Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
le Dictateur
Titre original : the Great Dictator
Film de Charlie Chaplin (1940) avec Charlie Chaplin (le barbier et Hynkel) et Paulette Goddard (Hannah)
Résumé : Pendant la première guerre mondiale, un simple combattant de l’armée de Tomania sauva la vie à un officier nommé Schultz. Mais l’avion dans lequel ils se trouvaient tous les deux s’effondra et le petit soldat passera ainsi plus de vingt ans à l’hôpital. Durant ce temps, le général Hynkel, dictateur de Tomania, avec l’aide des ses deux ministres, Garbitsh et Herring, persécutaient les Juifs sans aucune pitié. Lorsque l’humble combattant sortit de l’hôpital, il n’avait plus aucun souvenir des événements précédents, ni même de la situation présente. Nostalgique, il décida de réouvrir sa boutique de barbier dans le Ghetto et tomba amoureux d’une jeune femme, Hannah. Durant ce temps, Hynkel planifiait l’invasion du pays frontalier : l’Osterlich. Schultz s'y opposa et fut condamné aux camps de concentration. Il organisa alors son évasion du camp en essayant de provoquer une rébellion contre le gouvernement. Il se réfugia chez le petit barbier qu'il reconnut, mais Hynkel le retrouva et brûla la boutique. Les deux hommes furent internés. Pour parvenir à ses fins, Hynkel invita Napolini, le dictateur de Bacteria et ensemble, ils établirent une alliance. L’invasion d'Osterlich fut un succès. Parmi tous les gens réfugiés dans cette ville, on retrouvait Hannah. Mais durant ce temps, Schultz et le barbier réussissent leur évasion. C’est alors que tout se brouille ! Les soldats de Hynkel arrêtent leur propre Dictateur à cause de sa ressemblance avec le barbier. D’un même fait, ils poussent le barbier à aller parler devant la foule qui attend le message du dictateur.
Présentation : Un film étonnant, aussi sincère dans sa démarche que déroutant dans sa construction. Chaplin, qui y utilise pour la dernière fois les attributs de son double vagabond (officiellement retiré à la fin des Temps modernes), a construit une œuvre où le mélange d’émotion et de burlesque caractéristique de la majorité de ses réalisations se trouve soudain perturbé par des préoccupations beaucoup plus évidentes que par le passé. Car il y a investi énormément : du temps, de l’énergie, de la créativité, au point que ses relations humaines en ont pâti (son couple avec Paulette Goddard en souffrira cruellement et ses collaborateurs ont plusieurs fois souligné son intransigeance inhabituelle). Commencé en 1937, le tournage a également été perturbé par la menace des studios de refuser d’accorder les fonds – au point que le Président Roosevelt lui-même a dû intervenir. Des écueils, tant politiques qu’économiques, qui n’empêcheront pas Chaplin de mettre la touche finale à son œuvre alors que le monde entier découvrait les véritables intentions d’Hitler, cet homme dont Chaplin avait du mal à supporter la ressemblance (ils sont d’ailleurs né à une semaine d’intervalle !).
Et le résultat fascine : le premier film intégralement parlant de Chaplin suscite l’admiration tant par le montage (malgré quelques ellipses intempestives dues parfois au fait que le réalisateur s’était passé des script-girls) que par l’interprétation faite de ce dictateur tour à tour pathétique et inquiétant, grandiloquent et lâche. On applaudit le parallèle permanent avec le personnage immédiatement sympathique du barbier juif, héros malgré lui, toujours aussi généreux et sensible mais capable de révolte et plus déterminé qu’auparavant, on rit devant les bouffonneries de Herring et on s’interroge lorsque l’âme damnée d’Hynkel, Garbitsch, lui murmure la marche à suivre pour étendre sa domination sur la planète.
Il y aurait tant à dire sur les enjeux de ce film puissant et prémonitoire, automatiquement propulsé comme classique (Eisenhower s’est empressé de le faire doubler en français pour qu’il soit diffusé au lendemain de la Libération) même si les Italiens durent attendre 2002 pour en voir une version non expurgée des scènes de Napaloni – par respect pour la veuve de Mussolini… Chaplin semble avoir été touché de ne recevoir aucun des cinq Oscars pour lequel son film avait été nommé mais il est certain qu’il a dû pousser un soupir de soulagement à la fin du tournage de cette œuvre nécessaire, parfois maladroite mais toujours sincère où le contrepoint du rire n’empêche pas l’amer constat de l’échec de la diplomatie. On n’oubliera plus jamais le plan-séquence fameux chez le barbier (sur du Brahms), la danse avec le globe ou l’émouvant et lancinant discours final.