Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Ocean’s eleven est, en soi, un film agaçant. Le charisme de ses interprètes, la munificence de ses décors, l’éclat de sa bande-son, la qualité de sa photo et le talent de son metteur en scène y sont paradoxalement pour beaucoup. C’est peut-être ce charme fou, quasiment autoproclamé, cette coolitude revendiquée qui peuvent taper sur les nerfs. A moins qu’on ne soit tout simplement jaloux de la classe hallucinante de George Clooney (quelqu’un au monde porte-t-il aussi bien le tuxedo ? Ah, on me souffle dans l’oreillette que, peut-être, Daniel Craig…).
Peut-être…
On y reviendra. Toujours est-il que ce remake de l’Inconnu de Las Vegas, qui se permet le luxe de faire d’énormes clins d’œil à son aîné (les caméos de Henry Silva et Angie Dickinson), peut souffrir d’une forme de paresse scénaristique : la mécanique est bien huilée, le découpage est clair et ludique et la progression de l’intrigue assez fluide, avec suffisamment de non-dits pour construire habilement le suspense et la chute. Evidemment, cette habileté, qu’on ne peut nier, peut aussi exaspérer, en ce sens qu’elle sert sans doute à masquer quelques insuffisances, quelques facilités ou un manque de prise de risques. D’ailleurs, tout le film peut se voir comme une gigantesque dose de poudre aux yeux, avec cette galerie d'acteurs illustres qui paraissent vraiment s’amuser, au point même qu’on a parfois l’impression d’assister à une petite partie entre potes, bardée de private jokes qui nous laissent à l’écart – une impression autrement plus intense dans la suite, Ocean’s Twelve, qui pour le coup ressemble davantage encore à un gros foutage de gueule.
Il n’empêche que l’emballage est si séduisant que je ne peux qu’y adhérer. Regardez ainsi le soin méticuleux avec lequel on entre dans le monde des casinos de Las Vegas : un clin d’œil sur les anciennes gloires du Strip en train d’être démolies, remplacées par ces géants que sont devenus les hôtels-casinos, véritables villes dans la ville. Tout y est bâti pour que le client moyen puisse s’y sentir à l’aise sans jamais éprouver le besoin d’en sortir. Le film est ainsi fait : on s’y sent en sécurité, bien engoncé dans des codes parfaitement établis, avec ce qu’il faut de glamour, de clinquant, de luxe et de violence pour qu’on n’ait pas envie de s'en extraire. En ce sens, le choix du casino Bellagio est d’importance : il n’est peut-être pas le plus grand, le plus imposant des établissements de Vegas, mais il est incontestablement le plus beau. Bien sûr, vous aurez droit à tout le bling bling traditionnel, mais la qualité des décors est largement supérieure à ce qu’on trouve chez les concurrents : ses terrasses fleuries, ses parterres multicolores enchantent les yeux et parfument subtilement une atmosphère chaleureuse qui se veut proche d’une néo-Renaissance rutilante. Les allées sont larges, espacées et claires et les devantures des boutiques n’ont pas le côté agressif qu’on peut trouver ailleurs, que ce soit dans les premiers établissements du genre (le Circus Circus par exemple) ou dans ces montres que sont le MGM Grand ou le Caesar Palace dont le stuc doré et le kitsch outrancier commencent à fortement dater. Il serait assez intéressant de visionner le Casino de Scorsese avant Ocean’s Eleven et de confronter ces deux époques.
C’était sans aucun doute une gageure que de pouvoir tourner plusieurs semaines à l’intérieur du Bellagio ; il aura fallu une bonne dose de patience et le talent de persuasion du producteur Jerry Weintraub pour y parvenir. Au final, les deux parties y trouveront leur compte, puisque le casino drainera davantage de monde et s’inspirera des décors proposés par les artisans du tournage, tandis que Soderbergh magnifiera son film avec des prises de vues in situ du plus bel effet (j’avoue que moi aussi j’ai cédé à la tentation de me recueillir devant les jeux d’eau entre le Bellagio et le Mirage – sauf que là, il y avait un monde fou).
A part cela, les comédiens font le travail. Ne revenons pas sur Clooney qui est complètement dans son élément, la mèche impeccable et le sourire indicible, cependant la relation qu’il entretient avec Pitt est un autre atout du film, avec ce second degré auto-alimenté assez jouissif. Ce dernier lui tient d'ailleurs la dragée haute avec un panache tout en retenue et un jeu d'une aisance raffinée, emplissant les scènes de gimmicks plutôt sympathiques (il passe sont temps à manger quelque chose à l'écran) qui rappellent par moments Steve McQueen. Andy Garcia impressionne et parvient à être crédible en super-patron méthodique au self-control calculé et à la violence tenue en laisse. Don Cheadle est très bon, comme toujours, et la sobriété de son jeu (malgré un acent cockney complètement raté) met bien en valeur ses partenaires. La palme revient à Elliott Gould, admirable d’auto-dérision, version déjantée de son rôle de papa de Monica dans Friends.
La bande-son rassemble un savant mélange de différents genres, avec du Debussy enchaîné sur du Quincy Jones puis du Elvis Presley ainsi que des touches de Duke Ellington, David Holmes construisant un lien jazzy dans tout cet assemblage apparemment hétéroclite. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle fonctionne plutôt bien.
Le Blu-ray délivre une image de qualité et fait ressortir les tons chauds de la photo, très soignée, ainsi qu'un agréable grain très cinéma, qui ressortira dans quelques séquences bardées de filtres. On regrettera l’absence d’une piste son en HD, mais la VO en Dolby Digital est assez démonstrative et le caisson de basses vrombira dans quelques plans (la discothèque où Danny va chercher Rusty, la destruction d'un hôtel - qui devait être le New-York New-York mais a été modifié en post-production pour ne pas froisser les douloureux souvenirs du 11 septembre).
Titre original |
Ocean’s Eleven |
Date de sortie en salles |
6 février 2002 avec Warner Bros. |
Date de sortie en vidéo |
7 mai 2002 avec Warner Bros. |
Date de sortie en VOD |
13 octobre 2008 |
Photographie |
Steven Soderbergh |
Musique |
David Holmes |
Support & durée |
Blu-ray Warner (2007) region ALL en 2.40 :1/116 min |