Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Second film pour l'auteur de bandes dessinées Riad Sattouf, qui, après avoir été césarisé pour ses Beaux Gosses, allait devoir confirmer son talent de réalisateur. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'avec son Jacky Au Royaume Des Filles il ne cherche pas la facilité. Mais l'originalité évidente du projet ne suffit pas à en faire un excellent film, la faute à une écriture maladroite ne trouvant que rarement le ton adéquat entre satire et conte moderne.
Inspiré de l'une de ses bandes dessinées, le nouveau film de Riad Sattouf avait sur le papier de quoi plaire : une idée originale consistant à inverser les rapports hommes/femmes dans un univers inventé de toute pièce, sorte de miroir de notre société permettant de mettre en avant ses plus grands paradoxes. Le postulat de départ, une relecture moderne de Cendrillon, a de quoi intriguer, d'autant que Sattouf en profite pour agrémenter son récit de quelques touches politiques et religieuses. Le Royaume De Bubunne puise ainsi son inspiration dans de nombreux pays (on pense bien entendu à la Corée du Nord) et dans de nombreuses croyances (la fameuse voilerie renvoie autant à la Burqa qu'à la Kesa, agrémentée d'une variation de la Kippa, par exemple). La direction artistique est franchement réussie, et le niveau de détails pour rendre crédible le film est tout simplement ahurissant (langage inventé, police d'écriture…). Venu présenter son film, le réalisateur (accompagné par sa productrice Anne-Dominique Toussaint et du talentueux Anthony Sonigo) fait preuve d'audace avec cet étrange long-métrage, gentiment provoquant, et se montre comme un acharné de travail, allant jusqu'à jouer dans le film et composer la bande originale. En deux films seulement, l'œuvre de Riad Sattouf prend forme, avec ses thématiques et ses codes (la place particulière de l'alimentation dans ses deux films, les distributeurs de bananes dans Les Beaux Gosses, et le liquide nutritif dans Jacky…).
Mais l'on constate très rapidement que le concept, si fort et inventif soit-il, s'essouffle au bout de quelques scènes, et que ce qui fonctionne bien dans un format n'est pas nécessairement adapté pour un autre, d'autant plus sous forme de long-métrage. Ainsi, il est assez difficile de rentrer dans cet univers et d'accepter cette réalité alternative tant le scénario semble partir dans tous les sens, sans jamais arriver à garder une ligne de conduite intelligible. En outre, le spectateur peut se retrouver à effectuer une sorte de gymnastique, en cherchant à inverser de nouveaux les rôles pour comprendre où le réalisateur veut en venir. Rien de vraiment gênant, mais cela peut perturber l'identification. Le plus regrettable reste son écriture maladroite, allongeant certains gags inutilement et évacuant à l'inverse certaines bonnes idées qui se trouvent tout juste esquissées. Un certain nombre de séquences traînent en longueur, tandis que d'autres, notamment lors de la dernière partie, sont étonnamment expédiées. Enfin, contrairement aux Beaux Gosses, Jacky n'est pas spécialement hilarant. On sourit, bien entendu, mais on ne rit qu'en de rares occasions. L'idée est plus drôle que sa représentation concrète. On pourra noter néanmoins l'interprétation géniale de tous les acteurs, tous très bien dirigés. Et puis, un film dans lequel les personnages vouent une sorte de culte à un Poney télépathe appelé Chevallin, ne peut pas être nul.
Mais c'est bien parce que son précédent film était absolument génial que nous sommes plus exigeants. Riad Sattouf reste un metteur en scène captivant, et rares sont les auteurs à prendre autant de risques dans le paysage audiovisuel français, notamment dans le milieu de la comédie. Le réalisateur a le mérite de proposer un long-métrage inventif, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne laisse pas de marbre. A voir pour se faire sa propre opinion, sans préjugés. En tous cas, ce n'est certainement pas un film banal.
Ma note (sur 5) : |
3 |
Titre original |
Jacky au royaume des filles |
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Mise en scène |
Riad Sattouf |
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Date de sortie France |
29 janvier 2014 |
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Scénario |
Riad Sattouf |
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Distribution |
Vincent Lacoste, Charlotte Gainsbourg, Didier Bourdon & Anémone |
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Photographie |
Josée Deshaies |
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Musique |
Riad Sattouf |
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Support & durée |
35 mm / 90 min |
Synopsis : En république démocratique et populaire de Bubunne, les femmes ont le pouvoir, commandent et font la guerre, et les hommes portent le voile et s’occupent de leur foyer. Parmi eux, Jacky, un garçon de vingt ans, a le même fantasme inaccessible que tous les célibataires de son pays : épouser la Colonelle, fille de la dictatrice, et avoir plein de petites filles avec elle. Mais quand la Générale décide enfin d’organiser un grand bal pour trouver un mari à sa fille, les choses empirent pour Jacky : maltraité par sa belle-famille, il voit son rêve peu à peu lui échapper...