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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[info] Rencontre avec Christophe Gans & Richard Grandpierre

 

En attendant notre critique de La Belle Et La Bête - magnifique film - nous vous proposons de lire le compte-rendu de notre rencontre avec le réalisateur Christophe Gans et le producteur Richard Grandpierre, dans les locaux de Pathé en compagnie d'autres de nos confrères blogueurs. Autant vous dire que le réalisateur du Pacte Des Loups est quelqu'un de passionnant à écouter, toujours heureux de pouvoir nous raconter ses anecdotes et de nous parler de ses références cinématographiques et culturelles. Il est en effet bien connu que Christophe Gans est avant tout un immense cinéphile, et chacune de ses interventions est l'occasion d'en apprendre plus sur des films méconnus, ou sur les nombreux liens qui existent entre le jeu vidéo et le cinéma. Jamais méprisant sur aucune forme d'art, le créateur du célèbre HK Magasine se montre humble, répond à nos questions sans langue de bois avec un enthousiasme communicatif. Un metteur en scène qui nous fait toujours un peu plus aimer le cinéma … 

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un film pour tous

 

Pourquoi avoir choisi ce film, ce genre, le conte de fées ?


Christophe Gans : Ben écoute, ça fait un moment que je voulais faire un film pour tous. Faire un film qui en gros regroupe tous les âges, un peu à la façon du cinéma que je voyais quand moi j'étais encore chez mes parents, qu'on allait au cinéma, qu'on allait voir Opération Tonnerre, La Planète Des Singes, ce genre de films. Et chaque fois dans la salle on voyait des familles. C'est-à-dire qu'il y avait à gauche une famille untel avec le père, la mère, la grand-mère, l'oncle… et les enfants. Bon c'est une conception du cinéma qui aujourd'hui a été extrêmement impactée par la segmentation. On s'est mis à dire « tel film c'est pour une telle catégorie de public, pour les enfants, pour les femmes… ». Et c'est vrai que depuis un moment je me disais que ce serait quand même intéressant de faire un film qui puisse être lu de différentes façons selon les âges. C'est-à-dire un film qui sera lu d'une telle manière par les enfants mais complètement d'une manière différente par les adultes sans pour autant que ça les gène d'avoir emmené les enfants avec eux. Les contes de fées à ce niveau-là, c'est un terrain fantastique. C'est-à-dire que c'est vraiment l'endroit où l'on peut s'amuser à travailler le symbolisme notamment et à parler en fait de choses audacieuses mais sans avoir l'air d'y toucher. Donc pour moi, c'est un vrai genre. Moi qui aime les genres au cinéma, c'est un vrai genre.


La photographie est absolument sublime, on voit rarement ça au cinéma !

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CG: Merci beaucoup. Mais c'est un travail d'équipe. Je tiens à le dire, quand on fait un film comme ça, et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'aime mon boulot, c'est que c'est vraiment un travail qui est fait par plein de gens en même temps et on ne peut pas faire un film comme ça tout seul. Voilà. Même si on en a l'idée, même si dans mon cas on le prépare, on le dessine … on fait attention à tous les petits détails, puisqu'à ce niveau-là je suis complètement un fétichiste, j'aime travailler les matières des robes, du fond du décor qui sera derrière telle robe… tout ça c'est quelque chose que j'aime travailler, mais il est clair que pour arriver à ce résultat-là, il faut autour de soi vraiment des gens extrêmement compétents et on en a en France. Parce que c'est une des raisons pour lesquelles je voulais faire ce film, c'était que j'avais l'impression depuis quelques temps que, de la part d'une génération de spectateurs qui arrive, le cinéma français était définitivement devenu ringard. C'est un truc terrible parce que moi, j'ai été journaliste comme vous, je faisais une revue qui s'appelait Starfix, on n'était pas à 100% pour les films français mais de temps en temps, il y avait un film français qui nous plaisait. J'ai l'impression aujourd'hui qu'on rentre dans une espèce de radicalisation du public qui est : « les films américains sont les films dans lesquels on peut voir des choses étonnantes et puis les films français sont franchement ringards ». Et on le voit bien dans les forums… et c'est quelque chose contre lequel j'aimerais bien aller, parce que j'aimerais bien dire aux gens « non ». D'ailleurs, que vous aimiez ou non le film que j'ai fait là, il y a en France les compétences pour faire ce genre de cinéma. Ce qui n'est pas une négation du reste, mais on peut faire ça. Voilà, ce film a été pensé et conçu par les Français, et je ne veux pas par-là titiller la veine patriotico-chauviniste, tu vois, mais quand même, on voit tellement de bashing contre le cinéma français récemment, que je me dis que c'est intéressant de dire : « ben voilà, les gens qui ont fait ce film sont français ».


une force de conviction collective


A propos du financement, de la gestion du projet…


CG : Ca s'est bien passé ! (rires)


