Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Après la Couleur pourpre, Spielberg donnait encore l’impression de vouloir prouver quelque chose au monde du cinéma en s’affranchissant définitivement de l’étiquette « cinéma de genre » qui lui collait peut-être un peu trop – un peu comme un bon auteur de polars chercherait à impressionner le monde littéraire en écrivant le roman mainstream ultime. Mais tout porte à croire que d’autres ambitions l’aient poussé dans cette direction : un challenge, peut-être, la volonté de transcrire au cinéma une saga littéraire avec ce qu’il faut de grandeur, de maîtrise de la narration, d’émotion et de péripéties pour harponner durablement le spectateur.
Et il faut reconnaître que Spielberg a choisi de mettre cette fois tous ses œufs dans le même panier, de frapper fort les esprits, quitte à essuyer quelques critiques chagrines au passage : la relative retenue qu’on ressentait par moments sur la Couleur pourpre disparaît ici au profit d’un récit sans concession dans lequel le metteur en scène s’évertue, tant bien que mal, à rester focalisé sur son personnage principal alors que le monde autour de lui subit de plein fouet la mutation tragique engendrée par la guerre. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère et ne se prive pas d’appuyer ses effets (bien aidé par une partition remarquable de John Williams, portée par un de ses plus jolis thèmes et par la photographie comme toujours impeccable d’Allen Daviau), de prolonger ses séquences et de faire durer le plaisir sur certaines scènes. Cadrage percutant, caméra audacieuse, montage élégant : autant de critères qui soulignent habituellement un film réussi.
Sauf que la sauce ne prend pas. Ainsi, prenons la direction d’acteurs de Spielberg, qui excelle habituellement dans ce domaine : on ne peut guère la prendre à défaut, tant il est à l’aise avec les enfants comme avec les comédiens chevronnés. Impossible de passer à côté de la performance pure de Christian Bale, éblouissant malgré sa quasi-omniprésence : pour un premier rôle, quelle éclatante réussite ! Là où le bât blesse, c’est qu’on se retrouve vite groggy, saoulé d’images et de dialogues qui se transforment en litanies grinçantes ; les drames s’enchaînent, les tragédies éclatent sans qu’on parvienne à ressentir la détresse, le désespoir, la détermination et les instants de gloire de ce garçon débrouillard partiellement inspiré par la propre histoire de l’auteur du roman éponyme (J.G. Ballard, un des grands de la SF anglo-saxonne, connu pour ses remarquables récits de fins du monde désenchantées). Les morceaux de bravoure se succèdent avec talent mais l’émotion ne nous parvient pas, annihilée par ce trop-plein, par le martèlement des scènes et le lyrisme excessif de la musique : à vouloir trop bien faire, Spielberg échoue à toucher, il ne parvient qu’à nous épater, parfois même nous agacer devant un manque flagrant de subtilité (notamment dans l’utilisation des symboles, d’une inhabituelle lourdeur). Quant à l’abattage des comédiens, pour convaincants qu’ils soient (Bale le surdoué trouve un contrepoint parfait chez un Malkovich déjà magnétique en faux-père de substitution), il paralyse paradoxalement leur spontanéité.
L’Empire du soleil n’est cependant pas avare de jolis moments où point la tendresse particulière qu’a Spielberg pour cette enfance des possibles, à la fois forte et fragile ; on aura également droit à des images absolument magnifiques dans lesquels le metteur en scène et son chef-opérateur jouent avec la lumière (celle du soleil notamment, superbement utilisée dans des plans qui deviendront une des signatures du réalisateur) et on s’ébahira probablement devant la maîtrise totale des grandes scènes de guerre où les milliers de figurants occupent magistralement l’espace filmique. C’est justement son problème : le film fascine, mais ne séduit pas ; il éblouit, mais n’émeut pas. Il démontre néanmoins avec classe le potentiel indéniable de Spielberg.
Lire également : l’avis de Vlad sur son blog.
Ma note (sur 5) : |
3 |
Titre original |
Empire of the sun |
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Mise en scène |
Steven Spielberg |
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Production |
Amblin Entertainment, distribué par Warner Bros. |
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Date de sortie France |
16 mars 1988 |
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Scénario |
Tom Stoppard & Menno Meyjes d’après l’œuvre de James Ballard |
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Distribution |
Christian Bale, John Malkovich & Miranda Richardson |
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Durée |
154 min |
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Musique |
John Williams |
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Photographie |
Allen Daviau |
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Support |
DVD Warner zone 2 (2008) |
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Image |
1.85:1 ; 16/9 |
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Son |
VOst DD 5.1 |
Synopsis : En 1941, la concession internationale de Shanghaï semble ignorer tout de l'occupation japonaise du reste du pays. James Graham, jeune fils d'un industriel britannique, y vit une existence protégée et pleine d'aventures imaginaires. Mais l'attaque de Pearl Harbour marque la fin de cet état de grâce, et James se retrouve séparé de sa famille. Condamné au statut d'errant, il se retrouve finalement emprisonné dans un camp de prisonniers où il doit apprendre à survivre...