Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Genre : drame familial & quête métaphysique
Date de sortie en salles : 17/05/2011
Séance de 13h45. VF.
L’histoire : Dans les années 50, un couple apprend le décès de leur fils aîné. La douleur de cette mère attentionnée et aimante et les regrets du père exigeant et aigri font écho, par delà le temps, à ceux du frère cadet qui se souvient…
Une chronique de Vance
Un film de Malick, c’est un peu le rendez-vous nuptial des cinéphiles du monde entier, prêts à communier avec l’infini au gré des images savamment choisies de leur maître conteur préféré, si discret pourtant. La passion dont fait littéralement l’objet l’œuvre de ce cinéaste hors norme revêt ainsi les atours d’un culte, avec ses déviances et compromis : il faut avoir le cran de dire qu’on n’aime pas le réalisateur et préférer se taire que d’avouer ne pas avoir vu l’un de ses films.
Heureusement, le monde des adorateurs du VIIe Art est suffisamment tolérant pour que l’intronisation de chaque adepte se fasse dans la joie et la grâce, tant les connaisseurs sont persuadés que, fatalement, le profane les rejoindra.
Curieusement, mon amour du cinéma m’a très longtemps tenu éloigné de Malick, et j’ai raté toutes les sorties. A l’époque de la Ligne rouge, l’aura du bonhomme était telle que j’en avais presque honte.
Il me fallait m’initier.
Le prêt d’un DVD et une pertinente programmation télévisuelle ont effacé la dette, et j’ai pu enfin pousser un soupir de soulagement légitime. Oui j’avais vu Malick. Et oui, malgré quelques réticences, j’avais aimé (lire par ailleurs ma chronique sur la Ligne rouge).
Le Coin du C.L.A.P. : Do androids dream of electric sheep ? s’étant terminé plus vite que prévu, c’est avec le comic-book X-Men : les Origines que j’ai occupé le temps avant les bandes-annonces. Lecture rapide, et finalement décevante.
En relisant justement ce que j’avais rédigé à propos du film cité plus haut, je m’aperçois que les éléments qui me gênaient sont quasiment les mêmes. The Tree of life, film somme, film univers, souffre d’une forme de didactisme proche du prosélytisme avec cette voix off plombante qui dénature ou voile l’émotion (qui éclate pourtant au long de certaines séquences belles à en pleurer) et un discours spécieux, presque suspect. A vrai dire, je ne suis pas de ceux qui crient au scandale lors de la partie « cosmique » de l’œuvre, je serais même plutôt grand amateur de ces assemblages de plans soignés chargés de sens accompagnés d’une musique lorgnant vers le sacré : non seulement c’est beau, mais cela exprime au mieux ce que le cinéma a de profondément artistique, une sorte de conversation tacite avec le divin. Je trouve d’ailleurs à ce montage visant à retracer la Création des aspects similaires à l’énorme Koyaanisqatsi, bien plus qu’au 2001, l’Odyssée de l’espace que j’ai pu voir cité à maintes reprises dans les chroniques parallèles. Sans doute parce que l’extrême discrétion et la méticulosité maladive de Malick rappellent furieusement la perpétuelle recherche de la perfection propre à Kubrick – d’où le temps incroyable passé en salle de montage, longtemps après le tournage de la dernière scène.
Mais voilà : en plaquant ces plaintes, murmures et prières des protagonistes sur ces visions transcendentales, l’essor est brisé : on ne fait que s’émerveiller, au mieux, alors qu’on pourrait s’extasier. Le liant avec l’histoire de cette famille archétypale n’est pas non plus de la meilleure fluidité, mais on s’y fait, par la grâce d’une direction d’acteurs et de cadrages formidables, quoique vite redondants. L’interprète du jeune Jack, confondant de charisme avec ce regard sombre et cette attitude coupable, aide à s’intéresser aux déviances d’une éducation tiraillée entre l’amour inconditionnel d’une mère rappelant dans un souffle les enseignements des religieuses et la rigueur teintée de respect d’un père qui tente de rattraper le temps perdu (ou de se sauver à travers ses enfants). On assiste alors, dans un schéma beaucoup plus linéaire, à des tranches de la vie de cette famille filmées avec sincérité et application : les contre-plongées et les gros plans se succèdent, alternent avec des visions oniriques magiques et forcent l’admiration tant ils sont signifiants et merveilleusement organisés ; tout est exprimé dans un regard qui se détourne, une moue qui s’esquisse, un geste presque anodin. Les plans se prolongent parfois, l’espace d’un instant suspendu, volé au temps, et la musique de Desplats accentue ces moments de félicité ou de tension.
Las ! Alors que les images parlent d’elles-mêmes, des dialogues empesés, des répliques artificiellement induites perturbent la relation qu’on avait avec la pellicule et rompent l’harmonie des sphères. Encore une fois, là où l’émotion brute pointait, on nous fait redescendre sur Terre. Pire : le discours se pare alors de messages de moins en moins équivoques et on aborde la dernière partie dans un malaise sournois, en conflit permanent entre une béatitude de bon aloi et une méfiance salvatrice. Du coup, lorsque par delà les éons, les prières de chacun se joignent pour une communion métaphysique, on accepte de mauvaise grâce et on y assiste, un peu gêné, un peu contrit, empli d’une rancœur coupable, car on ne parvient pas à partager, on n’y croit pas, on n’y croit plus. La présence presque anecdotique de Sean Penn n’est pas le moindre des obstacles, bien qu’on se doive de souligner celle, lumineuse, de Jessica Chastain et les efforts captivants de Brad Pitt, parfaitement secondés par les trois acteurs interprétant les frères.
The Tree of life est incontestablement un film monumental, réalisé avec un soin maniaque, un souci du détail qui ne peuvent que rassurer les cinéphiles. Cependant il échoue chaque fois qu’il cherche à nous émouvoir, voire à nous convaincre. Le hiatus entre la subtilité de l’œil du metteur en scène et la pertinence des dialogues ne parvient jamais à se combler. Ceux qui passent outre vivront une expérience rare. Tant pis pour les autres.
Ma note : 3/5
Note moyenne au Palmarès : 3,61/5 pour 10 votes.