Richard Grandpierre : Comme dit Christophe, il y a une jolie expression, c'est qu'à ce moment-là toutes les planètes étaient alignées. Quand on démarre un projet avec Christophe, c'est toujours ambitieux mais en même temps il a cette force pour entraîner beaucoup de gens avec lui. Mais il peut toujours y avoir des rouages de temps en temps qui ne vont pas, ça peut être dans le casting, ça peut être dans le financement, ça peut être sur les dates, sur les décors. Et là, c'est vrai que, j'ai toujours un peu de mal à le dire, tout s'est vraiment passé très sereinement, y compris le fait de financer un film à 35 millions d'euros aujourd'hui en France. Je pourrais vous dire : « on en a chié... », oui ! Quand je dis « sereinement » ça ne veut pas dire « facile » ! Mais il y avait comme une évidence dès le départ : Gans, Cassel, Léa, et La Belle & La Bête, c'est parti plutôt bien, et j'ai envie de dire les gens étaient même contents qu'on leur propose un projet comme ça. Donc après je ne vais pas vous raconter ce qu'il se passe dans la cuisine, mais ça s'est bien passé. De toute façon on a travaillé ensemble il y a quelques années. Christophe a cette force-là, une force de conviction collective, même si de temps en temps il peut être chiant mais il fait partie des gens qui peuvent entraîner des acteurs, des techniciens et aussi des financiers. Et avec une mention spéciale pour les acheteurs étrangers. Là il est fantastique. Et c'est vrai que les gens sont emportés par son discours, y croient. On a vécu ensemble un projet, on y a passé presque deux ans, c'est vrai que ça s'est bien passé.


Vous parliez de faire un film pour tous et de faire un film fantastique en France, c'était un peu déjà le cas avec Le Pacte Des Loups, qui avait eu un grand succès sans pour autant relancer le genre ensuite… Est-ce que vous pensez que La Belle & La Bête a quelque chose de différent par rapport au Pacte Des Loups ?

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CG : L'époque est différente. Je pense que quand Le Pacte est sorti, […] on était dans une perception différente du cinéma, il y avait un regain d'intérêt énorme pour ce que l'on peut appeler la Pop Culture. […] Moi en parallèle j'éditais une collection qui s'appelait « HK » où je sortais beaucoup de films asiatiques, et on sentait une espèce de fébrilité, il y avait comme, je sais pas, un parfum dans l'air où on se disait : « on va pouvoir faire ce genre de films, on va nous laisser faire ce genre de films ». Le Pacte Des Loups s'est fait dans des conditions extrêmement extrêmement difficiles parce que c'était un film entièrement en extérieurs, contrairement à celui-là qui est fait entièrement, à part une scène, en intérieur. […] Et là je pense que le film est assez différent. Autant Le Pacte est une espèce de film cinglé, dont la recette disparaît un peu au fur et à mesure que le film se fait, d'une certaine manière j'ai toujours pensé que Le Pacte Des Loups c'était un one shot, on ne pourrait pas refaire un film comme ça parce que c'était presqu'une espèce d'échafaudage de genres, de références, de trucs comme ça. Ca a marché, les gens ont été embarqués, super, mais j'ai jamais pensé que ça pourrait impacter le système. Qu'on allait pouvoir lancer… des gens ont essayé néanmoins, il y a eu des films qui se sont fait, mais qui n'ont pas remporté de succès. Je crois que La Belle & La Bête est à mon avis complètement différent. Je pense que d'abord on est plus strictement sur un genre qui est la féérie, même s'il y a des influences, même s'il y a des références, qui sont assez cosmopolites dans le film, néanmoins on est sur un genre qui est très définissable. Alors que dans Le Pacte Des Loups il y avait un peu le côté auberge espagnole quand même très assumé.


l'ADN de notre culture


Et le fait qu'il y ait eu deux adaptations de Blanche-Neige il y a quelques temps, est-ce que vous pensez que ça peut aider le film ?


Non, je pense que c'est différent. Je pense que très sincèrement, je vais parler sans langue de bois, je pense que La Belle Et La Bête, le fait que ce film existe dans le cadre du cinéma français, est très différent de la manière dont existent les contes aux Etats-Unis. D'abord, ce film-là fait partie de l'ADN de notre culture, pas seulement du cinéma, il y a eu beaucoup de films féériques qui se sont faits dans les années 40 qui ont énormément marché dont La Belle & La Bête de Cocteau mais aussi Les Visiteurs Du Soir, Sylvie & le Fantôme, enfin il y en a eu un paquet, et ça fait vraiment partie des genres qu'on a délaissés. Aux Etats-Unis je pense qu'on est dans une autre configuration qui est plutôt une configuration pragmatique voire cynique, c'est-à-dire qu'on prend un nom, Blanche-Neige, et on fait un film qui a très peu de rapports avec le conte. En gros, quand on regarde Blanche-Neige & Le Chasseur par exemple, moi j'ai plutôt envie de dire que c'est Jeanne D'Arc Contre La Comtesse Bathory, c'est pas Blanche-Neige. Elle met une armure, elle prend une épée… Cet après-midi, je suis allé voir I, Frankenstein, on est exactement dans ce truc-là, c'est-à-dire qu'on prend un nom, on le met et on fait quelque chose derrière qui, on l'espère, va plaire aux ados. Le système français de production n'a rien à voir avec le système hollywoodien. Et je crois que celui-là est plus en référence finalement à quelque chose qui a existé, qui est culturellement local, plutôt que, je dirais, plutôt que la recherche de franchise ou la recherche de trademark que pratique le cinéma hollywoodien aujourd'hui et d'une manière assez intensive. Je sais pas si vous êtes d'accord avec ça, mais pour moi c'est assez différent.


