Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
On l'attendait avec impatience depuis son annonce, parcourant les sites web à la recherche de la moindre information susceptible de nous en apprendre plus sur ce mystérieux projet, pourtant, rien ne nous avait préparés à la monstrueuse claque qui nous a été donnée par Alfonso Cuarón. Gravity nous propulse dans l'espace, pendant une heure et demie, nous faisant oublier le confort de la salle de cinéma dans laquelle il est diffusé. Immersion, sensations, émotions. Un film révolutionnaire, un classique instantané, une date dans l'Histoire du cinéma.
Gravity, c'est le film de tous les superlatifs. Difficile de ne pas s'extasier devant un tel chef d'œuvre. On sort de la salle dans un état proche de l'euphorie, la tête encore dans les étoiles, conscient d'avoir vu une production unique en son genre. D'ailleurs, il vous faudra un certain temps pour revenir sur Terre après la séance.
Mis en scène par un réalisateur qui ne cesse de nous surprendre, Gravity représente une nouvelle étape dans l'Histoire du cinéma. Son directeur, Alfonso Cuarón, s'était fait connaître avec La Petite Princesse, De grandes espérances et Et … ta mère aussi ! Mais ce fut son arrivée sur la saga Harry Potter qui le révéla réellement au public. En insufflant plus de réalisme, de détails et de vie à l'univers du jeune sorcier, il venait de relancer la saga sur de bons rails. Harry Potter & The Prisoner of Azkaban est ainsi bien souvent cité comme le meilleur épisode. Deux ans plus tard, Cuarón réalisait un film d'anticipation terrifiant mais porteur d'espoir, Les Fils de l'Homme, totalement passé inaperçu lors de sa sortie en salle. Commençant tout juste à être vraiment réhabilité, ce film constituait une petite prouesse technique avec ses nombreux plans séquences d'une virtuosité bluffante. Prouvant qu'il savait intelligemment mettre la technologie au profit de l'histoire, le réalisateur était dorénavant attendu au tournant pour ses prochains longs-métrages. Ainsi, lorsque la Warner annonça Gravity, projet aussi mystérieux qu'apparemment ambitieux, il n'en fallait pas plus pour attirer l'attention des amoureux du 7e Art.
Car avec Gravity, Cuarón allait devoir faire face à un double défi à la fois technique et narratif.
Technique, car le dispositif pour tourner ce film se déroulant dans l'espace est une évolution du Light stage (pour rappel, un dôme combinant lumières et caméras permettant de scanner un acteur), amélioré pour l'occasion par les équipes de Cuarón. Ayant participé à l'élaboration de plus en plus poussée du cinéma virtuel, le réalisateur mexicain côtoie désormais les pionniers Robert Zemeckis, Steven Spielberg, James Cameron, David Fincher et Peter Jackson. Il est assez difficile de connaître exactement les conditions de tournage de Gravity. George Clooney aurait déclaré qu'il ne tournerait plus dans un film en 3D. On sait pourtant que le relief a été post-produit, le film étant quasiment constitué d'images numériques. Il devait sans doute parler du procédé de performance capture. Or, même après avoir vu le film, il est impossible de connaître la nature exacte des images que l'on a vues. Il est évident que tout ce qui touche à l'espace et aux combinaisons des astronautes est en images de synthèse, mais qu'en est-il du visage des comédiens ? Performance capture - en gros les visages seraient entièrement recréés - ? Visages « photochimiques » ajoutés à des corps virtuels aux mouvements capturés ? Mélange des deux ? Le doute subsiste encore. Toujours est-il que Cuarón a su savamment garder le secret, et que la technologie employée dans Gravity marque un pas considérable dans l'avancée des effets spéciaux photoréalistes.
Narratif, car il faut un certain courage pour vouloir mettre en scène un scénario aussi singulier. Pendant une heure trente, nous suivons, en quasi temps réel, le parcours (physique et émotionnel) de deux astronautes perdus dans l'immensité de l'espace suite à la destruction de leur navette. Privés de tout contact, ils vont devoir faire preuve de détermination pour essayer de regagner la Terre.
