Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer la réalisatrice Lisa Azuelos, avec d'autres blogueurs, pour la sortie de son film Une Rencontre. Elle a eu la gentillesse de répondre à nos questions, dont certaines ne sont pas retranscrites ici pour éviter les spoilers. Un entretien dans lequel elle a abordé son travail d'actrice, en toute humilité, son expérience aux US et son ambition en tant que réalisatrice de films populaires.
A propos du choix des acteurs ?
Lisa Azuelos : Je savais déjà que je les voulais tous les deux, donc j'ai demandé à leur agent. Et j'ai eu de la chance qu'ils me disent oui. Au niveau du travail, comme j'estime que ce sont de super bons acteurs, je n'ai pas fait de répét’ avec eux, parce qu'ils voulaient garder justement la fraîcheur de quand l'on rencontre quelqu'un et que l'on n'est pas habitué à cette personne. Par contre, la seule chose, c'est que je les ai fait danser ensemble. Donc les seules répéts que l'on a eues sont des répéts de danse. J'ai utilisé la scène de la boîte comme prétexte pour créer une intimité entre eux. Je trouvais que c'était important que physiquement on sente qu'ils sont attirés l'un par l'autre.
C'est une première fois pour François Cluzet de jouer dans ce genre de film ?
Il m'a dit que c'était la première fois de sa vie qu'il jouait un rôle comme ça en fait. Il faut savoir qu'en France il n'y a pas beaucoup d'hommes qui sont capables de jouer une vraie histoire d'amour au cinéma avec une femme. C'est-à-dire qu'il y a plein d'acteurs qui font les cons, il y a plein d'acteurs qui font des drames, mais qui soient capables de regarder une femme vraiment dans les yeux, de la prendre dans les bras, de vivre une histoire d'amour, il n'y en a pas tant que ça en fait. Et François, parce qu'il a beaucoup d'expérience, il a eu plein de vies, il a plein d'enfants, il a été marié, il a vécu tellement de choses que c'est quelqu'un qui adore parler avec les femmes, être avec elles. C'est vraiment quelqu'un qui est capable de gérer ça émotionnellement, et de se donner à fond et de ne pas faire semblant d'être amoureux. Il pouvait vraiment se donner à fond. C'est ça qui m'a séduit chez lui, j'ai pu penser des fois à d'autres gars puis je les ai vu dans des films et à chaque fois qu'ils sont avec des femmes, c'est nul. Autant ce sont de supers comédiens pour plein de trucs, autant face à des femmes il n'y a pas cette espèce d'intensité dont j'avais envie.
C'est la première fois que vous êtes aussi actrice (dans le rôle de la femme du personnage de François Cluzet) ?
J'ai proposé deux ou trois noms à François et à chaque fois il me disait : « Non, moi si je suis marié avec elle, je me barre. » C'est quand même Sophie Marceau en face ! Donc il a ses raisons. Il me disait qu'il faut que ce soit un couple automatiquement crédible, qu'il y ait une complicité. C'est vrai qu'au fur et à mesure qu'on se rencontrait, qu'on bossait ensemble et tout, on s'entendait super bien, on n'avait pas besoin de se parler et il me disait « un peu comme ça ». Moi, par ailleurs, j'ai fait beaucoup de travail dans ma tête, j'avais démarré un travail sur mon corps et tout à coup, j'ai senti que j'avais besoin de m'exprimer aussi autrement qu'à travers une feuille de papier ou un film. J'avais besoin d'incarner ce truc. Et j'étais tout le temps sur le tournage en tant que réal, mais du coup la femme était tout le temps présente aussi et en fait ça faisait un peu comme une espèce d'entité qui plane un peu comme dans leur histoire.
A qui s'adresse le film, aux jeunes ?
Moi on me dit « ton cœur de cible : ne compte pas sur les jeunes, ils s'en foutent, ne compte pas sur les hommes, ils s'en foutent ... ». Pourtant, moi hier j'étais dans l'Est à côté de Nancy, et je peux vous dire que les hommes étaient en vrac, sont venus me dire merci, ils adorent le film, parce que justement pour une fois il ne se sentent pas jugés dans leur envie de s'échapper d'une histoire. Il y en a plein qui respectent leur femme et qui les aiment aussi et j'avais envie de leur rendre hommage. Et je crois que l'on peut s'identifier aux trois personnages. Il y en a une que j'ai interprétée, l'autre que j'ai un peu vécue et rêvée et surtout je m'identifie beaucoup à François parce que ça peut arriver d'aimer deux personnes en même temps et de ne pas savoir choisir, les deux vous comblent à un certain endroit et pas à l'autre, et finalement à deux c'est pas plus mal.
Mais quelle est votre intention ?
Mon intention est de ne pas juger. De sortir du film et de se dire : « L'amour c'est quand même pas mal, c'est une jolie valeur et moi ça m'a redonné envie d'aimer. » ou « j'allais pas trop bien ce soir et ça va un peu mieux » ou « c'est triste mais c'est beau ». Juste pour faire un peu vibrer, voilà moi, quand je fais un film, c'est juste pour ça. Je sais que parfois, on va pas très bien dans sa vie et que l'on rentre dans une salle de cinéma, et mon ambition à moi, c'est que quand on ressorte la vibration dans notre corps soit un peu plus vivante. J'ai rien d'autre comme ambition.