Vous parliez d'un budget de 35 millions d'euros, quand on voit le résultat à l'écran on pourrait penser que ça a coûté beaucoup plus cher, quand on voit le prix de certaines comédies françaises, on peut avoir du mal à comprendre comment on peut réussir à faire ce film avec un budget pareil…

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CG : Je peux vous dire une chose ? Moi je n'ai manqué de rien, on s'est amusés pendant toute la durée quand on faisait le film avec mon monteur à comparer ce que l'on est en train de faire avec Astérix 4 qui coûte le double. Et on se disait : « mais si on avait le budget d'Astérix 4, comment est-ce qu'on pourrait le dépenser ? Comment est-ce qu'on peut dépenser autant d'argent ? ». Je pense que le secret sur celui-là, il est assez simple […] : dès le départ il y a un nombre de plans précis, storyboardés, on s'y tient, tout est défini à l'avance, tout est très précis. Et on fait attention.


RG : Il y a des acteurs qui valent cher, il y a des affiches qui peuvent paraître intéressantes sur un sujet. Le verdict, c'est le public. Si vous faites un film qui fait 2 millions d'euros ou 25, si le film plaît pas, personne n'ira et ça sera un échec. Alors évidemment, plus ça coûte cher plus l'échec est retentissant, mais j'ai pas vraiment de réponse. Nous on a travaillé ensemble, tout a été pendant des mois et des mois préparé, on a eu des coups durs, des choses qui n'étaient pas prévues, on est restés dans le budget qu'on s'est donné.


Un tournage « guerre du Vietnam »


CG : Non mais il y a quand même une explication quelque part. Richard et moi on a partagé une aventure qui s'appelle Le Pacte Des Loups qui a super dérapée. C'est le moins que l'on puisse dire. C'est-à-dire que, pour des raisons qui n'étaient pas liées à nous, on était confrontés à un tournage en montagne, avec des intempéries… Il pleuvait, il neigeait, il grêlait et il faisait beau dans la même journée. C'était complètement aberrant, ça a dérapé très très vite, le film était prévu sur 90 jours, il a fini sur 140 jours de tournage. Celui-là a duré 57 jours de tournage, pour faire une comparaison. Donc ça a dérapé sévère. Quand je suis retourné vers Richard avec l'idée de faire La Belle & La Bête, je lui ai dit : « on va faire exactement le contraire de ce qu'on a fait avec Le Pacte Des Loups, il n'y aura pas d'extérieur réel, et ça nous permettra de tenir le film, ça nous permettra de le faire sous verre », et finalement c'est ce qui s'est passé. Même le film par exemple qui était au départ, le schedule était de 62 jours mais il y a eu des dépassements, par exemple sur le département artistique ; et moi j'ai redonné des jours de tournage pour un peu compenser par exemple les dépassements. Donc on a fini à 57 jours, tu vois. Mais d'une manière ou d'une autre c'est, je crois, la peur de déraper à nouveau qui nous a fait prendre ce film d'une autre façon. Déjà en se disant « on va tout reconstituer », c'est-à-dire que les herbes, les arbres, le ciel, les petits animaux que vous voyez … tout va être fait en post-prod. Donc ça c'est une démarche qui était très intéressante parce que je m'étais confronté à une espèce de tournage « guerre du Vietnam » avec Le Pacte Des Loups et je passais carrément sur un tournage sur de la moquette, impeccable. Le soleil brillait tout le temps puisque de toute façon c'était le sunlight, donc il suffisait d'allumer et d'éteindre.


RG : C'était, dans mon cas, un peu angoissant aussi à sa manière. Je ne vous cache pas que pendant des mois des mois et des mois, on voit un film où il y a des fonds verts, des fonds bleus. Alors, OK, Christophe il a sa vision et sait à peu près comment ça va se passer mais moi à côté pendant des mois, y a rien. Il te dit : « non mais attend là il va y avoir une biche, là il va y avoir une forêt ». Quand on parlait de la Bête, j'avais bien compris comment on allait faire, par exemple pour les petits Tadoms aussi c'était un élément à part, mais tout ce qui est le château, les montagnes, les herbes… Les herbes ! Parce que je suis sûr qu'il y a plein de gens qui verront le film, ok ils vont dire « la Bête c'est des effets spéciaux, les petits Tadoms c'est des effets spéciaux » et ils vont trouver que la forêt est très jolie et « où est-ce qu'ils ont tourné pour avoir de si belles herbes ? Le château où est-il ? ». Vous voyez ce que je veux dire ? Donc c'est assez angoissant aussi, mais pour revenir, c'est un film qui est beaucoup prévendu à l'étranger. C'est moins le cas sur des comédies françaises purement françaises, vous voyez ce que je veux dire, donc les financements ne sont pas abordés non plus de la même manière. Si une comédie française chère marche pas c'est local, donc ça fait mal, nous les préventes et les ventes du film se sont bien passées parce que les gens tout de suite ont bien réagi sur les dessins, le scénario, sur le nom de Christophe, sur les acteurs, sur le projet en lui-même. […] Si ça ne marche pas en salle en France il ne se vend pas à l'étranger, […] ça ne se vendra pas en DVD, les gens ne le loueront pas en VOD.


des petits dieux qui se cachent


A propos des géants, comment cela vous est venu ?


