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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] Aquarius : en vidéo le 9 mars 2017

[critique] Aquarius : en vidéo le 9 mars 2017

Aquarius s’ajoute à la longue liste de films qui ont marqué, d’une manière ou d’une autre, plus ou moins durablement, les esprits des spectateurs lors des festivals où il a été projeté. Il s’est donc présenté le 9 mars 2017, au moment de sa sortie en vidéo chez Blaq Out, auréolé d’une aura spécifique acquise auprès des cinéphiles du monde entier. S’il avait séduit à Cannes, avec une Croisette intriguée par le réalisateur des Bruits de Recife, il n’y avait décroché aucun prix, non plus que le César du Meilleur Film étranger auquel il concourait (qu’il a toutefois obtenu du Syndicat Français de la Critique). 

Comme d’habitude, il était nécessaire pour l’Ecran-Miroir de ne pas faire abstraction d’une telle réputation, et d’y aller voir de plus près.

[critique] Aquarius : en vidéo le 9 mars 2017

De fait, Aquarius, par son rythme indolent, ses images inondées de soleil, ses personnages flamboyants, donne une impression de gaieté perpétuelle, de nonchalance, de béatitude, comme si l’amertume était acidulée, et la tristesse passagère. La mise en scène s’attarde, l’air de rien, et laisse ses dialogues s’achever par des silences entendus ; les plans de coupe s’éternisent tandis qu’on se demande encore où on veut nous emmener, avec cette séquence prologue en flashback. Mais patience ! tout viendra à point à qui sait attendre, et on laisse, rêveur, l’histoire nous porter docilement des années plus tard, sur cette plage, le long de cette avenue ensoleillée, jusque dans cet immeuble de Recife où vit une femme qui jouit d’une réputation dépassant la localité. C’est Clara, et tout le monde la respecte. On ne sait d’abord pas trop pourquoi, puis on finit petit à petit par comprendre que sa renommée a une origine artistique (la poésie) et sociale (elle a surmonté un cancer). Clara rayonne, baigne dans une sorte d’euphorie éthérée teintée de nostalgie et de musique. Elle aime tout le monde, et tout le monde l’aime. Quoique…

[critique] Aquarius : en vidéo le 9 mars 2017

Car tout ceci n’est qu’une façade, et Kleber Mendonça Filho parvient très habilement à nous embrouiller par son faux rythme languissant, ses intermèdes oniriques à la lisière du fantastique, et son cadrage qui parvient à mettre les apparences en exergue, à voiler la vérité, à construire un monde parallèle trop beau pour être réel. Car Clara refuse de voir l’évidence – ou préfère la nier. Le magnifique immeuble nommé Aquarius dans lequel elle vit, avec ses rondeurs d’un futurisme passé, sa vue imprenable sur l’avenue du front de mer, tombe en décrépitude. Mais Clara n’en a cure : elle y vit depuis trop longtemps, trop de choses la rattachent à son passé qu’elle chérit. Sauf que ses enfants s’inquiètent de sa solitude (seule une femme vient faire le ménage et lui rendre quelques menus services) car tous les occupants de l’immeuble ont vendu à un promoteur immobilier, un jeune requin aux dents acérées mais au sourire enjôleur qui va tout tenter pour obtenir la concession du dernier logement qui lui manque avant de lancer le grand projet de sa vie.

Et même là, alors qu’on aurait dû basculer dans un manichéisme de facture classique (la gentille petite dame contre les méchants financiers), la réalisation stylisée parvient à nous plonger dans un flou élégant où chacun fait de son mieux pour ne pas froisser l’autre, quand bien même les vues seraient opposées. Ce n’est que très progressivement que l’on finira par se rendre compte que l’on est devant un film de rébellion contre l’ordre établi, contre l’inéluctabilité de la vie et du temps. Clara, fidèle à des principes dont elle ne démordra pas, s’accroche à ce qu’elle possède et tiendra tête à ceux, même de sa famille, qui lui demandent de regarder la vérité en face, de prendre conscience de la cruauté et du cynisme du monde.

[critique] Aquarius : en vidéo le 9 mars 2017

L’attitude de Clara, bien que parfois pusillanime, a quelque chose de rassérénant et revigorant. Elle semble se bercer d’illusions mais elle a trop la tête sur les épaules pour se contenter de rêveries futiles. Car Clara a déjà souffert, déjà mené sa guerre – et quand on vainc le cancer, on n’a pas peur des multinationales, même si leurs moyens de pression semblent irrésistibles.

Fantasque et sensible, évitant savamment le sordide tout en n’ayant jamais peur de choquer, Aquarius jette un splendide pavé dans la mare des bien-pensants et propose une histoire riche autour d’un personnage absolument admirable, riche des siens, de son passé et de sa culture. Même si certaines séquences paraissent inutiles et que l’ensemble souffre de quelques longueurs, le film vaut le coup d’œil ne serait-ce que par la fantastique performance de Sônia Braga.

Titre original

Aquarius

Date de sortie en salles

28 septembre 2016 avec SBS Distribution

Date de sortie en DVD

9 mars 2017 avec Blaq Out

Photographie

Pedro Sotero & Fabricio Tadeu

Musique

 

Support & durée

DVD Blaq Out (2017) en 2.39 :1 /145 min

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P
Bien d'accord avec vous : un film qui se dresse et en même temps qui s'étend comme son architecture, comme pour faire barrage au diktat de la mémoire effacée.<br /> J'ai perçu également cette atmosphère aux franges du fantastiques, ces escaliers fantomatiques, ces appartements scellés du dessus où se déroulent d'étranges bacchanales.<br /> Bien belle chronique pour un film qui le mérite.
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P
Mes visites sont rares, mais celle-ci valait le détour. ;-)
V
Merci votre Altesse ! Ca faisait longtemps !