Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
3,7/5
En prenant la filmographie de Wes Anderson à rebours (c'est-à-dire que je ne connais que les dernières œuvres, et pars donc à la découverte des premiers films, comme pour Carpenter et Cronenberg), je pensais qu’on verrait des films de jeunesse pleins de bonnes intentions, techniquement peu aboutis mais dont la faiblesse de la structure serait compensée par l’enthousiasme et la créativité.
Ce n’est pas tout à fait cela.
Avec Rushmore, on tient un condensé précoce du cinéma d'Anderson : quasiment toutes les thématiques s’y retrouvent et certains « tics » de réalisation se font jour. Rushmore s’avère être une somme avant l’heure, d’un naturel confondant et dont les défauts, parfois grossiers, s’effacent devant les intentions.
D’abord, c’est un film de personnages (comme Bottle Rocket, on ne peut pas vraiment parler d’action, juste de péripéties scandant irrégulièrement une tranche de la vie des individus mis en scène). Max (étonnant Jason Schwartzman, avec ce visage lunaire et impassible trahissant mal les tourments), cet élève animant toute la vie culturelle et associative du lycée privé, refusant de quitter l’alma mater malgré des résultats insuffisants, semble être la face visible d'un même héros archétypal, trop adulte pour être enfant, trop immature pour être adulte, dont le revers serait incarné par Mr Blume (étonnant Bill Murray, évoluant comme en rôdage dans une progression géniale), industriel richissime engoncé dans une existence sans but et taisant tant bien que mal les aspirations de l’enfant qui sommeille en lui.
Dès la séquence initiale (une sorte d’hommage parodique à Will Hunting, sorti la même année), on sait que ce garçon au look improbable, bouillonnant d’énergie, va tour à tour nous agacer et nous impressionner, nous attendrir et nous faire rire. Dès la première intervention de Bill Murray (un discours dans lequel il déclare aux étudiants qu’il faut s’en prendre aux gosses de riches), on sait ce que nous cache cette moustache atypique et ce regard trouble.
Malgré encore un gros problème de rythme (les mois de novembre et décembre semblent occuper le métrage le temps de passer à la conclusion), on est fasciné, amusé, séduit par les tourments de Max, touche à tout génial mais étudiant médiocre, qui se frotte à la vie tout en refusant de grandir. Adulé par les plus jeunes, respecté par les plus anciens, il décontenance ses pairs qui le jalousent ou le suivent avec retenue, comme s'il évoluait dans un monde à part. Il va ainsi « réveiller » Mr Blume et susciter l'intérêt de cette jolie enseignante, Miss Cross, qui aura su le séduire simplement en déposant une annotation dans un livre de Jacques-Yves Cousteau (oui, on voit tout de suite la référence à la Vie aquatique – et elle n’est pas la seule ! Check out chez Cachou qui vous en parlera plus longuement dans son propre article parallèle). Pour notre plaisir à tous.
On trouvera aussi d’autres éléments caractéristiques désormais du cinéma de Wes Anderson : les références non voilées au cinéma qu’il affectionne ou qui a marqué sa jeunesse (des lignes entières de Heat ou d’Apocalypse now sont reconnaissables) ; la caractérisation appuyée des décors et l’accessorisation (sic) des costumes ; l’usage du ralenti sur des séquences-clefs – et notamment le finale – accompagné d’un choix de chanson toujours pointilleux (on s’étonnera un moment de celui d’une vieille chanson d’Yves Montand, puis on l’assimilera tout à fait) ; une planification écrite et colorée en forme de story-board (ici, le plan de vol de Margaret Yang qui ressemble au carnet de bord de Dignan dans Bottle Rocket). Et cet humour particulier, décalé, parfois piquant mais jamais crû, qui préfère l’ironie désenchantée à la moquerie cruelle et joue constamment aux frontières de l’absurde.
Rushmore n’est pas vraiment passionnant, on se perd un peu dans les atermoiements d’un personnage improbable qui concentre en lui les aspirations et les blessures, les sentiments et les expériences des deux coscénaristes. Le film est pourtant, par sa sincérité inhabituelle et sa justesse de ton, diablement séduisant.
Rushmore
Une comédie dramatique écrite et réalisée par Wes Anderson (1998), coécrite par Owen Wilson, distribuée par Touchstone Pictures avec Jason Shwartzman, Bill Murray, Brian Cox & Olivia Williams.
Un DVD Touchstone zone 2 anglais (2001).
2.35:1 ; 16/9 ; VOst ; 89 minutes.
Synopsis : Max Fischer est un élève très particulier de l’Académie Rushmore, lycée privé dans lequel il a été admis grâce à une bourse. Fils de coiffeur, il y a pris ses aises à tel point qu’il est président et fondateur de dizaines de clubs et d’associations culturelles, rédacteur en chef du journal et metteur en scène de pièces de théâtre très courues. Mais toute cette activité créative et cette imagination débordante nuit à son cursus et, en raison de ses résultats en berne, il est régulièrement menacé d’expulsion. Or voilà que deux rencontres vont bouleverser sa vie déjà bien remplie : celle d’un riche industriel se morfondant dans un quotidien délétère et d’une jeune institutrice fort séduisante…