CG: En fait, au départ, j'aimais bien l'idée qu'il n'y ait pas que la Bête qui soit maudite. Il y a les chiens de chasse et les trois chasseurs qui sont avec le prince, tout ça. J'aimais bien l'idée que la malédiction finalement crée une espèce de panthéon de petites créatures et de créatures immenses… Et j'ai toujours pensé que la féérie ça marche aussi sur un rapport de tailles. Je pense par exemple que les enfants aiment la féérie parce que c'est souvent les petites créatures qui leur permettent d'avoir un rapport de taille intéressant avec. Et puis il y a foncièrement pour moi l'idée la plus pure de la féérie que j'ai eu ces dernières années : ça a été évidemment Miyazaki, et j'aime spécialement Totoro. Et dans Totoro, il y a ce rapport de tailles très étrange où t'as des créatures colossales et puis les toutes petites créatures qui se baladent comme ça et qu'on voit à peine. Et j'aimais bien ce truc, j'aimais bien me dire : « tiens, je vais avoir de toutes petites créatures et je vais avoir des trucs immenses qui font 22m de haut ». Donc […] finalement, ça allait dans le sens pour moi d'une conception de la féérie qui est très mythologique. C'est vrai que la féérie telle qu'on la conçoit par exemple à partir des XVIIe ou XVIIIe siècles, c'est très : « il y a un personnage maudit »… Moi j'aimais bien imaginer que l'on revenait finalement aux vieilles légendes mythologiques qui ont fondé en fait la féérie avec des Titans, avec des petits dieux qui se cachent sous les tables…[…] Ce rapport-là […] pour moi était très intéressant. Et je trouve aussi dans Harry Potter, que j'aime beaucoup personnellement.


Avez-vous testé le film sur des enfants ?


CG : Oui bien sûr, on a montré le film à des enfants. Le plus jeune était une petite fille de 3 ans et demi. Les enfants ont une façon de regarder un film qui n'a rien à voir avec nous, c'est-à-dire qu'ils sont hyper sensibles sur certaines choses, notamment tout ce qui est le climat de mystère, des choses que l'on perçoit, que l'on ne voit pas complètement… Et je pense que ça, c'est complètement tenu dans le film, et donc les réactions qu'on a eu sur les enfants étaient très bonnes. Parfois je me demandais s’ils allaient par exemple rentrer dans le rythme du film, mais en fait c'est pas ça du tout sur lequel ils fonctionnent j'ai l'impression : ils fonctionnent sur le visage de la Bête, sur les Tadoms, sur les géants à la fin qui écrasent les gens, sur les passages secrets, sur ce genre d'ambiance en fait, sur le son aussi, ça j'ai pu relever ça.


la Bête est magnifique


Et ils n'ont pas peur ?


CG : Non, non non… Non, parce que les deux derniers Harry Potter sont nettement plus horrifiques que ce film-là, c'est quand même très différent. Non non, je pense pas, et puis même la Bête, j'ai fait attention pour moi qu'elle soit sexy. Non mais la Bête ça a été un vaste débat avec Vincent, il m'a fait un peu la gueule quand je lui ai dit : « la Bête sera plus belle que toi », mais ça fait partie de ma conception, je voulais un monstre qui soit comme un surhomme, qui soit beau, comme dans le Cocteau ; d'ailleurs, dans le film de Cocteau, la Bête est magnifique. Et je crois que ça, ça fait partie de ma conception personnelle : moi j'aime les monstres personnellement, je suis d'une génération qui a aimé les films de la Hammer, tout ça, et pour nous les monstres étaient mieux que les hommes, c'est clair. Donc pour moi, la Bête, elle devait être super… Donc je pense pas que la Bête fasse peur et tout, je pense que ce qui peut être impressionnant peut-être c'est des scènes comme la mort de la biche, des choses comme ça qui peuvent impressionner les enfants, parce que je crois qu'on rejoue un peu le traumatisme de Bambi là, mais personnellement je trouve qu'à partir du moment où ça débouche sur l'émotion, je pense que c'est recevable.


Où avez-vous tourné ?


CG : Donc le film a été entièrement tourné à Babelsberg qui est un immense studio […] mythique puisque c'est là qu'a été tourné Metropolis ou Les Nibelungen… qui ensuite est passé en Allemagne de l'Est, puis finalement est revenu en Allemagne avec la fin du mur, et c'est un ensemble de plateaux comme on n’en trouve pas ailleurs en Europe, ou presque pas, qui comprend en fait des plateaux de  3000, 2000 et 1000m² littéralement les uns à côté des autres, ce qui nous a permis de faire le film avec une grande cadence en fait, de rapidité de tournage, dans la mesure où ce qu'on avait à construire, on le construisait et le déconstruisait très très vite. Donc les équipes étaient lancées dans une course de fond avec le tournage. Le film a été tourné en 57 jours : 11 semaines, c'est assez court. Et les effets spéciaux ont été fait au Québec, simplement parce que ça nous a permis de tenir le prix du film ; nous avons pensé dès le départ qu'il ne fallait pas qu'on dépense de l'argent dans ce que l'on appelle la recherche et développement. Beaucoup du budget des effets spéciaux est consacré, quand on va dans une firme, au développement de logiciels en fonction des effets demandés, de nouveaux logiciels. Et nous on a dit : « il ne faut surtout pas qu'on se lance là-dedans, on va prendre des boîtes, quitte à éclater le travail des effets spéciaux sur plein de boîtes au lieu d'en avoir que 2 ou 3, on va demander des effets spéciaux à des gens qui sont parfaitement maîtres dans chaque type d'effets spéciaux ». Donc les bateaux, par exemple, du début, ont été faits par la boîte qui a fait la destruction des navires de la flotte perse dans 300 et ainsi de suite. C'est-à-dire que l'on prenait chaque fois quelqu'un où le mec avait déjà les logiciels adéquats pour animer des créatures, pour les poils, pour la mer, pour les herbes et ainsi de suite. […]

