable pour pouvoir raconter la tragédie qu’il a en tête.
Visuellement, Kitano recycle les codes qu’il avait mis en place dans les deux premiers films mais c’est pour mieux se concentrer sur les morceaux qui pour lui semblent être le cœur du métrage : les oppositions de personnages. Tout se joue lors de ces longues conversations et Kitano amplifie ça par sa mise en scène. Chaque découpage lors des tractations entre clans est déterminant afin de bien montrer qui est important ou pas. Certains cadres en particuliers donnent l’impression d’une discussion privée entre deux ou trois personnes avant qu’il ne s’élargisse pour révéler qu’il y avait cinq ou six convives à cet entretien mais tellement insignifiants qu’ils ne méritaient même pas d’être dans le cadre. Tous les rapports de puissance et de domination passent la plupart du temps de manière subtile, signe que loin d’un académisme de façade, Kitano est en pleine maitrise de son sujet et de ses outils.
Thématiquement, ce qui transparaissait dans les films précédents est encore plus criant dans celui-ci : le mépris du réalisateur pour les élites. Ces dirigeants qui sont à la tête d’empires et qui n’ont plus aucune notion de l’humain qui est derrière chaque décision. On a l’impression que les grands patrons des clans s’opposent presque pour s’amuser et masquer leur ennui. On les voit aussi empêtrés à essayer de maintenir des traditions passéistes dont plus personne ne comprend le sens ou sait comment les imposer. Cela est parfaitement visible lors des scènes de négociations où le montant à verser pour rendre honneur à la famille d’un ennemi tué passe sans raison de 5 millions de Yen à près de 300 juste parce que, par principe, le montant ne sera jamais assez important. La sacralisation du doigt coupé pour l’honneur donne aussi quelques scènes à l’humour bien noir où un des personnages demande régulièrement s’il doit effectuer cette mutilation traditionnelle. Ne comprenant plus les règles qui les gouvernent, les yakusa partent dans tous les sens, chacun se voyant naître une ambition de devenir « calife à la place du calife » selon l’expression consacrée. Dans ce cas-là, c’est le personnage qui a la réflexion la plus sommaire qui s’en sort toujours. Otomo, tout au long de cette série, ne ressort pas comme le personnage le plus intelligent mais il a un raisonnement qui tient la route dans le monde dans lequel il vit : douter de tout le monde et tirer le premier.
Au final, le film sonne un peu comme une redite mais offre à Kitano
l’opportunité de terminer la saga comme il l’avait certainement envisagé au départ : une ode funèbre et désespérée à la recherche des dernières traces de décence dans un monde qui ne fonctionne plus qu’avec une seule règle, la loi du plus fort.
Titre original | Autoreiji Saishusho |
Date de sortie en e-cinéma | 1er décembre 2017 avec e-cinema.com |
Date de sortie en vidéo |
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Photographie | Katsumi Yanagijima |
Musique |
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Support & durée | 35 mm en 2.35:1 / 104 min |