Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Premier volet d’une soirée Halloween involontairement placée sous le thème des écrivains maudits, Misery m’a donné l’occasion de revoir après bien des années un film qui m’avait impressionné au cinéma, non seulement par la densité apportée à un suspense tenant sur quelques pages d’une nouvelle de Stephen King, mais aussi et surtout par le charisme effrayant que Kathy Bates confère à ce personnage d’infirmière solitaire dont la raison vacillante se raccroche à quelques expédients – comme Misery, cette héroïne d’une série à succès dont elle est si friande.
Si je me souviens bien, Mlle Bates avait reçu un Oscar à cette occasion, pour un film qui pourtant ne ressemblait en rien aux productions habituellement formatées pour la cérémonie. Au travers d’une mise en scène sans fioriture, très directe, aux mouvements de caméra réduits, aux cadrages serrés comme pour mieux mettre en valeur l’impression d’étouffement et de claustrophobie que peut ressentir le héros (interprété par un James Caan transmettant à son visage toute une palette d’émotions visant à remplacer la mobilité perdue suite à l’accident) par opposition aux plans somptueux sur une nature presque vierge, ces monts du nord des Etats-Unis aux pentes couvertes de neige, aux routes étroites et aux habitants rustiques (cela a été filmé dans le Nevada alors que c’est censé se passer dans le Maine, comme la plupart des aventures écrites par Stephen King), Rob Reiner filme un quasi huis-clos oppressant où l’on ne peut que souffrir avec l’écrivain enchaîné à son lit, contraint de brûler son manuscrit et d’en récrire un autre, plus conforme aux attentes de sa sauveuse/geôlière. Cette dernière, au mental fragile et aux accès de colère effrayants, usera d’expédients horribles pour s’assurer de la docilité de son idole, qu’elle dorlote et nourrit avant de le menacer ; à ce sujet, le supplice du « sabot » (qui remplace une scène de mutilation initialement prévue dans le scénario) est une expérience éprouvante qui était d’ailleurs le seul souvenir que j’avais conservé de cette tragédie.
On pourra peut-être se dire que 103 minutes sur un tel sujet n’étaient pas nécessaires : le script aurait tout aussi bien pu se satisfaire d’un épisode habile dans une série à suspense, ou encore d’un téléfilm. Mais on se rend compte que la gradation dans l’attitude de Sheldon et dans ses conditions de détention est menée avec intelligence, d’autant que l’infirmière est effectivement aux petits soins pour lui et que ses explications sur l’état des routes et des communications téléphoniques est aussi pertinente que crédible. Quand il comprendra à qui il a affaire, ce sera une autre paire de manches, on entre alors dans ces films où le héros emprisonné cherchera par tous les (rares) moyens à sa disposition à se sortir de ce piège mortel et où le tortionnaire redoublera d’efforts pour le maintenir à sa merci.
L’économie des personnages ajoute encore à l’impact réel de ce conte fantastique réussi, doublé d’une (légère) réflexion sur la condition de l'auteur et le statut de son œuvre, réflexion qui est au contraire le thème central de la Part des Ténèbres dont je n’ai pas vu l’adaptation mais apprécié le livre, notamment par la façon dont le métier d’écrivain est illustré. Ici, on n’a droit qu’à des images, comme des indices disséminés : les habitudes d’écriture (la retraite dans un coin isolé, le fait de ne rien écrire en double), le matériel spécifique, choisi avec une minutie confinant à la superstition (telle marque de papier, de crayon). Plus profonde est cette discussion sur la façon dont les serials enchaînaient les épisodes en se moquant parfois de la continuité (comment tel personnage qu’on avait vu mourir se retrouve en fait bien vivant par une pirouette scénaristique), mais elle n’est qu’un élément du décor. Le film est avant tout une œuvre d’épouvante où le monstre est une femme trop humaine, avec ses faiblesses et ses excès : nulle transformation à la pleine lune, nul pouvoir mutant, nulle malédiction ne viennent tempérer ses actes odieux, elle se débarrasse simplement de tous ceux qui contrecarrent ses projets. Avec méthode et application.
Vous adorerez détester Annie Wilkes.
Titre original | Misery |
Réalisateur | Rob Reiner |
Date de sortie en salles | 13 février 1991 avec UGC |
Date de sortie en DVD | 4 octobre 2001 avec MGM |
Scénario | William Goldman d’après l’œuvre de Stephen King |
Distribution | James Caan, Kathy Bates & Lauren Bacall |
Photographie | Barry Sonnenfeld |
Musique | Mark Mancina |
Support & durée | DVD MGM (2004) zone 2 en 1.85 :1 /107 min |
Synopsis : Paul Sheldon, écrivain célèbre pour la série populaire des Misery, s’est retiré comme d’habitude dans un chalet du Colorado pour y finir son dernier manuscrit, par lequel il fait une croix sur le personnage qui lui a apporté sa renommée : il a décidé de passer à autre chose, de plus gratifiant pour son ambition d’auteur. Mais en empruntant les routes enneigées pour porter le précieux manuscrit à son agent littéraire, il fait une sortie de route. Sans l’aide d’Annie Wilkes, une infirmière vivant seule dans une ferme isolée, il y serait resté. C’est alors qu’il apprend que sa bienfaitrice, qui l’a recueilli et soigné, est une de ses plus grandes admiratrices. Il commence alors à prendre peur lorsqu’elle change radicalement d’attitude en apprenant que Misery, son héroïne, va mourir…
Comme beaucoup de monde le sait, le film Misery est l'adaptation du roman portant le même nom écrit par Stephen King trois ans auparavant.
Le film se présente comme un huis-clos immersif porté magnifiquement par ses deux acteurs. Il offrira très justement un Oscar à Kathy Bates en 1991. Les événements se passant à l'extérieur s'avèrent toutefois anecdotiques tant la présence de la maison et de la maîtresse des lieux apportent un important cachet au film.
Le spectateur s'attache également très vite au personnage de James Caan, prisonnier des lieux, qui se démène comme un beau diable pour échapper à sa geôlière.
En plus d'être un très bon film, Misery est probablement une des meilleures adaptations de Stephen King dont Kathy Bates retrouvera l'univers avec Dolores Clairborne 5 ans plus tard.