Et au Québec, ils ont en fait mis en place un programme qui permet de financer, d'aider la création de plein plein de boîtes d'effets spéciaux dans lesquelles travaillent énormément de Français d'ailleurs, et en fait quand t'arrives là-bas, ben tu fais tes courses. C'est-à-dire t'arrives et puis t'es dans un quartier qui est grand comme la Défense et tous les immeubles ce n'est que des boîtes digitales consacrées à la création digitale. […] Donc tu montes dans la boîte : « voilà je voudrais ça… montrez-moi ce que vous faites ». La biche par exemple, ou le cheval qui se casse la gueule est fait par les gens qui ont fait […] les chiens dans le dernier Riddick, je trouvais que le chien était parfait dans Riddick. Hop, animation animalière c'est eux, et ainsi de suite. […] Evidemment ça serait formidable si le gouvernement français se décidait à financer et à mettre en place en fait une sorte de Silicon Valley consacrée aux effets spéciaux parce qu'on a beaucoup beaucoup de nos techniciens qui filent là-bas pour travailler, c'est assez dommage.


le chaînon manquant


Tout à l'heure vous évoquiez Miyazaki, quelles sont vos sources d'inspirations ? On pense beaucoup à Legend


CG : C'est mon film féérique favori. C'est le seul film que j'ai demandé à mon équipe de revoir. Voilà. Ridley Scott est pour moi un des trois metteurs en scène qui focalisent tout mon intérêt aujourd'hui avec David Fincher et Cameron. Donc Legend est pour moi le plus beau film féérique jamais réalisé et il y a à l'intérieur des trucs qui sont en hommage d'ailleurs au film de Cocteau, beaucoup, il y a beaucoup d'hommages. Et évidemment je voulais obtenir une ambiance picturale qui rappelle, qui soit en tous cas dans la veine de ce Ridley Scott pour une simple raison : c'est que Scott et moi-même, on partage une passion pour la peinture du XIXe siècle, la peinture du Premier et du Second Empire, qui est généralement décriée par les spécialistes, jugée parfois pompière, mais on partage une grande passion pour cette peinture, lui comme moi, parce que l'on pense que c'est la peinture qui est le chaînon manquant entre la peinture classique et la photographie à cause de son sens du détail et de la lumière. Et c'est ce que l'on a cherché à reproduire de manière je crois assez évidente dans le film, les grands plans larges sont très très influencés par la peinture. Tu penses à Legend, c'est normal, parce que Legend est vraiment absolument imbibé de peinture du XIXe siècle.


Il y a une logique à passer à du féérique après Silent Hill

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Totalement. Il y a les époques qui se superposent… J'ai des préoccupations. Je ne suis pas seulement un cinéphile, un amateur d'art, mais j'adore les jeux vidéo et en fait ce qui m'intéresse dans les jeux vidéo, c'est le fait que les gamins d'aujourd'hui, et pas que les gamins d'ailleurs, conçoivent […] par exemple l'espace, le temps, qu'autrefois on reproduisait de manière un peu littéraire : par exemple si on faisait un flashback autrefois, on mettait un peu de vaseline autour de l'objectif, ça faisait un peu flou et puis on faisait : « ah, c'est un flashback ! ». Je crois qu'aujourd'hui à cause des jeux vidéo, les gamins ont la perception d'un univers qui bascule sur lui-même et qui est en 3D. Et quand j'ai fait les flashbacks, c'est pour ça que j'ai fait ces espèces de transgressions à travers ces espèces de miroirs aquatiques et tout, et que la caméra bascule…

Parce que finalement pour moi ce qui est intéressant dans la culture d'aujourd'hui, c'est qu'elle se permet d'être beaucoup plus abstraite que ce que l'on pouvait se permettre il y a 50 ans, grâce notamment je pense à la culture numérique qui a permis aux gens d'être encore plus portés sur l'abstraction. Un film comme Inception par exemple doit à mon avis son immense succès à cette grande habilité qu'il a de bien définir les différentes strates par exemple, de sommeil, de choses comme ça. C'est-à-dire qu'on se les représente vraiment comme des niveaux de jeu, tu vois, et moi ça fait partie des choses qui m'intéressent de prendre dans le jeu vidéo et de transporter dans le cinéma.


Silent Hillest une bonne adaptation du jeu vidéo…


C'est un jeu admirable, c'est un jeu admirable.


La Bête est un surhomme


On parlait de références, le traitement de la Bête fait penser à un autre genre, le film de loups garous, il y a beaucoup d'images qui semblent sorties de classiques de la Hammer, c'était conscient ?


