Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
The Great Race
En VF, la Grande Course autour du monde,
un film de Blake Edwards (1965) avec Tony Curtis, Jack Lemmon, Natalie Wood & Peter Falk
Au début du XXe siècle, le Grand Leslie, cascadeur cultivé et homme du monde, accomplit prouesse sur prouesse, battant des records à chaque tentative ; ce qui rend fou de rage son rival, le Professeur Fatalitas (Fate en VO), génial mais malchanceux inventeur en quête de notoriété. Lorsque Leslie propose à une firme automobile de promouvoir sa voiture en organisant une course New-York-Paris, Fatalitas y voit le moyen d’enfin ridiculiser Leslie : il met au point un véhicule bourré de gadgets et ne s’arrêtera devant aucune forfaiture pour parvenir à l’emporter. Pendant ce temps, Maggie DuBois, une suffragette décidée, use de tous ses atouts pour couvrir la course en tant que reporter…
L’une des plus grandes réussites de Blake Edwards, sans conteste. Un peu comme dans the Party, l’histoire débute tambour battant, passé un écran fixe sur fond musical : il faut dire que, à l’instar des Dix Commandements, on est partis pour une très longue séance. Du coup, l’entracte (mais oui !) n’étonnera personne. Le film a cependant du mal à conserver tant d’intensité sur la durée : on y sent le réalisateur complètement libre de ses mouvements, prolongeant ses séquences jusqu’à plus soif, mettant de longues minutes avant d’amener un gag ou un jeu de mot loufoque. On n’a pourtant pas le temps de s’occuper des paysages variés (une grande partie du métrage a été tournée en Autriche, une autre à Paris, le reste en studio) tant la caméra fait la part belle aux duos et trios d’acteurs. En ce sens, on est servi : Jack Lemmon en Fatalitas avec un rire incroyable emporte l’adhésion par son abattage, d’autant qu’il interprète également un gentil prince un peu niais d’Europe de l’Est ; son acolyte et âme damnée, Max, n’est autre que l’inénarrable Peter Falk, véritable fouine plus maladroite que stupide. Il ponctue régulièrement les propos de son maître par un « Diabolique, professeur ! » qui rend encore mieux en version originale. En face, Tony Curtis joue la sobriété : le Grand Leslie, toujours impeccable dans ses tenues immaculées, est en effet le prototype du héros viril et élégant auquel nulle femme ne résiste. Sauf peut-être Natalie Wood, rayonnante, une « femme émancipée » qui nous gratifie en outre du 1er karaoké de l’histoire du cinéma. On ne peut qu’être fasciné par la Hannibal 8, le prototype à 6 roues du professeur, aussi noire que ses pensées, que n’aurait sans doute pas renié un James Bond.
Un film plein de trouvailles, de décors sensationnels – souvent réduits en poussière après le passage de nos concurrents, comme ce saloon au début de l’épreuve – et de situations loufoques, proches du vaudeville (l’action en parallèle des suffragettes qui militent pour obtenir des emplois féminins). On pourra regretter que l’argument de la course ne tient pas très longtemps, celle-ci se réduisant très vite à un duel à distance. Sur des airs de Bach et une musique originale virevoltante de Mancini, cette comédie emporte l’adhésion, proche par son traitement des Merveilleux Fous volants… de Ken Annakin, autre comédie à grand spectacle avec une pluie d’étoiles au casting. L’œuvre culmine avec la très fameuse scène des tartes à la crème (2357 tartes à 7 parfums différents, un record), vraiment irrésistible. La fin de la course est également très réussie, avec des dialogues rappelant le Grand Sam. Un spectacle qui rend nostalgique devant tant de bonne humeur, de cocasseries et d’inventions, annonçant le non moins célèbre dessin animé des Fous du volant.
Le DVD que j’ai eu en mains (un zone 1) bénéficie d’une formidable remastérisation datant de 2001 : les images ont été restaurées avec soin, magnifiant les ambiances colorées pleines de contrastes (Leslie et son équipement, toujours blancs, Fatalitas toujours en noir, les femmes dans des tenues hautes en couleurs chamarrées). Ni griffure ni tache ne subsistent et même la compression tient la route. Certains décors peints ne résistent plus à l’examen, mais l’ensemble est de très haute tenue. C’est un réel bonheur pour les yeux.
Les oreilles ne sont pas en reste : très agréable surprise que cette VF en mono ! D’abord on retrouve les doubleurs habituels de Jack Lemmon et surtout de Tony Curtis (avec un Michel Roux un peu moins en roue libre que dans Amicalement vôtre mais tellement plus expressif que l’original !) ; ensuite, à part quelques rares variations de tonalité, elle garde une bonne dynamique, avec des dialogues très audibles qui ne dénaturent pas la musique. Cette bande s’avère du coup très peu nasillarde, en tout cas beaucoup moins que nombre de pistes mono de cette époque. La VO remasterisée en 5.1 élargit considérablement l’espace sonore, même si l’essentiel est concentré sur l’avant : les bruitages de la Hannibal 8 (une sorte de grondement sourd) et les scènes de foule bénéficient d’un rendu très convaincant. C’est, à n’en pas douter, de la très belle ouvrage.