Le postulat ressemble étonnamment à L'Odyssée de Pi. Mais si ce dernier fait la part belle à l'onirisme et laisse à ses spectateurs le soin de choisir quelle version de l'histoire il préfère (en les renvoyant donc à leur fonction première, distante et critique), le film de Cuarón est au contraire très premier degré et favorise l'immersion. Le spectateur n'est plus voyeur ou dans sa démarche analytique, il est acteur.
Sachez que tous les moyens techniques et narratifs sont en œuvre pour favoriser l'immersion. Cuarón a compris qu'en privilégiant l'impression de réalité, de tangibilité, les émotions qu'il souhaite transmettre seront décuplées ou mieux perçues. Le relief n'est de ce fait en aucun cas un argument commercial ou un amusement futile, mais il participe au contraire de la volonté de casser la frontière écran/spectateur. Il en est de même pour sa mise en scène, collant de très près aux personnages, brisant de la même manière la barrière de l'intimité (le spectateur allant jusqu'à se retrouver dans le casque de Sandra Bullock ou à prendre part à l'action avec la vue subjective).
On retrouve des plans séquences d'une maîtrise hallucinante, dont le premier, celui qui ouvre le long-métrage, dure un peu plus de 15 minutes (soit 1/6 du film !). Jamais gratuite, jamais prétentieuse, la mise en scène sert totalement son sujet. La caméra semble en apesanteur, accélérant ou ralentissant suivant le rythme imposé par la séquence.
En d'autres termes, jamais nous n'avions eu l'impression d'être autant plongés dans un film. Pendant une heure et demie, nous ne sommes plus soumis à la gravité. A aucun moment nous ne pouvons remettre en cause ce que nous voyons.
C'est un drame, un film d'action, un survival, un conte ancré dans une certaine réalité. Dès le début, avec ses encarts décrivant l'impossibilité de vivre dans l'espace, Cuarón impose une œuvre d'une rigueur scientifique parfaite. Parce que l'on accepte très facilement la réalité de l'univers qui prend vie sous nos yeux, on pourra se focaliser encore plus aisément sur l'histoire. Si la simplicité du scénario pourra en étonner plus d'un, elle permet de se projeter totalement à la place de l'héroïne. On ressent toute la palette d'émotions qu'elle traverse, on est submergé de sensations. Le récit est d'une logique implacable, il a quelque chose d'universel qui fait que n'importe qui, n’importe où, pourra le vivre en en comprenant parfaitement les enjeux.
Tour à tour stressant, anxiogène, terrifiant, beau, émouvant, hypnotique, Gravity est un film excitant, respirant l'intelligence, où chaque choix est cohérent et justifié. Que l'on recherche un simple ride à sensations fortes digne d'un parc d'attraction, ou un film beaucoup plus profond, Gravity saura vous convaincre.
D'une richesse thématique vertigineuse, il traite des éléments opposés (silence et sons), différences d'échelle (travail sur les reflets dans les casques par exemple), dualité, jeux sur les facettes des personnages à l'image des deux faces de la Terre (éclairée ou non) et des attractions (un indice dans son nom…), des métaphores (lorsque la vie ne tient qu'à un fil… un indice dans l'accroche de l'affiche), met en avant les relations homme/femme, l'infiniment grand et l'infiniment petit (lorsque la plus petite cause engendre des conséquences bien plus grandes, à l'instar de la théorie de l'effet papillon), le passé et l'avenir, le renoncement et l'espoir…
Ce phénomène d'attraction/répulsion, à l'écran, se traduit par les mouvements des personnages attachés à une corde, tantôt se rapprochant, tantôt s'éloignant. Parfois il faut savoir s'y accrocher, parfois il faut savoir s'en détacher, ou lâcher tout simplement prise. La corde devient une représentation concrète de l'état d'esprit des personnages. Chaque événement du film suit d'ailleurs cette logique. Chaque épreuve que doit affronter le personnage principal a un sens et une raison d'être.
