Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Dans la maison pose problème, en ce sens qu’il suscite invariablement le débat, stimule par sa construction et déçoit dans sa résolution.
Tout d’abord, la bande-annonce avait su se montrer suffisamment aguicheuse pour engendrer l’envie. En entremêlant les écheveaux cousins d’un scénario et d’un roman en devenir (à partir d’une pièce de théâtre, faut-il le rappeler), on jubilait à l’idée de confronter les conseils avisés du professeur de Français dans toute sa splendeur (digne, clérical, presque pontifiant dans l’exercice de ses fonctions mais avec une forme de panache trahissant une passion non éteinte) au déroulement d’un script qui plaçait à l’écran les atermoiements d’un apprenti-écrivain doué, ou d’un habile manipulateur dont le rictus permanent venait régulièrement heurter la sensibilité du spectateur. Le pari était osé, et casse-gueule inévitablement : il suffisait que la trame filmée échoue là où l’enseignant/guide recommandait justement le contraire pour que l’édifice s’effondre. En outre, et dès le départ, Ozon affichait ses parti-pris quant au déroulement du métrage : l’énigme permanente. Laisser le spectateur interpréter les différents indices, parfois contradictoires, sans jamais poser une fois pour toutes la vérité – et notamment sur les intentions : quel but véritable était donc poursuivi par Claude en cherchant ainsi à titiller son mentor ? Et pour quelle raison autre que celle (visiblement insuffisante) d’encourager un élève enfin capable Germain s’investit-il dans cette relation allant jusqu’à noyer son couple et renier ses principes les plus profonds ? Deux questions parentes et corollaires que le professeur n’oublie jamais de poser au jeune auteur de ce feuilleton voyeur et malsain qui s’applique pourtant à terminer ses épisodes par un semblant de happening. Et qui demeureront sans réponse.
L’intellect ainsi agacé, on se prend facilement au jeu de cette plongée dans l’univers si banalement particulier d’une famille « de la classe moyenne », même si on pourrait, à la longue, déplorer l’aspect répétitif du dispositif et le manque d’intérêt des ressorts mis en avant. Malgré les transferts pulsionnels transmis dans le texte par Claude (son désir pour cette femme-mère transparente tombe sous le sens), on n’a jamais de quoi se passionner pour le destin de chacun de ses membres. Il y a certes une forme de perversité dans la façon dont la fiction est plus ou moins anticipée dans le suspense des fins de chapitre, jusqu’à ce que ni le spectateur, ni le lecteur (censé unique) des textes de Claude – donc Germain, le professeur – ne parviennent à démêler le vrai du faux, le réel de l’illusoire. Car l’apprenti-écrivain peut remodeler cette réalité fictive (il ne se prive pas de réécrire certains pans jugés trop faibles par son tuteur littéraire) : c’est l’une des sources de son pouvoir, mais qui affaiblit sa démarche, surtout lorsqu’il ne va pas jusqu’au bout de celle-ci (le finale n’est pas du tout à la hauteur des attentes, alors même que le principe en était édicté tel un dogme par Germain quelques minutes avant la résolution).
Malgré la déception de la conclusion et les facilités de sa mise en œuvre, malgré aussi les balises un peu trop évidentes disposées çà et là par une réalisation très sage, manquant un peu de ce côté ludique des précédents films d’Ozon (hormis un joli générique), Dans la maison parvient à éveiller la curiosité et sait interroger les consciences : celle du spectateur, montré du doigt dans sa position si confortable de voyeur privilégié (le dernier plan semble presque un écho à Fenêtre sur cour), mais celle du lecteur aussi, ou à tout le moins de l’amateur de littérature – voire de l’enseignant ; la manière si désinvolte avec laquelle Germain (formidablement incarné par un Luchini magnétique) assène des vérités sur la direction à prendre dans l’écriture, vérités dictées par ce cloisonnement très français des genres littéraires montre bien le malaise hexagonal hérité de siècles de dictature intellectuelle. Un élitisme qui se rappellera aux bons souvenirs de Germain sous la forme volumineuse d’un exemplaire de Voyage au bout de la nuit.
Outre l’interprétation de Luchini, celle du jeune prodige est assez remarquable si l’on accepte le fait qu’il ne soit jamais totalement lisible. On relèvera l’élégance propre à Kristin Scott-Thomas dans un rôle peu évident et une musique allègre un peu déconcertante mais finalement bien choisie.
Une semi-réussite, qui donne envie d’en savoir plus sur la pièce initiale.
Ma note (sur 5) : |
3,5 |
Note moyenne au Palmarès (septembre 2012) : |
3,66 |
Dans la maison
Mise en scène |
François Ozon |
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Genre |
Drame |
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Production |
Mandarin Films & France 2 Cinéma ; distribué en France par Mars Distribution |
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Date de sortie France |
10 octobre 2012 |
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Scénario |
François Ozon d’après la pièce de Juan Mayorga |
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Distribution |
Fabrice Luchini, Ernst Umhauer, Kristin Scott-Thomas, Emmanuelle Seigner |
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Durée |
117 min |
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Support |
35 mm |
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Image |
1.85 :1 ; 16/9 |
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Son |
VF DD 5.1 |
Synopsis : Claude, un garçon de 16 ans, s'immisce dans la maison d'un élève de sa classe, et en fait le récit dans ses rédactions à son professeur de français, Germain. Ce dernier, face à cet élève doué et différent, reprend goût à l'enseignement, mais cette intrusion va déclencher une série d'événements incontrôlables.