Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Il y a parfois de ces coïncidences qui ressemblent à des chocs du destin, comme si la main de Dieu s’infiltrait dans la texture de notre quotidien. Après tout, on est là pour parler de Preacher, quoi de plus normal, me direz-vous…
Le 22 octobre dernier décédait Steve Dillon. Il y eut quelques remous dans la blogosphère spécialisée et dans le monde des lecteurs de comics : Dillon, qui s’était fait connaître au Royaume-Uni en illustrant des numéros de Judge Dredd, s’était ensuite fait un nom en dessinant pour DC/Vertigo (Hellblazer, WildCATS) et Marvel (Punisher au début des années 2000). Il était particulièrement à l’aise avec les personnages violents et perclus de doutes et son œuvre épousait presque parfaitement les délires de son collègue irlandais, le génial Garth Ennis, avec lequel il a signé la plupart de ses pièces maîtresses, et surtout les 66 épisodes de la série Preacher de 1995 à 2000. A peine le temps de le pleurer que Sony Pictures annonce la sortie en vidéo (VOD, DVD et Blu-ray) de son adaptation en série TV, laquelle a mis plus de 15 ans à voir le jour, usé plusieurs scénaristes et réalisateurs avant que la persévérance et la passion du duo Seth Rogen & Evan Goldberg ne viennent à bout des réticences des showrunners. C’est finalement AMC qui a hérité de la production et de la première diffusion, avant qu’OCS en bénéficie pour notre territoire.
Et ce serait vraiment dommage de laisser une telle perle cantonnée aux abonnés d’Orange !
Car l’adaptation est aussi pertinente que légitime (Dillon et Ennis ayant été largement consultés et s’étant montrés plus que favorables à l’entreprise, d’autant que ce dernier avait adoré les séries précédentes du network – Mad Men et Breaking Bad) et procure une flopée de sensations fortes dans un mélange rare et détonnant.
Tout d’abord, Preacher jouit immanquablement de l’à-propos iconoclaste de son créateur qui n’aime rien tant que triturer une institution pour mieux se moquer de ses travers par le biais d’anti-héros souvent moralement peu défendables mais capables par leurs questionnements de fissurer les symboles qu’on croyait indétrônables. Les lecteurs de la série the Boys savent de quoi je parle : Garth Ennis ne s’embarrasse guère de la bienséance générale lorsqu’il cherche à démonter une entreprise, même aussi intouchable que les super-héros. Tous les vices sont de sortie et on a ainsi droit à une palette incroyablement colorée de personnages complètement barrés, joyeusement déviants et furieusement séduisants. Imaginer un traitement similaire pour la religion n’est pas difficile, surtout lorsqu’on s’est essayé aux quelques numéros de Hellblazer conçus par ce tandem. Alors pour ce qui est de conter les (més)aventures d’un pasteur ex-truand (et même pas repenti) qui se voit soudain doté d’un pouvoir incommensurable alors qu’il ne cherche qu’à rencontrer Dieu lui-même pour le confronter, on ne voit pas mieux comme créateurs.
D’autant que Seth Rogen est un geek avant d’être cinéaste et on le sentait capable de respecter le matériau original tout en l’adaptant aux besoins d’une série TV (pas trop) grand public. Et donc la deuxième vague de réjouissances vient du constat, dès les premières minutes, que l’on est bien en face d’un produit jubilatoire, aux ressorts nonsensiques mais à la portée profonde. Du cadre (un coin paumé du Texas) au casting (quelques « gueules » vaguement connues, dont un excellent Dominic Cooper, qui va payer de sa personne – comme à peu près tout le monde d’ailleurs – mais aussi le fameux Jackie Earle Haley, celui que les cinéphiles avaient adoré dans la peau de Rorschach dans Watchmen), on sent que les petits plats ont été mis dans les grands, d’autant que le déroulement est également un savant mélange de quête spirituelle, de vengeance, de complots et de rédemption. Depuis Twin Peaks, difficile de filmer une bourgade américaine sans y voir les turpitudes celées sous une apparente bonhomie, et Annville ne déroge pas à la règle avec son maire vendu au plus offrant, son chef d’entreprise pervers et sans scrupule, ses mascottes qui se font constamment la guerre, ses ados qui s’adonnent à des chasses aux filles (dans le noir et en sous-vêtements, comme il se doit) avec l’aval de leurs aînés, son shérif empêtré dans ses remords et j’en passe. C’est là qu’officie Custer, un pasteur n’aimant rien tant que la baston et la bibine – mais qui a fait par le passé une promesse solennelle à son père, juste avant que ce dernier soit exécuté. Ses sermons lamentables et sa conduite douteuse n’empêchent pourtant pas Emily, la jolie mère de famille, de tenter de l’épauler pour que l’église locale ne parte pas en capilotade. Lorsque Jesse Custer se voit soudain investi par une force inconnue (dont il va mettre un certain temps à cerner le pouvoir et la façon d’en user), le destin va se précipiter. Sous la forme d’abord de Cassidy, un vampire irlandais, branleur bavard et alcoolique qui va littéralement tomber du ciel et trouver refuge dans l’église. Et Tulip, baroudeuse qui n’a pas froid aux yeux et vient requérir de Jesse qu’il l’aide à retrouver et buter un de leurs anciens complices. Jusqu’à ces deux gars débarquant d’on ne sait où et qui ne désirent qu’une seule chose : récupérer ce qui est entré en connexion avec Custer, quitte à le découper en rondelles s’il refuse.
Les épisodes s’enchaînent dans un faux rythme languissant, tirant parti d’abord de l’atmosphère très western des paysages désertiques, avant de proposer quelques séquences brutales, violentes, viriles voire sanglantes jamais exemptes de cet humour noir particulier à l’univers d’Ennis (impossible d’oublier la scène de la tronçonneuse et surtout celle du motel !). La construction permet de ménager un véritable suspense lié au passé de certains des protagonistes et aux interactions futures avec d’autres personnages qui semblent ronger leur frein pour de prochaines rencontres cataclysmiques. C’est à la fois frais et revigorant, bardé de scènes légères tout en conservant une texture sombre percluse de symboles où les croyances se télescopent et les doutes explosent. L’incongru alterne avec le drame et le gore tout en laissant, çà et là, pointer des bribes de romance, un soupçon de film noir et quelques vérités assénées sur les principes qu’on croyait éternels. C’est punchy et drôle, et remarquablement adulte dans son traitement.
A découvrir !
Titre original | Preacher |
Créateurs | Seth Rogen, Sam Catlin & Evan Goldberg |
Format | 1 saison de 10 épisodes de 52 min (65 min pour le pilote ; en cours) |
Date de 1e diffusion | 22 mai 2016 sur AMC |
Date de 1e diffusion française | 30 mai 2016 sur OCS Choc |
Date de sortie en vidéo | 26 octobre 2016 avec Sony Pictures |
Distribution | Dominic Cooper, Joseph Gilgun, Jackie Earle Haley & Ruth Negga |
Musique |
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Support & durée | Blu-ray Sony (2016) region B en 1.78 :1 /533 min |
Synopsis : Au premier coup d'œil, le révérend Jesse Custer n'a rien de spécial. Après tout il n'est qu'un homme d'église d'une petite ville, perdant peu à peu ses fidèles et laissant s'éteindre sa foi. Mais il va bientôt avoir la preuve que Dieu existe bel et bien. Et qu'"IL" est un sacré fils de... Avec sa petite-amie Tulip et un vampire nommé Cassidy, le voilà parti sur les routes américaines pour le trouver...