Comment choisissez-vous vos musiques ?
Déjà ce sont des musiques que j'aime écouter, donc je les fait partager. Et ce que j'ai constaté avec ce film, c'est ce que j'appelle mon premier film iPhone. C'est-à-dire que je pensais à cette histoire et puis je me disais : « Ah attend, ça ce serait bien dans le film ! » et comme je n'ai pas de mémoire, paf, je prends les notes dans l'iPhone. Et après j'entends une musique, je « shazam » et je me dis : « ça ça serait vraiment bien ; c'est quoi ? » et je le mets aussi dans un coin. Et quand il y a un plan qui me plaît, je prends une photo et je me dis : « ah ben ça, je voudrais que ça soit comme ça ». Entre « j'ai l'idée de faire le film » et « je tourne le film » il se passe quand même un an et demi donc ça laisse le temps de… Pour ce film je voulais que chaque chanson soit déterminée avant le tournage pour pouvoir tourner avec ce rythme, dans la boîte de nuit je ne voulais pas qu'on fasse une fausse danse avec une fausse musique puis après tout le monde a l'air ringard. Je voulais que tout soit calé dans ma tête. Le clip quand il imagine qu'ils vont se mettre ensemble et qu'il risque de quitter sa femme, on ne tourne pas les images pareil selon que c'est une musique ou une autre. J'ai fait un travail la dessus, mais c'est grâce à l'iPhone.
C'est votre deuxième collaboration avec Sophie Marceau, bientôt un nouveau projet avec elle ?
J'espère toujours. J'ai déjà plusieurs scenarii, et en général c'est jamais ceux qui sont écrits que je fais.
Comment vous est venue l'idée ?
(Spoiler) C'est inspiré d'un moment ma vie bien précis mais c'est aussi un petit clin d'œil à un film que j'ai beaucoup aimé, L'Amour L'Après-Midi d'Eric Rohmer, et où il y a ce truc à la fin avec l'enfant qui le fait changer de route alors que, tout le film, il a fantasmé. Et je me disais que c'étaient des sujets géniaux et je ne sais pas pourquoi aujourd'hui on ne les fait pas comme si c'était problématique « je suis marié mais j'ai quand même envie d'aller ailleurs » c'était trop simple pour en faire des films. Or moi je trouve qu'il n'y a rien de plus passionnant que l'aventure amoureuse et j'avais juste envie de faire un film entre un homme et une femme et pour une fois montrer que c'est l'homme qui est tiraillé et que ce n'est pas forcément un salaud ou un mec qui réfléchit pas. C'est une envie de rendre hommage à tous les gens qui se comportent avec amour.
A propos du milieu aisé dans lequel se déroulent tous vos films ?
Les journalistes se sont fait un plaisir quand ils ont eu envie de critiquer Lol de dire : « oui mais c'est des jeunes, ils ont de l'argent, c'est nul... ». Alors déjà, moi, je trouve qu'il y a suffisamment de morosité pour ne pas en rajouter, premièrement. Deuxièmement, et je ne sais pas pourquoi, les gens parlent en anglais, c'est un film anglais, on ne se dit pas ça. On se le dit qu'en France, va savoir pourquoi. J'ai ma petite idée, mais comme ça m'énerve un peu, c'est un peu ma manière à moi de dénoncer ce côté, c'est-à-dire « pourquoi on ne parlerait pas des gens aisés, eux aussi ils ont des problèmes, eux aussi ils ont envie d'aimer, eux aussi ils ont des ados et pour eux aussi c'est pas facile ». Je parle des histoires intimes. Moi ce qui m'intéresse dans les films c'est de parler de l'intimité. L'intimité ça concerne juste tout le monde. Ensuite il y a une raison technique, c'est-à-dire que si j'ai envie de faire un beau film, il faut que les appartements soient grands parce qu'on est 45 à tourner dedans et que quand on tourne dans des petits apparts c'est super compliqué. Moi je fais des films qui se passent vachement en intérieur, vachement en appart. Donc il faut que l'appart soit un peu grand et pour justifier ça, ça peut pas être un petit studio. Ca c'est un aspect technique. Et puis surtout justement cette histoire d'intimité c'est un petit peu comme quand on est dans un labo de chimie et puis qu'on met un tube à essai, on l'enlève de son milieu naturel et on voit comment ça réagit. En fait, le fait que les gens n'aient pas de problèmes (on va dire) de boulot, déjà ça change, ça permet à l'histoire de rester concentrée sur l'intimité. C'est-à-dire que quand on est occupé à survivre, à trouver un boulot, à galérer, OK on a des problèmes de cœur et tout mais on s'en fout, d'abord il faut bouffer, d'abord il faut s'en sortir. Moi je me dis : « OK, qu'est-ce qu'il reste quand tout va bien, il y a des trucs qui vont pas bien » et moi c'est ça qui m'intéresse, c'est là où ça fait mal en dehors de la survie.
