Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
L’idée de ressortit des cartons un film qui nous a impressionné dans notre enfance n’est pas mauvaise en soi ; elle peut participer d’une entreprise de dédramatisation, de démystification visant à se débarrasser des scories des souvenirs adolescents, de ces relents d’impressions et d’émotions faussés par le temps. Cependant, elle peut conduire à une forte déception, l’impact de l’œuvre s’avérant au final nettement moindre que par le passé. Des métrages comme the Asphyx/l’Ange de la mort (pourtant terrifiant de mémoire) n’ont ainsi pas survécu à un visionnage à l’âge adulte, alors que Poltergeist ou l’Exorciste continuent de braver le temps, peut-être moins effrayants qu’avant, mais suffisamment bien réalisés et produits pour conserver l’aura qu’ils méritent et ridiculiser les tentatives de remake.
Qu’en serait-il de l’Emprise, un film sorti en 1983, soit à la même époque que le Tobe Hooper produit par Spielberg (des soucis dans la distribution l’ont fait effectivement sortir après, alors qu’il était achevé dès 1981) ?
Le fait est que ce long-métrage de Sydney J. Furie (metteur en scène canadien à la très longue carrière qui s’est fait un nom avec des films comme Ipcress, danger immédiat ou l’Homme de la Sierra) possède suffisamment d’atouts pour en remontrer aux productions actuelles – Martin Scorsese l’a d’ailleurs classé au 4e rang des films les plus terrifiants de l’histoire du VIIe Art.
Tout d’abord, la construction du récit s’avère d’une rigueur à toute épreuve. Les amateurs de flipette et de jump scares (les lecteurs habituels savent déjà ce que nous en pensons à l’Ecran-Miroir) en seront ainsi pour leurs frais et pourront éventuellement trouver le script un peu trop bavard et pas assez mouvementé. Il n’en est pourtant rien d’autant que, comme l’a rappelé le réalisateur dans une interview, l’Emprise n’est pas construit comme un film d’horreur classique. Tout entier centré sur la personne (et la personnalité) de la « victime » (une jeune femme dynamique élevant ses trois enfants dans une banlieue de Los Angeles), le scénario relate patiemment le cheminement de Carla dans sa quête désespérée de réponses d’abord, puis de solutions définitives à son cas (elle est régulièrement abusée sexuellement par une force invisible). C’est en cela qu’on retrouve une progression parallèle aux films de référence suscités :
Ici, Carla, bien que choquée par ce qui lui arrive, s’en remet aux bons soins d’un psychologue de l’université (les tarifs étant moins élevés que chez un praticien) tout en refusant toute mesure d’hospitalisation. Prête à suivre chaque recommandation de son médecin, chaque test, chaque entretien avec un collège de professeurs chevronnés (et honteusement blasés), elle fait front en subissant les assauts de cette « chose » que le docteur lui présente comme étant l’émanation de traumas, un « retour du refoulé » typique de la psychologie freudienne. Ce qui est intéressant dans le scénario, c’est la volonté de ne pas ouvertement critiquer cette démarche, de ne pas l’annihiler par antithèse, par la démonstration de son inefficacité (c’est bien beau d’essayer de mettre un nom sur l’origine du problème, le fait est que Carla souffre à la fois dans son âme et dans son corps et commence à s’inquiéter pour le bien-être de ses enfants). Le sémillant docteur Sneiderman, visiblement un peu épris de sa patiente, tentera par tous les moyens de la persuader que tout ce qui lui arrive n’est que le fruit d’une psyché perturbée par une enfance difficile – et d’évoquer sans beaucoup de tacts d’éventuelles relations incestueuses père-fille et mère-fils. Ce n’est que lorsqu’une amie proche devient elle-même témoin des phénomènes qui s’acharnent sur Carla qu’elle opte pour une autre approche et fait appel à des parapsychologues de la même université. On retrouve alors ces figures de gentils illuminés qui s’émerveilleront, pensant trouver le Graal, lorsqu’ils assisteront à leur tour à l’irruption de cette entité – et mettront du coup le paquet pour tenter de l’isoler, voire de l’annihiler. Des geeks bienveillants qui sont de nos jours les véritables héros depuis qu’ils sont devenus les maîtres d’Hollywood.
C’est traité avec suffisamment de sérieux et d’application pour qu’on suive l’histoire avec intérêt : on se demande ce qu’ils vont bien pouvoir inventer pour contrer l’action de ce qu’ils ne peuvent pas voir (on s’étonnera d’ailleurs que la question religieuse ne soit jamais évoquée) tout en s’inquiétant de l’acharnement presque maladif du docteur qui refuse de laisser ces « charlatans » réaliser leurs expériences sur elle.
D’autant que Sydney J. Furie nous propose une mise en scène plutôt inventive, et remarquablement expressive. Choisissant de privilégier le hors-champ en se concentrant sur Barbara Hershey, il induit une montée de l’angoisse bien ponctuée par un score efficace (que Tarantino a réutilisé dans Inglourious Basterds). Multipliant les gros plans sur le visage de cette formidable actrice, qui nous livre une performance extraordinaire (prix d’interprétation au Festival d’Avoriaz largement mérité !), il évite de sombrer dans le voyeurisme facile et ne laisse que rarement dévoilé à l’écran le corps de la victime, ce qui n’ôte rien au malaise qui s’empare de vous à chaque séquence de viol. Par ailleurs, il parsème sa réalisation de dutch angles, basculant régulièrement son angle et son assiette de prise de vues, et joue malicieusement avec la profondeur de champ dans les plans où deux personnages éloignés ont une conversation importante.
Un style ostensible qui sied bien à ce film qui ne s’adonne guère au
spectaculaire (quelques rares effets « électriques » remarquablement sobres et un trucage encore étonnant simulant l’action de doigts invisibles sur la peau de la victime – merci Stan Winston !). Du coup, on regrettera le finale qui sort un peu des rails, avec des effets vieillots qui ne passent plus aujourd’hui – heureusement rattrapé par la conclusion, d’une puissance obscène implacable.
Un film peu connu sauf par ceux qui, à l’époque, avaient été saisis par la performance d’Hershey ou l’impact de l’histoire (prétendument tirée d’un faits divers) et qui mérite qu’on s’y attarde.
Titre original | The Entity |
Date de sortie en salles | 23 février 1983 avec 20th Century Fox |
Date de sortie en vidéo | 24 avril 2002 avec 20th Century Fox |
Photographie | Stephen H. Burrum |
Musique | Charles Bernstein |
Support & durée | DVD Fox (2002) zone 2 en 2.35:1 / 126 min |