Oui, car la Bête est en fait un surhomme, comme par exemple Darkness le diable rouge de Legend, qui est littéralement un surhomme, c'est-à-dire […] plus grand, plus fort, plus puissant… Et pour moi, la Bête c'est ça. Elle saute plus haut, elle est plus forte, elle est plus puissante, elle est plus élégante, elle est mieux à tous les points de vue. Elle est raffinée, c'est une version raffinée en fait de nous-même. La perception du monstre comme créature romantique raffinée, elle a commencé dans les années 60 avec les films de la Hammer et notamment La Nuit Du Loup-Garou, et Dracula évidemment, et j'adore Terence Fisher et je trouve que, et d'ailleurs c'est quelque chose que je trouve chez tous les cinéastes anglais, il y a […] une espèce de vénération de l'adversaire, de l'ennemi, de la chose qui est dangereuse. Par exemple c'est pas étonnant pour moi que Ridley Scott ait fait Alien. Le monstre d'Alien est d'une telle puissance, d'une telle capacité de survie de se conformer à de nouveaux environnements et tout, ça représente bien cette démarche anglaise qui consiste toujours à faire de l'adversaire, non pas quelqu'un inférieur à nous, mais très supérieur. Et d'une certaine manière, Fisher je trouve ça chez lui, c'est pour ça que c'est absolument conscient les clins d'œil à Fisher dans le film et au cinéma anglais.

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Lorsque vous travailliez sur Fantômas, vous souhaitiez le faire en 3D, est-ce que vous avez voulu faire celui-ci en 3D ?


CG : Non, à aucun moment parce que simplement ça aggrave le budget de 40% et c'est pas possible.


Et si vous aviez eu le budget pour le faire ?


CG : Fantômas, ça faisait partie du concept alors que là […] on avait décidé dès le départ que ce serait en plat. Maintenant je pense que, d'une certaine manière, le film a quelque chose du relief à cause notamment du travail sur les effets digitaux et le fait que la caméra par exemple file entre les brins d'herbes ou les trucs comme ça, je trouve que ça donne un côté assez 3D au film, même s'il est projeté à plat. Mais oui, j'aimerais faire un film 3D un jour, mais bon c'est comme un déclic que tu mets dans ta tête, sur Fantômas c'était définitivement : « on va faire le film en 3D » et on avait même réalisé une sorte de pré-bande-annonce en 3D du film. Et puis là, celui-là, on a dit : « on le fait en 2D » donc je me suis mis en mode 2D.


Je fais plus confiance aux femmes


Pourquoi avoir choisi cette histoire de La Belle & La Bête ?


CG : La Belle Et La Bête parce que je pense que c'est d'abord un des contes les plus intéressants de tous les contes de fées. Quand on a commencé à parler des contes que l'on pourrait adapter, on a aussi parlé de La Belle Au Bois Dormant, mais rapidement je me suis dit que le problème avec La Belle Au Bois Dormant c'est qu'elle dort, et puis le prince est dans son coin. Et j'avais commencé à me mettre dans la tête l'idée que si je faisais La Belle Au Bois Dormant, j'allais être dans les rêves de La Belle Au Bois Dormant. D'ailleurs d'une certaine manière, c'est resté un peu là, il y a des choses de La Belle Au Bois Dormant auxquelles j'avais commencé à penser qui sont là, notamment le fait qu'on voit ce qu'elle rêve et qu'elle se promène dans le château, qu'il y a des sortes de passages, elle voit le passé du château, il y avait des trucs comme ça […] en référence à Silent Hill aussi, tout ça c'est un peu la même tambouille. Il y avait aussi une chose qui me plaît dans La Belle & La Bête, c'est que c'est un conte écrit deux fois. Il a été écrit d'abord sous une forme longue puis sous une forme courte par une femme, par deux femmes, Madame de Villeneuve et Madame Leprince De Beaumont.

Et en fait moi, il y a toujours une chose qui m'intéresse dans le cinéma, c'est tout ce qui peut relever du psyché (sic) féminin qu'on peut traiter de manière symbolique. Dans Silent Hill c'était un matriarcat littéralement de sorcières, le personnage masculin a été ajouté par la major compagnie qui me produisait, ils m'ont dit : « c'est pas possible, on peut pas produire un film d'horreur où il n'y a pas d'homme », donc on a rajouté un mec au dernier moment mais à l'origine, c'est un film où il n'y avait pas d'homme du tout, il n'y avait que des femmes. Et en fait je trouve que c'est plus intéressant. D'abord personnellement, j'ai tendance à faire plus confiance aux femmes et aux enfants en tant que public, qu'aux hommes. Mais […] je trouve qu'ils ont une façon de s'investir émotionnellement dans le cinéma qui moi, réalisateur, me touche plus, me plaît plus. […] Et La Belle & La Bête évidemment est un conte qui est extrêmement féminin.

Et le paradoxe de tout ça c'est que quand Cocteau le filme en 46, et c'est un film génial à mon sens, curieusement Belle est presqu'un personnage qui a pas beaucoup d'importance. Ce qui est important c'est la Bête, c'est le rapport de Cocteau à la Bête… […] Et finalement ça me permettait en faisant cette adaptation de rétablir […] ce que moi je sens quand je lis les deux incarnations littéraires de La Belle & La Bête qui est qu'on est au cœur du personnage féminin.


Un immense samouraï de pierre


Comme dans vos précédents films, y a-t-il des symboles liés aux jeux vidéo en particulier ?