Une Rencontre est-il un film « anti romantique » ?
Je le définis comme une histoire d'amour. Ce sont des gens qui rencontrent l'amour, maintenant ça ne veut pas dire que l'amour va être possible, c'est comme dans Sur La Route De Madison. C'est du vrai amour, mais c'est pas possible. Et malheureusement souvent au cinéma c'est plus fort quand c'est pas possible. Parce que s’ils se rencontrent, qu'ils s'aiment et tout va bien, le film fait 2 minutes. Déjà qu'il est court. Mais c'est vrai que souvent je fais croire que je fais des comédies, mais en fait c'est pas que des comédies, je parle de l'intimité et de l'humanité.
C'est un film très graphique, vous jouez beaucoup avec les reflets dans le miroir, est-ce que vous pouvez nous parler un peu plus de votre mise en scène ?
Ben en fait c'est l'aspect, on va dire, quantique du film où en fait il semblerait que l'on soit en train de découvrir que l'on a comme un double et que, par exemple, l'intuition, ce serait comme si notre double allait dans le futur très vite et reviendrait nous donner cette info. Et en fait à un moment le film a failli s'appeler « Pressentiment » parce que quand on rencontre quelqu'un c'est comme si on l'avait déjà rencontré et puis qu'on revient et qu'on se dit « c'est incroyable on a l'impression de se connaître ». Et si c'était pas une impression ? Et si quelque part on pouvait naviguer entre le passé ou le futur et que la rencontre c'est un moment qui se passe au présent, est-ce que c'est pas le reflet d'une autre réalité qui aurait lieu ailleurs … Donc c'est pour ça que je joue avec, c'est gentil de l'avoir remarqué, merci. Et c'est pour ça que je joue beaucoup avec les miroirs, les reflets, même à un moment je pensais que l'affiche, on allait la refléter quelque part. D'ailleurs c'est tiré du moment où ils sont dans le cinéma ça passe très vite dans le clip mais ils s'embrassent et puis derrière il y a leur reflet dans le miroir. Dès qu'on a pu mettre quelque part un reflet dans le miroir, on l'a fait.
Vous pouvez nous raconter votre expérience aux US avec Lol USA ?
C'était une expérience super Lol US. Ce qui était moins super c'est qu'après on a affaire à des studios qui gèrent beaucoup de trucs et tout. Mais franchement tourner là-bas et rencontrer ces actrices, c'est une expérience tellement unique dans une vie que pour moi c'était génial. Et le film, après, il est parti direct en vidéo, mais il est vu… Moi je m'en fous, je l'avais fait mon film, moi ce qui compte c'est que les gens le voient. Ils l'ont vu dans des tonnes de pays, le film a été téléchargé, vous imaginez avec Miley Cyrus et Demi Moore, il a été super vu, et moi c'est ça mon but, c'est que les gens voient mes films.
Vous donniez une drôle d'image des Français dans le film ?
Non il était sympa, ils mangeaient des escargots et des grenouilles mais voilà ! J'y suis peut-être allée un peu fort mais c'était rigolo.
Votre expérience aux US a-t-elle changé votre façon d'aborder votre travail ?
En fait, le fait de tourner le même film, vu que je ne crée pas une œuvre originale, je prends du plaisir à tourner. Et je me suis découvert un truc que je ne savais pas parce qu'à la base je me suis dit : « moi j'aime pas réaliser », j'aime écrire, j'aime inventer des histoires, et après s’il faut appuyer sur un bouton et que le film sorte, ce serait génial. J'aime pas ce processus lent d’un an de fabrication. Et en fait, en refaisant le même film, je me suis rendue compte que j'aimais tourner. Et ça, ça a changé beaucoup de choses pour moi, ça m'a redonné l'envie d'aimer tourner. J'adore être avec l'équipe et tout ça, c'est vraiment un moment joyeux, et puis ça m'a redonné une confiance en moi, j'ai survécu à ça, franchement je survivrai à tout.
Vous pouvez nous parler de votre montage type Instagram ?
Il y a un moment qui est un fantasme dans le film. Souvent quand on fantasme, on ne fantasme pas un truc clair, c'est plein de petites images qui se chevauchent. Et puis c'est un clin d'œil à tous ces films genre L'Affaire Thomas Crown ou OSS, où tout est démultiplié quand on voit quelqu'un pour la première fois, qu'on a le cœur qui bat. J'avais envie de créer ce truc et d'en faire un petit peu too much par rapport à la réalité derrière qui est beaucoup plus simple.
Combien de temps vous a pris le montage ?
Pas grand-chose en fait parce que justement j'ai écrit le film déjà monté, tous les raccords étaient déjà écrits, tout était déjà prévu. Après au niveau de l'image ça a été un petit peu plus long parce que c'est vrai qu'il y a un gros boulot au niveau de l'image, mais grosso modo c'est au tournage que ça se joue. Ca n'a pas pris plus de temps que sur un autre film.
Nous tenons à remercier Lisa Azuelos, Sophie Benoît de Way To Blue et l'équipe de Pathé pour nous avoir permis de participer à cette rencontre.