Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Adapter les Mémoires de Casanova en France et imposer Vincent Lindon dans le rôle du sulfureux personnage : deux gageures que Benoît Jacquot a pourtant relevé avec humilité et intelligence. Sorti au cinéma au printemps, le film va être disponible à partir du 20 août 2019 en DVD et en VOD grâce à Diaphana Edition Vidéo.
Choisissant une ambiance résolument crépusculaire (beaucoup de scènes nocturnes, un éclairage diffus respectant les tonalités liées aux chandeliers, aux tapisseries et aux dorures), un montage lancinant et des décors somptueux (bien que se déroulant presque intégralement à Londres, nombre de prises de vues du film ont été réalisées dans des châteaux de la région parisienne, dont Fontainebleau), Jacquot s'appuie manifestement sur la présence quasi hypnotique de Vincent Lindon qui campe un Casanova élégant mais fatigué, toujours en recherche de compagnie féminine mais rongé par des expériences malheureuses (expulsé de Venise avant d'échapper aux mouvements révolutionnaires à Paris). C'est du moins ainsi qu'il présente son histoire à la jeune femme censée prendre des cours auprès de lui dans une résidence bavaroise : comme dans Amadeus, qui se déroule à la même époque, le personnage principal se raconte en profitant d'un témoin venu recueillir sa parole comme on obtiendrait des aveux sur un lit de mort. Mais malgré deux ou trois incursions dans le présent du récit, l'essentiel se passe bien à Londres où Casanova tente de trouver un second souffle auprès de rares amis, dont une courtisane rencontrée au cours de son séjour italien.
On y découvre cette société définitivement phallocrate déjà discernable dans la série Harlots, elle aussi contemporaine : les notables mâles jouissent de la vie en profitant autant qu'ils le peuvent des femmes, des drogues et de la nourriture qu'on leur procure en abondance. Si Casanova relève au début quelques habitudes choquantes (pour un être raffiné comme lui, qui a fréquenté les grandes cours européennes) des Anglais, on n'ira guère plus loin dans l'exploration des turpitudes bourgeoises en dehors des salons mêlant plaisirs de la chair et du jeu d'argent ou des parties de campagne où les gens de la haute assistent à des concerts avant de s'envoyer en l'air.
Un milieu dans lequel notre Casanova vieillissant quoique toujours auréolé de sa gloire libertine parvient à se fondre sans même connaître un traître mot d'anglais - d'autant que les aristocrates britanniques s'évertuaient alors à parler français car c'était du dernier chic. Dans cette société à la fois pudibonde et dévergondée, cette ambiance fin de siècle trahissant la décadence d'un système corrompu, Casanova tombe sur une jeune femme qu'il croise çà et là dans les bras de tel ou tel amant. Regard farouche, silhouette magnétique, elle le jauge autant qu'il la dévisage. On sent très vite qu’il lui faut la conquérir. Sauf que cela ne va pas du tout se passer comme il l’entend, comme ce fut le cas par le passé. Française de petite vertu, vendant parfois ses charmes, elle le prend de haut et le bat froid, jouant de sa frustration. Qu’à cela ne tienne : s’il ne peut la coucher dans son lit, il ira jusqu’à lui faire la cour, engageant une sorte de contrat tacite avec cette demoiselle à la sauvage beauté et au regard insolent. Lui le tombeur élégant, le charmeur irrésistible se contraint à conter fleurette et à multiplier autant de rendez-vous galants, autant de promenades aguicheuses sans la moindre promesse de consommer leur relation singulière.
Sur un tempo indolent tout entier focalisé sur la démarche du vieux séducteur, Jacquot s’évertue à rester au plus près de son acteur (avec lequel il a déjà collaboré quatre fois) qui étonne par sa gestuelle empruntée, calquée sur les rituels de l’époque, toute en ronds de jambe ou effets de manche et intrigue par ce phrasé hypnotique, avec ces phrases entamées sur un mode guttural et achevées en un souffle chargé d’histoire et de non-dits. Vincent Lindon propose un double visage stimulant pour cette personnalité exigeante, capable de naviguer avec assurance entre les tables de jeu et les bras de donzelles peu farouches tout en accusant le doute, l’angoisse et la colère face à cette nymphe insaisissable. Tant dans ses confessions susurrées à mi-voix rocailleuse que dans ses frasques primesautières, il incarne intensément cet être qui découvre ce sentiment après lequel, sans doute, il a couru toutes ces années ; cette rage qui sourd lorsqu’elle se refuse, cette frustration qui explose lorsqu’elle se promet, cette sensation de vide qui le ronge lorsqu’elle s’absente, serait-ce l’amour ? Lui qui a tant aimé mais n’a eu que des amies ou des amantes voit sa liberté de vivre confisquée, étouffée par cette femelle à l’arrogance mutine qu’il ne parvient pas à extraire de son existence. Stacy Martin, avec son jeu désinvolte et sa liberté de ton, fait ce qu’il faut pour convaincre dans ce rôle en porte-à-faux constant.
"Dernier Amour" montre un homme profondément défait par une femme qui se refuse à lui.
Le DVD s’avère agréable, parfaitement encodé ; il retranscrit avec soin l’ambiance feutrée et
les tons ocre des nombreuses soirées libertines et on regrette l’absence d’une version HD qui permettrait de mieux profiter des bijoux, passementeries et autres dorures des costumes et décors. La bande-son discrète, laissant la primauté à des dialogues ciselés, permet de temps à autre de profiter des notes empesées de Bruno Coulais, à mi-chemin entre Mozart et Allegri, avec des morceaux dont la solennité colle assez bien à cette réalisation sage, très académique, laquelle peut néanmoins frustrer par un manque d’audace et d’allant qui seyait sans doute davantage au sujet. C’est qu’en outre l’intrigue n’avance guère et l’intérêt réside entièrement dans cette confrontation de personnalités, dans ces échanges sulfureux, ces œillades assassines et l’évolution de la passion qui embrase notre héros. En ce sens, les seconds rôles manquent de saveur malgré la justesse de ton de leurs interprètes (et la présence d’une étonnante Valeria Golino). Sans Lindon, on s’ennuierait presque à suivre le témoignage lancinant de ce désir inassouvi dont vous pouvez lire la fiche caractéristique ci-dessous sur Cinetrafic, à moins de lui préférer un représentant parmi les succès critiques de l'an dernier. L'été s'achève, à vous de voir.
Dernier Amour - film 2019 - Benoît Jacquot - Cinetrafic
Inspiré des mémoires de Casanova, voici le dernier film de Benoît Jacquot que j'avais raté en salle. Mais vu en séance de rattrapage grâce à Cinétrafic, là où l'on retrouve les films les ...
Titre original |
Dernier Amour |
Date de sortie en salles |
20 mars 2019 avec Diaphana Distribution |
Date de sortie en vidéo |
20 août 2019 avec Diaphana Edition Vidéo |
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Photographie |
Christophe Beaucarne |
Musique |
Bruno Coulais |
Support & durée |
DVD Diaphana (2019) zone 2 en 2.35 :1 / 98 min |