Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Les paradoxes temporels ont fréquemment été abordés dans le domaine de la SF : de H.-G. Wells à Connie Willis (je lis actuellement son impressionnant Black-out), les grands auteurs ont souvent cherché à montrer des personnages plus ou moins scientifiques et/ou nantis de bonnes intentions observer le passé ou l'avenir, s'immerger dans les différents possibles (En attendant l'année dernière de Dick, Cryptozoïque d'Aldiss) voire tenter de les modifier (le Voyageur imprudent de Barjavel, Voici l'homme de Moorcock), de les réparer, de les contrôler (la Patrouille du temps d'Anderson, la Fin de l'Eternité d'Asimov) ou, pire, de tirer un avantage de cette faculté (l'Homme éclaté de Gerrold, les Temps parallèles de Silverberg). Le cinéma n'a pas toujours réussi à exploiter ce sous-genre fascinant : si je garde un souvenir ému du pauvre Nimitz, retour vers l’enfer, A sound of thunder est tout sauf une réussite ; on lui préfèrera l'efficacité de Fréquence interdite, la poésie de Quelque part dans le temps, la frénésie de C'était demain et l'humour de Retour vers le futur.
Ici, Evan est un garçon un peu déboussolé : son père est à l'asile et il est sujet à des "black-outs" - des pertes de mémoire soudaines. Les examens cliniques ne donnant rien, il lui est conseillé de tenir un journal intime dès son plus jeune âge, chose qu'il fera scrupuleusement, jusqu'à un drame qui bouleversera ses amis proches et poussera sa mère à déménager. Des années plus tard, alors qu'il est un brillant étudiant et se prépare à soutenir un mémoire sur la structure des souvenirs, la lecture d'un passage de son vieux journal intime le replonge littéralement dans le passé, lors d'un de ses "black-outs" : il se découvre alors non seulement la possibilité de retourner dans ses souvenirs perdus, mais également de modifier le cours des événements. Il se dit alors qu'il pourrait réparer le mal commis à l'époque de son enfance (les perversions pédophiles du père de sa meilleure amie, le traumatisme subi par un copain lors d'une plaisanterie qui a mal tourné) : le problème, c'est qu'à chaque fois qu'il pense faire au mieux, une réaction en chaîne survient qui surcharge son cerveau de souvenirs qui se réécrivent - et un malheur frappe un autre de ses proches. A croire qu'on ne peut pas jouer à Dieu impunément... Et si son père avait connu les mêmes affres ?
Le film est toujours une référence, même si, à la longue, le plaisir de la découverte manquant, certaines facilités vont apparaître, avec quelques raccourcis un peu artificiels - la version Director's cut donne une cohérence supérieure au scénario et enrichit la texture des personnages, mais n'efface pas l'agacement qu'on peut ressentir devant le contenu de certaines séquences. Cela dit, on ressent toujours un certain plaisir à suivre ce très bon film de SF qui sait ménager ses moments de tension, de pauses trahissant un bonheur simple et évident, et ses séquences palpitantes. Seule une certaine amertume m’empêche à présent d’y goûter pleinement, ainsi que cette désagréable sensation d’esbroufe qui transparaît par moments. Le script est incontestablement habile et globalement bien mis en scène : il permet d'opérer des ruptures de ton qui densifient son propos même s'il a parfois besoin de passer par quelques ellipses bienvenues et des dialogues pompeux et peu crédibles (il est bien difficile de croire qu'une simple leçon de morale administrée par un enfant à un père pédophile et pervers suffit à le faire complètement changer d'attitude). Ce qui, en fin de compte, laisse à penser que le film aura de moins en moins d’impact positif sur la durée.
A ce sujet, et sur le même thème mais avec un traitement radicalement différent, the Jacket est plus convaincant, moins malin, mais plus intelligent. Ne boudons tout de même pas notre plaisir, d’autant qu’Ashton Kutcher, polus que convaincant, dynamise un casting correct (duquel surnage un impressionnant Jesse James qui interprète un Tommy presque terrifiant) et surtout que les bons films sur les paradoxes temporels ne sont pas légion.
La VF (québécoise) du zone 1 s'est avérée correcte et aussi efficace que la VF de mes souvenirs en salles. La VO est plus percutante, tant dans sa dynamique que dans l'acuité de ses dialogues (notamment dans la partie à la fac, qui contient beaucoup de répliques geeks).
Le DVD Infinifilms zone 1 était splendide, avec une jaquette réversible FR/ANG et des tas de bonus, dont la possibilité de voir le film en Director's cut et une interactivité accrue ; c'est la version qui est comparable au DVD zone 2 collector. Les images étaient belles, aux tons glacés et secs, et dotées d'un excellent contraste. Le blu-ray Metropolitan est naturellement meilleur avec des arrière-plans plus nets et propose une bande son redoutable (les effets de transition temporelle sont décuplés).
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Titre original |
The Butterfly Effect |
Réalisation |
Eric Bress & J. Mackie Gruber |
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Date de sortie |
10 mars 2004 avec Metropolitan |
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Scénario |
Eric Bress & J. Mackie Gruber |
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Distribution |
Ashton Kutcher, Amy Smart, Eric Stoltz & Elden Henson |
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Photographie |
Matthew F. Leonetti |
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Musique |
Michael Suby |
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Support & durée |
Blu-ray Metropolitan (2012) region B en 1.85:1 / 104 min (120 min pour le Director's cut) |
Synopsis : Une théorie prétend que si l'on pouvait retourner dans le passé et changer quelques détails de notre vie, tout ce qui en découle serait modifié. On appelle cela "l'effet papillon". Evan Treborn a cette faculté. Fasciné, il va d'abord mettre ce don au service de ceux dont les vies ont été brisées dans leur enfance. Il peut enfin repartir dans le passé et sauver la seule jeune fille qu'il ait jamais aimée. Mais Evan va découvrir que ce pouvoir est aussi puissant qu'incontrôlable. Il va s'apercevoir que s'il change la moindre chose, il change tout. En intervenant sur le passé, il modifie le présent et se voit de plus en plus souvent obligé de réparer les effets indésirables de ses corrections...