CG : Pas consciemment. Pas consciemment mais d'une certaine manière… Tu vois l'autre jour, je lisais un site qui disait : « ah cool c'est God Of War style les géants à la fin » (quand on a fait la deuxième bande annonce, on a mis les géants). « Ah ouais cool, God Of War ». Je peux pas m'empêcher aussi de penser qu'il y a aussi un peu Shadow Of The Colossus et toutes ces choses-là. Mais en même temps les jeux vidéo utilisent les géants… Par exemple, j'ai eu l'occasion quand je faisais Silent Hill de voyager au Japon, et de parler avec beaucoup de concepteurs de jeux vidéo, et je me suis rendu compte qu'on avait en fait les mêmes bases cinématographiques. C'est-à-dire eux quand ils étaient petits ils ont vu les films de Ray Harryhausen

Tu vois, comme évidemment Jason & Les Argonautes, et tout ça, ou Le 7e Voyage De Sinbad. Et d'une manière ou d'une autre, on partageait tous le même fantasme des géants, des créatures qui apparaissent comme ça et qui chassent les méchants, évidemment le personnage du cyclope Polyphème dans les voyages d'Ulysse, et tout ça. […] Je pense que tout ça fait partie du pot commun de la Pop Culture d'aujourd'hui telle qu'elle translate par le cinéma ou par le jeu vidéo.


Du coup, d'où viennent les géants ?


CG : Ca vient vraiment des années 60, de Ray Harryhausen et aussi de mon amour pour les Kaijus, les grands monstres japonais, parce que parmi les Kaijus, il y en a eu un qui est moins connu que Godzilla ou les autres, qui s'appelle Majin, et qui est un immense samouraï de pierre, qui s'anime quand on vient prier à ses pieds. Les jeunes femmes se mettent à genou devant lui, pleurent, prient et il s'anime et il chasse les méchants samouraïs en les écrasant. Sans doute mes géants ont beaucoup à voir avec Majin.


Sinon, dans vos futurs projets, une adaptation d'Onimusha ?


CG: Ben si tu veux, c'est marrant parce que j'ai mis du Onimusha dedans. Mais la scène finale avec l'espèce de soleil, la scène bizarre là, ce que l'on appelle le soleil nucléaire, c'était en fait comme ça que je figurais les moments dans Onimusha où les mecs se battaient avec une espèce d'épée démoniaque. C'était une idée que j'avais commencé à travailler à ce moment-là pour Onimusha. Et les hautes herbes évidemment qui sont très japonaises, c'est quelque chose que j'avais commencé à bosser. D'ailleurs c'est intéressant, c'est que moi j'ai bossé sur des projets qui ont pas vu le jour comme les Aventures de Bob Morane, Rahan, Onimusha, Fantômas, et […] d'une certaine manière ce film-là porte un peu l'héritage de ces projets qui n'ont pas pu se faire. Mais il y a des images qui ont fini par trouver leur chemin dans celui-là.


Comme dans les vieux dessins animés


Vos éditions DVD et Blu-ray sont toujours remplies de bonus, vous avez déjà réfléchi à celle-ci ?


CG : Ben déjà, on veut montrer par exemple les différentes étapes qui nous ont permis de faire le film, parce que ce qui est vraiment intéressant, c'est que 65% du film a été tourné entièrement sur fond vert, sur moquette verte même. Des scènes entières, tout le troisième acte sur le domaine de la Bête dans la brume, il y avait rien. Rien du tout. Donc c'est intéressant de le montrer, j'en ai parlé il y a encore deux jours avec le responsable vidéo de Pathé, on a commencé à parler de ça, de pouvoir faire un montage interactif où vous pouvez passer sur vraiment ce qui a été tourné, parce qu'il existe aussi une phase intermédiaire qui n'existe pas à mon avis dans les films d'effets spéciaux et qu'on a  pratiqué et qui nous a permis d'ailleurs de travailler avec, vraiment très proche de Richard et des gens qui nous finançaient. Avant de lancer les effets spéciaux on a remplacé tous les fonds verts par des peintures. Des peintures à plat. En fait les gens se déplaçaient sur des fonds plats et on faisait des petits effets de cello comme dans les vieux dessins animés japonais des années 70, ça bougeait un peu mais on a remplacé les fonds verts, et ça a permis de donner une idée de ce que seraient les effets spéciaux. C'est un truc qui se fait jamais, c'est une des raisons pour lequel notre film certainement coûte beaucoup moins cher que les films américains où là ils partent direct sur les effets spéciaux qu'importe les plans qui sont faits qui sont ensuite bazardés au montage…

C'est pas grave, les budgets sont à l'avenant. Mais nous, on ne pouvait pas se permettre ça, donc on a fait cette version intermédiaire et j'aimerais bien la montrer parce que c'est assez étonnant à regarder. Parce qu'évidemment toutes ces peintures ont été faites en fonction des mouvements de caméra, donc avec des distorsions pour les panoramiques, les mouvements de caméra… […] Il y a un livre qui va sortir une semaine après la sortie, un livre de 200 pages sur la fabrication du film et où il y a pas mal, justement, de reproductions des fameuses étapes intermédiaires pour arriver à ça.


