Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Visionner un film de Quentin Dupieux n’est pas un projet anodin : qu’on tombe dessus par hasard (peu probable car il est rarement diffusé sur les chaînes de TV) ou suite aux conseils avisés de copains, ou encore conséquemment à la lecture d’une critique, on se retrouve confronté à un double sentiment de curiosité et de malaise face à un objet filmique bien différent des productions grand public. Ne serait-ce que le « pitch » de chacun de ses métrages (pour Rubber, imaginez un tueur en série… qui est un pneu), lequel incite à y aller voir de plus près tout en se demandant bien ce que l’inénarrable M. Oizo a bien pu pondre sur pellicule. Or, à l’heure où Scorsese et Coppola tentent de culpabiliser des millions de spectateurs en leur affirmant que « les films Marvel, ce n’est pas du cinéma », que peut-on bien penser d’un film Dupieux ?
Le bonhomme est déjà captivant en soi. Passé à la postérité avec ses compositions lancinantes de musique électro, il a fait ses armes chez Lautner et Gondry et a tendance à s’occuper de tout dans ses films. Pour le Daim, il est non seulement le metteur en scène et le scénariste, mais aussi le monteur et le cadreur. On peut donc difficilement lui reprocher de ne pas s’impliquer dans ses productions qui, jusque lors, tendaient à illustrer certains travers sociaux dans un cadre fantaisiste, avec des personnages farfelus. Et, même si on l’a parfois critiqué par cette façon de faire du cinéma avec nonchalance – presque un manque de respect – il a toujours tenu à demeurer fidèle à certains de ses principes en utilisant avec malice et un certain esprit transgressif les codes des films de genre. Son cinéma interpelle, étonne, déroute aussi. Proche de Gondry, il n’en a pas la stylisation singulière mais son univers était jusque lors assez particulier, constamment aux lisières de la folie.
Or, le Daim se veut différent. D’abord, parce que de l’aveu même de son concepteur, il s’agit d’un film réaliste, ou, du moins, le plus réaliste possible : un homme vide son compte en banque pour s’offrir une veste en daim, un blouson spécifique avec lequel il va nouer une relation fusionnelle, quasi symbiotique. Ainsi s’ouvre le film. Pas de longue introduction, pas d’explication a posteriori sur les motivations du personnage principal qui quitte tout ce qu’il a connu auparavant pour vivre dans une petite bourgade au pied des Pyrénées, loin des cités et du travail. Une seule séquence, courte, nous fait comprendre qu’il a eu une relation mais que ses faits récents ont tout compromis : un coup de fil hasardeux, presque un passage obligé. Puis Georges se retrouve désormais seul. Enfin, pas tout à fait : seul avec son daim. Lequel a un rêve : celui d’être unique au monde. Un rêve que Georges, désœuvré mais entièrement inféodé à son compagnon vestimentaire, va s’empresser de concrétiser. Mais avant cela, il lui faut trouver un moyen de subsister : plus d’économies, pas de travail. Il trouve un arrangement passager pour sa chambre à l’auberge du coin, mais ensuite ? A moins que la barmaid, qui n’a pas froid aux yeux, l’aide dans son entreprise (il se fait passer pour un cinéaste)…
Le Daim n’est pas un film sur la « chute », sur un homme qui pète les plombs ; il ne nous propose aucun indice qui aurait pu conduire Georges à cette extrémité, à ce rejet de l’ancien monde, à ce nouveau départ totalement illusoire – mais qui semble, pour cet homme simple doté d’un certain bon sens, parfaitement normal. On ne le verra pas se lamenter, regretter, errer sans but, hagard et perdu : Georges commence une nouvelle vie, il se remonte les manches et se frotte aux contingences relatives à son état de quasi-sans abri. Il lui faut être débrouillard, mentir, jouer la comédie voire s’instruire un minimum afin de convaincre ceux qui pourraient l’aider ; même le fait de trouver à manger n’est pas aussi aisé. Mais n’espérez pas les violons dégoulinant de pathos sur sa condition : Georges, droit dans ses bottes (qu’il changera pour d’autres plus appropriées), fait face à son nouvel avenir, tout incertain qu’il soit. Car il a une mission, désormais.
