Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Tout a été dit, ou presque, sur les Dents de la mer. Je ne prétends donc pas vous fournir une kyrielle d’informations glanées depuis longtemps sur le net. Ce qui est certain, c’est que dès le troisième long-métrage pour le cinéma, Spielberg entrait dans la cour des grands, pour ne plus en ressortir. Après avoir frappé les esprits des professionnels par ses prises de risque et sa maîtrise hallucinante de la caméra avec Duel et Sugarland Express, il transcendait les codes d’un genre mal défini, terrorisant des milliers de spectateurs (allant jusqu’à les traumatiser au point qu’ils ne puissent plus s’approcher de la moindre vague) et éblouissant les autres, scotchés par le tempo, tétanisés par la tension et hypnotisés par le thème inoubliable de John Williams.
Quel que soit l’âge auquel on visionne Jaws, on reste sidéré par cette aventure nautique palpitante, par ce film de monstre qu’on aperçoit si peu, la faute à des problèmes techniques qui ont engendré des modifications miraculeuses du script, le metteur en scène optant du coup pour une caméra subjective afin de préserver les maigres possibilités offertes par le squale en animatronic. Après nous avoir fait trembler avec un camion d’acier, Spielberg enfantait ainsi un mythe, donnait naissance à un croquemitaine moderne, implacable, semblant surgir des abysses d’un autre temps comme pour punir les hommes de leur inconcevable bêtise.
Mêlant le film d’horreur au film catastrophe, Spielberg suscita un engouement sans précédent. Pulvérisant le record d’entrées établi auparavant par le Parrain, il devenait automatiquement bankable et s’ouvrait les portes dorées d’Hollywood. Tout ne fut pourtant pas simple puisqu’il dépassa largement les prévisions de tournage affrontant simultanément problèmes techniques, conditions climatiques désastreuses et grève des acteurs. Il dut mettre la main à la pâte en réécrivant parfois des lignes du script et sut adapter son immense savoir-faire technique en donnant davantage de sens à ses tours de force : par exemple, le fameux travelling compensé sur le visage de Brody (qui lui valut quelques soucis avec Hitchcock, lequel s’estimait propriétaire de la technique de prise de vue) est ici parfaitement accordé avec l’histoire, ce qui n’était pas le cas de ses avatars dans ses précédents films. Le blu-ray permet de davantage profiter de l’excellent travail du chef opérateur Bill Butler, un collaborateur de ses années télé, avec une palette plus étendue et un contraste largement supérieur, qui rehausse la visibilité des séquences en pénombre – dont la première, mondialement célèbre mais pas toujours très intelligible. Exit aussi le « PAL speed-up » pour pouvoir jouir d’une partition excellente, percutante et virtuose, de John Williams. Etonnamment, les effets spéciaux n’ont pas vieilli, l’avantage de l’ère pré-numérique sans doute et les maquillages sont très réussis. Quant à la fameuse piste en 7.1, elle offre un rendu assez intéressant, en mettant davantage en avant les bruits d’ambiance (le ressac, les mouettes) et la musique ; la piste mono d’origine a été nettoyée et se montre à la hauteur, pour les puristes. Ces derniers tiqueront peut-être sur les quelques modifications demandées par le réalisateur lors de la restauration, mais elles portent essentiellement sur les couleurs, dans le but d'homogénéiser l'ensemble (et notamment les séquences d'extérieur tournées sur plusieurs jours) et sur le rendu de quelques effets discrets (comme le halo entourant les balises).
L’autre atout du film tient dans son casting, pour lequel Spielberg s’est beaucoup investi, refusant qu’on lui impose des comédiens plus réputés – ceci afin de préserver le suspense sur le finale. Scheider, en chef de la police incompris, est simplement parfait, son jeu discret mettant en valeur les éclats et les ronchonnements d’un Robert Shaw habité (la légende affirme qu’il était perpétuellement ivre sur le plateau) et le feu dans le regard encore juvénile de Dreyfus. Tout en maintenant un tempo élevé et une tension permanente, Spielberg leur permet de s’exprimer à loisir, leur laissant suffisamment de liberté pour quelques dialogues culte et les laissant durablement imprégner le spectateur déjà conquis.
Après un excellent DVD collector, sa sortie en blu-ray était attendue, au point que le film fut instantanément regardé alors même que je mettais au point les critères de ce Challenge. Impatience, quand tu nous tiens ! Mais comment résister à un tel chef-d’œuvre dans un tel écrin ?
Foncez.
Ma note (sur 5) : |
4,7 |
Titre original |
Jaws |
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Mise en scène |
Steven Spielberg |
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Genre |
Thriller de monstre |
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Production |
Universal, distribué en France par CIC |
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Date de sortie France |
18 juillet 1975 |
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Scénario |
Carl Gottlieb, John Milius & Peter Benchley d’après son roman |
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Distribution |
Roy Scheider, Robert Shaw & Richard Dreyfus |
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Durée |
124 min |
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Musique |
John Williams |
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Support |
Blu-ray Universal 2012 region B |
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Image |
2.35:1 ; 16/9 |
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Son |
VOst DTS 7.1 & mono 2.0 |
Synopsis : A quelques jours du début de la saison estivale, les habitants de la petite station balnéaire d'Amity sont mis en émoi par la découverte sur le littoral du corps atrocement mutilé d'une jeune vacancière. Pour Martin Brody, le chef de la police, il ne fait aucun doute que la jeune fille a été victime d'un requin. Il décide alors d'interdire l'accès des plages mais se heurte à l'hostilité du maire uniquement intéressé par l'afflux des touristes. Pendant ce temps, le requin continue à semer la terreur le long des côtes et à dévorer les baigneurs...