Le Film doit exister dans sa forme première


Cette semaine il y a Crying Freeman qui sort en Blu-ray…


CG : Que j'ai restauré pendant que j'étais en train de monter celui-là. Au même endroit…


Justement il paraît que la qualité est moins bonne que sur le DVD…

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CG : Non, ben non non non, je l'ai supervisé moi-même. J'ai pu voir la comparaison, c'est vraiment très très supérieur puisqu'on est parti en fait du négatif, on a fait un tirage HD à partir du négatif original, donc ça a des détails que l'on n'a jamais vu avant. Moi j'ai vu que le texte des Années Laser où ils sont dithyrambiques, ils mettent 10/10. Quand je fais une restauration, je fais non seulement bobine par bobine et chaque fois je fais tirer spécialement un Blu-ray de contrôle pour le regarder sur les différentes télés sur lesquelles j'ai l'habitude de regarder des films. Donc généralement, je fais comme ça mon contrôle, donc c'est assez lent, assez précis mais ça me permet au moins d'être sûr de ce que je fais. Maintenant, tu sais, Crying Freeman c'est un film qui a été tourné pour très très peu d'argent et d'une certaine manière peut-être que ce qui apparaît clairement, c'est aussi les limites de budget du film. Il y a ça aussi, tu sais, c'est un film qui coûtait 6 millions de dollars canadiens de l'époque, c'est pas grand-chose […].

C'est toujours un peu la même chose, aujourd'hui on a pris l'habitude avec les tournages en haute définition et surtout des films avec une image extrêmement crisp comme celui-là, mais c'est vrai que Crying Freeman c'est un film, qui est mon premier film, fait dans des conditions un peu roots. Je pense que ça peut être un problème de perception des limites du film, il y a des plans avec du grain, il y a des choses comme ça, tu vois. Moi je vais pas changer la nature du film, je ne suis pas dans le révisionnisme, c'est-à-dire que oui, aujourd'hui, il y a des techniques qui nous permettraient, par exemple, de nettoyer le grain de certains plans, des trucs comme ça, mais moi je le fais pas parce que je pense que le film doit exister dans sa forme première. Moi je suis toujours énervé quand je vois des films sortir et puis les mecs ont tout changé. Ils ont changé le montage, ils ont refait l'étalonnage… Moi ça m'exaspère. Moi j'aime bien retrouver les films tels que je les ai aimés, avec parfois aussi même leurs limites ou leurs défauts. Donc je me suis abstenu en tous cas d'essayer de corriger certains défauts que peut avoir le film mais qui sont dus […] à ses limites. Star Wars par exemple, c'est vraiment dommage que l'on n'ait pas accès à la première version du film.


Emmener les gens dans notre tête


Justement en parlant de Star Wars, on peut regretter cette utilisation abusive des effets spéciaux, et même si ceux du film sont très bien, ne regrettez-vous pas de ne pas avoir pu tourner en extérieur ?


CG : Non, non non non, parce que très sincèrement ça fait partie du projet. Rien ne m'empêche demain de refaire un film en extérieur. C'est pas un problème. C'était vraiment parce que ça faisait partie du projet. Si tu veux, exactement comme j'ai tourné un film entièrement en extérieur avec Le Pacte Des Loups, là je me suis dit que ça serait intéressant de voir ce que ça donne de faire un film qui est exactement l'inverse. Et je crois qu'on doit se mesurer en fait aux différentes possibilités. C'est intéressant pour un metteur en scène de se dire : « bon y a un film que je vais faire avec des boots, où je vais être couvert de boue, où il va me pleuvoir sur la gueule pendant 140 jours » et puis après de dire : « ben celui-là je vais le faire et ça va être un tournage très calme, presque chuchoté, où il y a des combos partout pour regarder l'image ». […]

Personnellement il y a des choses vraiment qui me plaisent dans le film, par exemple la scène où elle court après la biche, qu'elle voit passer sous l'arbre, je trouve […] que le sous-bois est très beau… Et vraiment, elle courait juste suivie par une caméra sur un rail avec un petit moteur, il y a rien quoi. Et on voit le petit écureuil qui monte l'arbre. Je sais pas, il y a quelque chose de pictural dans la reproduction qui est vraiment intéressant. La seule scène que j'ai tournée vraiment en extérieur, complètement et qui est assumée, c'est la chasse à courre, avant que le prince arrive dans le jardin français, c'est la première séquence qu'on ait tournée d'ailleurs, elle a été tournée en extérieur dans des conditions parfaites. […]

Je trouve intéressant aujourd'hui, si je peux rentrer un peu plus dans le détail, […] que tout le XXe siècle au cinéma a consisté à prendre des gens et à les amener dans des endroits où ils n'iraient pas, où ils n'auraient pas la possibilité d'aller, le désert comme dans Lawrence D'Arabie, la montagne…

Et aujourd'hui j'ai l'impression avec le XXIe siècle et depuis Avatar qu’en fait les contrées où les cinéastes se proposent d'emmener les gens sont dans notre tête, c'est-à-dire que l'on est rentrés en nous-mêmes. Et je trouve intéressant de participer à ce mouvement. […] C'est pas inintéressant …


 

 

Un grand merci à Christophe Gans et Richard Grandpierre pour leur disponibilité, à Sophie Benoît et toute l'équipe de WayToBlue (@Waytobluefr) pour avoir pu organiser cette rencontre, et bien entendu également à l'équipe de Pathé (@PatheFilms) !

 

 

 

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