Du coup, nul tempo trépidant, nulle succession de séquences fortes : dans cette campagne un peu paumée, Georges vit au rythme d’individus manquant d’espoir et de convictions. La photo, volontairement granuleuse et dénuée d’aspérités visuelles, avec une palette de couleurs délavées, presque sépia, colle à cette ambiance légèrement nostalgique sans être onirique. C’est pourquoi, quand le moment viendra pour Georges de passer à la vitesse supérieure pour son nouveau credo, l’horreur sera d’autant plus brutale et sans concession, en forme de dérapage contrôlé. L’immixtion espérée du gore se fera par petites doses, mais efficaces, non dénuées de cet humour décalé transformant le grotesque en burlesque.
Moins une œuvre sur la folie ordinaire qu’un plaidoyer pour un nouveau départ, le Daim se veut au maximum proche de cette réalité monomaniaque qui enferme les gens sans avenir et illustre avec malice un « ce qui pourrait être » pour peu qu’on ait le courage de tout abandonner. Il étonnera donc par son refus du sensationnalisme et de l’apitoiement, refusant que le spectateur voie en Georges un homme à plaindre. On pourra trouver le temps long pendant les trois premiers quarts d’heure, se demandant où va le script, ce qu’il cherche à montrer (ou démontrer) ; on pourra rire ou s’offusquer de l’accélération terminale, de l’escalade meurtrière, du petit retournement dans la relation entre Georges et la barmaid (très convaincante Adèle Haenel) ; on pourra même critiquer la chute, ou y trouver toutes les justifications philosophiques possibles. Toujours est-il que le Daim, sans marquer l’histoire du cinéma, a la faculté de peser sur les consciences des cinéphiles, instille un plaisir délicat doublé d’un malaise indéfinissable, inspirant le doute et déstabilisant dans sa forme comme dans son format (un peu plus d’une heure). La bande-son, maligne, loin des standards actuels, ne cherche qu’à ponctuer certains instants de tension. Quant à Jean Dujardin, il crée une petite merveille de personnage dans l’entre-deux, doux dingue sympathique mais capable de cruauté, flegmatique mais sensible, moins rêveur que pragmatique. Petite surprise pour les spectateurs fidèles à l’émission Quotidien : la présence de Panayotis Pascot, le jeune trublion qui avait fait des piges au Petit Journal.
Le Daim est donc une expérience à tenter, qui ne vous coûtera que 70 minutes de votre vie si
tant est que vous n’y adhériez pas, en DVD, Blu-Ray et VOD le 5 novembre 2019 avec Diaphana Edition Video. Ce n’est pas un blockbuster, ni un film de super-héros (quoique… ? non, je rigole) et, s’il a ses aficionados, ne risque pas de faire partie des films favoris du public de tous les temps. Il a le mérite d’exister, et également celui d’engendrer le dialogue et le débat, car tous les spectateurs n’y adhèreront pas et constitue une alternative stimulante aux grosses machines de destruction de neurones que nous balancent les complexes cinématographiques. Si vous n’êtes pas convaincus, tournez-vous vers, dans une autre catégorie : le top des séries. En tous cas, je vous aurais prévenus.
Titre original |
Le Daim |
Date de sortie en salles |
19 juin 2019 avec Diaphana Distribution |
Date de sortie en vidéo |
5 novembre 2019 avec Diaphana Edition Video |
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Photographie |
Quentin Dupieux |
Musique |
Martin Caraux |
Support & durée |
DVD Diaphana (2019) zone B en 1.85 :1 / 77 min |
Le Daim - film 2019 - Quentin Dupieux - Cinetrafic
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