Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Il a fallu 16 ans pour transposer l'autobiographie de Nelson Mandela au cinéma. Un travail de longue haleine pour le producteur Anant Singh, directement choisi par Madiba lui-même pour raconter son histoire. Interprété par un casting exceptionnel et déférent, le film dressant le portrait de cet immense humaniste est captivant de bout en bout, malgré de trop nombreuses ellipses et une réalisation académique.
Résumer 80 années d'une vie aussi extraordinaire n'est pas chose aisée. Surtout dans un film d'un peu moins de deux heures et demie. Désigné par Nelson Mandela pour adapter son autobiographie, le producteur Anant Singh choisit de faire appel à un scénariste oscarisé, William Nicholson (Gladiator), pour s'acquitter de cette lourde démarche, les deux hommes ayant collaboré 23 ans plus tôt sur Sarafina ! 16 ans furent nécessaires pour concrétiser un scénario convenable (modifié 34 fois !), non sans laisser de côté quelques événements importants qui auraient pu alourdir ce récit déjà dense. A raison, Nicholson privilégia l'histoire de l'homme derrière le symbole, et mis l'accent sur sa relation avec sa seconde femme, Winnie. Une manière d'aborder un aspect du personnage assez peu connu, et, comme le dit Justin Chadwick, le réalisateur, de « faire craquer le vernis apparent ».
On a tous l'impression de connaître Mandela, on connaît tous les grandes lignes du parcours de cet humaniste : son combat contre l'apartheid au Congrès National Africain, son adhésion à la doctrine de non-violence, son revirement en 1961 lorsqu'il fonde une branche militaire prônant l'action armée (Umkhonto we Sizwe) suite au massacre de Sharpeville, son arrestation l'année d'après et son emprisonnement pendant 25 ans, son élection à la Présidence de l'Afrique du Sud en 1994. Pourtant, en sortant de la projection de Mandela : Un Long Chemin Vers La Liberté, on se dit que l'on ne connaissait finalement que le mythe, qu'un symbole. Car l'on découvre avec ce film une autre facette de son histoire, une version intime de la vie d'un homme poussé presque malgré lui dans un combat politique. Ainsi, la principale qualité du scénario est de nous en apprendre plus sur sa vie privée, sur son intimité, sur son rapport aux autres, se permettant de jouer avec l'image pure que l'on se fait de lui sans jamais la ternir non plus. Le film cherche à mettre en avant l'environnement familial de Madiba, les liens qu'il avait avec ses femmes, et toutes les petites inspirations qui l'ont conduit à devenir cet homme d'Etat aussi influent et apprécié. En essayant de le décrire avec le plus de réalisme possible, avec ses imperfections, ses faiblesses, son intelligence et sa détermination, Justin Chadwick contribue tout simplement à l'humaniser, à le rendre proche de nous. En ce sens, Idris Elba se révèle être le meilleur choix possible tant il déborde de talent. Il a un charisme, une aisance naturelle, avec un soupçon de charme, d'élégance, de raffinement. A ses côtés, Naomie Harris est tout aussi épatante dans le rôle de sa seconde femme, Winnie, dont le traitement à l'écran est l'une des bonnes surprises. En revanche, on ne peut pas en dire autant en ce qui concerne le personnage de sa première femme, Evelyn, dont l'histoire reste mystérieuse, et qui illustre le défaut du film : son rythme. Pour arriver à ce qui semble particulièrement intéresser le réalisateur, la condamnation de Madiba, le scénario enchaîne les scènes bien trop rapidement. Les ellipses empêchent toute implication du spectateur, qui n'arrive pas forcément à resituer chaque événement. Le premier mariage de Nelson Mandela est tout juste évoqué par exemple. Le scénario captive, mais il est assez difficile de rentrer dans le film. Cependant, dès l'arrestation, le film se pose et commence à entrer dans le vif du sujet: l'évolution en parallèle du couple. Alors que Nelson Mandela envisageait le pardon, Winnie devenait une militante prônant la violence. Ils venaient de se marier lorsqu'il fut emprisonné, et la femme apolitique et douce qu'il avait autrefois côtoyée était devenue avide de vengeance à sa sortie de prison. Il s'agit probablement de la plus belle idée du scénario que de se focaliser sur leurs parcours respectifs. Et c'est clairement de cette confrontation (qui se répercute sur tout un pays) que vient l'émotion. On aurait simplement aimé, en vue de cette orientation, que la première partie du film s'inscrive dans cette démarche et approfondisse le premier changement de perception de Mandela, qui passe de la non-violence à la confrontation armée, afin de mieux souligner, par la suite, sa décision de pardonner son ennemi. Malgré tout, le film fonctionne bien et arrive à émouvoir grâce à des scènes particulièrement réussies (les retrouvailles en prison, les lettres « découpées » de Winnie).
On pourrait reprocher au film de Chadwick sa réalisation qui ne prend pas beaucoup de risques, et semble manquer d'inspiration. Néanmoins, le véritable intérêt de ce long-métrage réside dans son écriture, et si la première partie manque de liant, le reste de l'histoire est tout simplement bouleversant. Idris Elba et Naomie Harris sont parfaits, et apportent l'éclat qu'il manque à la mise en scène. Un film simple, honnête et intéressant, qui ne prétend pas être le film « référence » sur Nelson Mandela, mais qui apporte un point de vue nouveau sur l'homme. Un bon film.
Ma note (sur 5) : |
4 |
Titre original |
Mandela : Long Walk To Freedom |
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Mise en scène |
Justin Chadwick |
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Date de sortie France |
11/12/13 |
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Scénario |
William Nicholson, d'après Nelson Mandela |
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Distribution |
Idris Elba & Naomie Harris |
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Musique |
Alex Heffes |
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Photographie |
Lol Crawley |
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Support & durée |
2.35 :1 ; 35 mm/146 min |
Synopsis :
Né et élevé à la campagne, dans la famille royale
des Thembus, Nelson Mandela gagne Johannesburg où il va ouvrir le premier cabinet d’avocats noirs et devenir un des leaders de l’ANC.
Son arrestation le sépare de Winnie, l’amour de sa vie qui le soutiendra pendant ses longues années de captivité et deviendra à son tour une des figures actives de l’ANC.
À travers la clandestinité, la lutte armée, la prison, sa vie se confond plus que jamais avec son combat pour la liberté, lui conférant peu à peu une dimension mythique, faisant de lui l’homme
clef pour sortir son pays, l’Afrique du Sud, de l’impasse où l’ont enfermé quarante ans d’apartheid. Il sera le premier Président de la République d’Afrique du Sud élu
démocratiquement.