Cette notion de contraires, de contrastes, s'exprime aussi dans le mixage. La musique n'est jamais envahissante, et illustre à la perfection le film, entre silence et bruits à la limite de l'assourdissant (le générique au début monte en puissance avant de reprendre un silence glaçant). La bande son a un impact considérable sur la perception du spectateur. Respectant scrupuleusement les lois de la physique, Cuarón choisit de ne nous faire entendre les sons qu'au travers des micros des astronautes. Outre les dialogues, les seuls bruits que nous entendons sont des échos retransmis par les gestes des deux protagonistes. Ainsi, le spectateur va sans s'en rendre compte scruter le moindre détail à l'écran, car sans le son le danger peut venir de partout. Lorsqu'une explosion se déclenche silencieusement dans le dos du personnage de Sandra Bullock, on ressent encore mieux la sensation d'être dans l'incapacité d'agir, la tension se fait bien plus présente et on comprend de suite la détresse et l'impuissance de cette minuscule silhouette perdue dans l'immensité de l'espace. A l'inverse, les moments de – réelle - accalmie sont une véritable bouffée d'oxygène (au sens propre comme au figuré) et offrent au réalisateur l'occasion de composer des plans tout droit sortis d'un rêve (comme le personnage de Sandra Bullock recroquevillé en apesanteur en position fœtale).
Toutefois, la symbolique des images ne prend jamais le pas sur le spectacle pur et immédiat, et de ce point de vue, Gravity est un modèle de divertissement. Un idéal de blockbuster porté par deux acteurs talentueux (George Clooney est à l'aise comme d'habitude, Sandra Bullock trouve son meilleur rôle), en espérant qu'il ait un succès plus que mérité. On se surprend à rester la bouche grande ouverte devant des images d'une beauté incroyable. Le film nous émerveille de la première à la dernière seconde (la fin est parfaite à ce titre).
Alfonso Cuarón fait plus que jamais partie de ces réalisateurs qui repoussent les limites, qui innovent, qui marquent l'Histoire du cinéma en proposant une expérience nouvelle. En regardant Gravity, on a l'impression d'être dans l'espace. En sortant, on n’a qu'une seule envie : y retourner, le revoir. Quelques jours après la projection, notre joue est encore rougie et chaude par la gifle que nous a donnée le réalisateur. Mais on souhaiterait déjà tendre l'autre, prêt à revivre cette excursion d'une heure trente.
Surtout, ne le ratez sous aucun prétexte et allez le voir au cinéma. A ne pas manquer. Gravity est un film rare, unique, un chef d'œuvre !
Titre original |
Gravity |
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Mise en scène |
Alfonso Cuarón |
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Date de sortie France |
23 octobre 2013 |
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Scénario |
Alfonso & Jonás Cuarón |
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Distribution |
George Clooney, Sandra Bullock & Ed Harris |
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Musique |
Steven Price |
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Photographie |
Emmanuel Lubezki |
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Support & durée |
35 mm, 2.35 :1 / 90 minutes |
Synopsis : Pour sa première expédition à bord d'une navette spatiale, le docteur Ryan Stone, brillante experte en ingénierie médicale, accompagne l'astronaute chevronné Matt Kowalsky. Mais alors qu'il s'agit apparemment d'une banale sortie dans l'espace, une catastrophe se produit. Lorsque la navette est pulvérisée, Stone et Kowalsky se retrouvent totalement seuls, livrés à eux-mêmes dans l'univers. Le silence assourdissant autour d'eux leur indique qu'ils ont perdu tout contact avec la Terre - et la moindre chance d'être sauvés. Peu à peu, ils cèdent à la panique, d'autant plus qu'à chaque respiration, ils consomment un peu plus les quelques réserves d'oxygène qu'il leur reste.
Mais c'est peut-être en s'enfonçant plus loin encore dans l'immensité terrifiante de l'espace qu'ils trouveront le moyen de rentrer sur Terre...