Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Il a fallu quasiment 10 ans à Bong Joon Ho pour mettre en scène Snowpiercer, Le Transperceneige, l'adaptation de la bande dessinée française éponyme. Un projet colossal pour le réalisateur coréen, qui offre au public l'un des meilleurs films de science-fiction de l'année.
Le réalisateur de The Host, Memories of murder et Mother est venu faire un petit coucou à Paris pour présenter son film en avant-première mondiale avant sa projection pour la clôture du Festival de Deauville. Son nouveau film (le plus cher de l'Histoire de son pays avec ses 30 millions d'euros de budget) fait déjà un carton en Corée, battant des records de pré-vente bien avant sa sortie, devenant même un petit phénomène de mode (relançant la vente de pâtes de haricots rouge gélifiés, ressemblant étrangement aux barres protéinées du film).
C'est il y a 8 ans, dans une librairie spécialisée près de l'université de Hongik, que Bong Joon Ho découvre la bande dessinée. Cette histoire de train grouillant de vie, circulant sans arrêt comme un serpent dans un paysage post apocalyptique, l'inspire immédiatement. Il suggère l'idée d'en faire un film à Park Chan-wook et Lee Tae Hun qui obtiennent les droits d'adaptation de l'histoire en 2006. Le scénario est écrit en 2010, la pré-production s'effectue au cours de l'année 2011, pour un tournage en République Tchèque (dans les plus longs studios d'Europe) démarrant en avril 2012.
Intelligemment adapté pour l'écran avec ses nouveaux personnages et son histoire retravaillée, Snowpiercer est un film éprouvant. Ce n'est pas forcément l'œuvre ultime que l'on était en droit d'attendre, le métrage étant assez mal équilibré par moments avec des scènes s'étirant trop ou d'autres à l'inverse étant trop courtes, mais c'est d'une telle richesse et d'une telle profondeur qu'il ne faut surtout pas passer à côté lors de sa sortie.
Le fil conducteur de l'histoire ressemble fortement à celui d'Elysium avec cette lutte des classes et cette progression vers les strates supérieures synonymes de salut et de redistribution du pouvoir. Mais le contexte et le postulat sont bien plus logiques dans le film de Bong Joon Ho, qui réussit ce que Neill Blomkamp n'arrive pas à faire. Le scénario d'Elysium joue beaucoup trop avec les coïncidences, et ses nombreuses facilités ou astuces ne sont pas totalement cohérentes dans un monde décrit comme aussi vaste. Au contraire, la simplicité du monde de Snowpiercer joue en sa faveur, et l'histoire devient tout d'un coup plus fluide, les spectateurs acceptant plus aisément les motivations des personnages et la très forte symbolique des images alimente un message plus approfondi qu'il ne paraît au premier abord.
Snowpiercer a un aspect hypnotisant dans le mouvement perpétuel qu'il impose aux spectateurs. Le train avance sans jamais stopper, et les personnages avancent également à l'intérieur, de l'arrière vers l'avant, sans s'arrêter ou retourner en arrière. Il en résulte une énergie communicative mais aussi une instabilité dérangeante. Associez cette sensation de vitesse à l'étroitesse des couloirs dans lesquels les protagonistes se déplacent, et vous aurez une idée de l'impression d'enfermement et d'oppression que véhicule le Transperceneige. Car le film est sombre et le propos est d'une noirceur déconcertante, tranchant radicalement avec l'éclatante blancheur de la neige qui entoure le train. Mais le plus déstabilisant reste sans doute la caractérisation des personnages. Alors que l'on pense facilement interpréter leurs actions et deviner leur caractère au début, on s'aperçoit que l'on avait assez faux et certains dialogues étonnent par leur violence, y compris dans la bouche de celui que l'on imagine être l'un des héros. On comprend vite que tout peut arriver dans le film, que rien n'est figé. C'est l'une des caractéristiques de la filmographie de Bong Joon Ho, dont toutes les œuvres partagent la thématique de la recherche d'identité, particulièrement les erreurs d'identification. Une obsession renforcée par les changements de tons, on passe d'une scène d'horreur a une scène de comédie nonsensique, d'une atmosphère à une autre à chaque compartiment. De ce fait, le public finit par être complétement désorienté, à l'instar des protagonistes évoluant entre cauchemar et rêve, dont l'un d'eux explique qu'il faut être fou pour pouvoir s'adapter à la survie dans ce train.
La mise en scène de Bong Joon Ho est toujours aussi travaillée et si elle pourra paraître moins inspirée que pour ses précédents longs métrages, elle reste d'une efficacité remarquable. Le casting est particulièrement réussi, Chris Evans étant probablement le plus étonnant, dans un rôle à contre-emploi de son Captain America. Tilda Swinton et Song Kang Ho sont parfaits et ont l'air de s'être amusés à camper des personnages aussi mystérieux.
On pourra regretter que la relative faiblesse du budget impacte sur la qualité perfectible de certains effets comme les décors en extérieur.
En l'état, Snowpiercer est un film déconcertant, oppressant et ludique (le public va de surprise en surprise à chaque compartiment). Ne ratez pas le train, le voyage vaut le coup d'œil. Un nouveau grand film pour un réalisateur à suivre.
Ma note (sur 5) : |
4 |
|
Titre original |
Snowpiercer |
Mise en scène |
Bong Joon Ho |
|
Date de sortie France |
30 octobre 2013 |
|
Scénario |
Bong Joon Ho & Kelly Masterson, d'après la BD de Lob, Legrand & Rochette |
|
Distribution |
Chris Evans, Octavia Spencer, Tilda Swinton, Jamie Bell, Song Kang Ho, John Hurt & Ed Harris |
|
Durée |
126 minutes |
|
Musique |
Marco Beltrami |
|
Photographie |
Hong Kyung Pyo |
|
Support |
35 mm ; 1.85:1 |
|
Son |
VF & VOst DD 5.1 |
Synopsis : 2031. La Terre n’est plus qu’une étendue gelée. Les derniers survivants sont à bord d’un train condamné à tourner autour de la planète.