Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Attendue comme le loup blanc, cette énième variation sur le personnage créé par Ian Fleming se devait de marquer son 50e anniversaire d’une manière durable, efficace et symbolique. Si l’entreprise n’est pas originale (on ne compte plus les franchises qui s’adonnent à un reboot sur fond de remise en question, mort et renaissance), elle a le mérite de permettre de repartir sur des bases plus saines, moins alourdies par des décennies d’artefacts et d’interprétations se contredisant parfois, et d’ouvrir ainsi le champ des possibles.
On sait à quel point le tournage a été bouleversé, on ne reviendra pas là-dessus. Le résultat, en tous cas, est extraordinaire. Du casting impeccable, voire osé, au choix du compositeur ou du metteur en scène, tout semble couler de source et s’amalgamer en une symphonie parfaitement exécutée. C’est fluide, soyeux, d’une rare élégance, à l’image de cette photographie travaillée mettant systématiquement le personnage en avant malgré des fonds aussi exotiques que transparents (inutile de chercher le détail de la vie quotidienne sur les lieux de tournage : Londres, Istanbul ou Macao ne servent que de décors, plus ou moins lumineux, plus ou moins ornés, mais ne faisant jamais d’ombre aux protagonistes). Au milieu de tout cela, Bond court, se bat, meurt et ressuscite. Héros de l’ombre, agent d’un autre temps, mais constamment en prise dans son époque (malgré les judicieux et jubilatoires clins d’œil aux symboles des premiers films de la franchise, la nostalgie n’est jamais de mise, bien au contraire), loin de ce qu’on avait pu faire subir au pauvre McClane dans Die Hard 4. Ici, 007 apparaît, réapparaît comme l’icône d’une force implacable : digne, ses épaules larges bien campées sur deux jambes légèrement écartées, prêt à la riposte. Et son regard aigu se porte sur un avenir qui, quoique bien sombre, pourra compter sur sa force de caractère, son savoir-faire. Ni plus rapide, ingénieux ou séduisant que les précédents locataires du smoking et du Walther PPK, celui-ci est peut-être le plus endurant et, bien qu’il lui en coûte, le plus digne de confiance.
On pourra chipoter, bien entendu. La scène d’introduction, quoique étonnamment longue et rythmée, ne propose strictement rien de nouveau. Les multiples rebondissements ne surprendront pas vraiment. Même la personnalité complexe de Silva, cet être retors qui semble tirer les ficelles, ne semble pas révolutionnaire : on y trouvera des échos subtils d’Hannibal Lecter mâtiné du Joker de Nolan. Mais malgré une structure similaire, les comparaisons avec la trilogie contemporaine de Batman n’ont pas lieu d’être : Bond ne se sacrifie pas pour mieux renaître – il revient poussé par la seule chose qui le fasse encore un peu avancer (la loyauté), et enterrera son passé douloureux en grande pompe, et avec une classe terrible.
Craig, son torse musculeux, ses yeux perçants, sa mâchoire serrée retenant mal un rictus de douleur ou un sourire ironique, Craig est impeccable, tour à tour silhouette renvoyant automatiquement à Sean Connery et homme d’action brutal. A ses côtés, dans un triptyque malicieux, Fiennes construit petit à petit sa raison d’être et Judi Dench s’affirme avec justesse comme la mère qu’il a perdue. Quant à Bardem, il parvient à nous bluffer, instillant le malaise par un simple rire, un geste équivoque, une parole mystérieuse. Toute l’approche du finale est somptueuse et ramène aux sources du mythe, pour mieux se débarrasser d’oripeaux trop voyants afin de le faire renaître.
Un excellent spectacle. Un des meilleurs films de l’année.
Ma note (sur 5) : |
4,5 |
Note moyenne au Palmarès (septembre 2012) : |
3,93 |
Skyfall
Mise en scène |
Sam Mendes |
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Genre |
Espionnage |
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Production |
Columbia & MGM ; distribué en France par Sony Pictures Releasing France |
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Date de sortie France |
26 octobre 2012 |
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Scénario |
Neal Purvis, Robert Wade & John Logan d’après l’oeuvre de Ian fleming |
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Distribution |
Daniel Craig, Judi Dench, Ralph Fiennes & Javier Bardem |
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Durée |
143 min |
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Musique |
Thomas Newman |
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Support |
HDDC 35 mm |
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Image |
2.35 :1 ; 16/9 |
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Son |
VF DD 5.1 |
Synopsis : Lorsque la dernière mission de Bond tourne mal, plusieurs agents infiltrés se retrouvent exposés dans le monde entier. Le MI6 est attaqué, et M est obligée de relocaliser l’Agence. Ces événements ébranlent son autorité, et elle est remise en cause par Mallory, le nouveau président de l’ISC, le comité chargé du renseignement et de la sécurité. Le MI6 est à présent sous le coup d’une double menace, intérieure et extérieure. Il ne reste à M qu’un seul allié de confiance vers qui se tourner : Bond. Plus que jamais, 007 va devoir agir dans l’ombre. Avec l’aide d’Eve, un agent de terrain, il se lance sur la piste du mystérieux Silva, dont il doit identifier coûte que coûte l’objectif secret et mortel…