Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
A la fin des années 90, Spielberg est au sommet de sa carrière. Ses succès commerciaux ne se comptent plus, ses productions (par le biais d'Amblin depuis 1981 et Dreamworks depuis 1998) ont le vent en poupe et il a enfin la reconnaissance de ses pairs, surtout depuis la Liste de Schindler - concrétisée par le fameux Life Achievement Award remis en 1995 par l'American Film Institute. Si cela lui conféra quelque assurance supplémentaire, cela ne changea pas grand chose à ses habitudes et il est remarquable de constater qu'il prit constamment des risques plus ou moins calculés pour ses films à venir. A.I. a ainsi été accueilli avec méfiance et il n'a pas fait l'unanimité (le film continue d'être diversement jugé, même si certains sont des admirateurs enthousiastes de ce conte moderne, comme Nico). Avec Minority Report, Steven Spielberg demeurait dans son domaine de prédilection (la SF grand public) en glissant dans une histoire prétexte à de nombreux retournements de situation et séquences spectaculaires nombre de questionnements enrichissant le propos, véritable marque de fabrique de cet homme qui s'est toujours efforcé de faire du spectacle populaire intelligent.
Adapter Philip K. Dick est loin d'être une sinécure et les meilleures réussites ont fait la plupart du temps abstraction de l'étrangeté intrinsèque de son univers pour ne garder de ses considérations sur le réel que la matière nécessaire à un film à grand spectacle - exception fait de A scanner darkly, véritable tour de force signé Linklater. Lorsque Spielberg se lance dans ce projet, il le fait à sa manière, se documentant aux sources les plus avancées sur les possibilités offertes par la science. Sa vision du futur est ainsi tout sauf romantique, d'autant qu'il s'agit d'un futur (relativement) proche : il va bien plus loin que le simple fait de customiser quelques voitures, mais s'approprie différentes hypothèses de travail associées aux visions les plus pertinentes des grands auteurs de SF (on n'est pas loin d'Asimov dans ces couloirs de circulation programmés). Evidemment, on retiendra surtout les publicités personnalisées (brillante extrapolation des cookies qui parsèment nos sites internet préférés) et l'interface de visionnage chez Pré-Crime...
De cette manière, en rendant les situations réalistes (du moins suffisamment par rapport aux critères internes de l'univers décrit), Spielberg peut développer son intrigue policière en sachant que le spectateur y adhèrera d'autant mieux qu'il ne sera pas gêné aux entournures. Optant pour une immersion immédiate et un rythme soutenu (le premier quart d'heure est aussi haletant que génial), il se débarrasse des séquences d'exposition pour se concentrer sur l'essentiel - on aura bien le temps, ensuite, d'en apprendre davantage sur la psyché ravagée d'Anderton. Tom Cruise, dans la peau de ce flic du futur incapable de supporter le deuil de son enfant disparu, est évidemment impeccable et paie comme d'habitude de sa personne. Evidemment, il phagocyte quelque peu le métrage, ne laissant que des miettes aux seconds rôles (il faut toute la morgue et la verve de Colin Farrell pour parvenir à se hisser un tant soit peu à son niveau). Par son biais, Minority Report reste avant tout un film d'action efficace et dense, passionnant à suivre, riche en scènes enlevées et en effets spéciaux bluffants. Pourtant, Spielberg parvient, comme souvent, à insérer quelques réflexions sur la famille (encore une fois, les personnages principaux souffrent d'une séparation), la culpabilité et la justice. Il est tout de même remarquable de constater que, sans nier l'impact et l'efficience du système Pré-Crime, son principal lieutenant sera aussi celui qui engendrera consciemment sa perte. "Pré-Crime, ça marche !" comme le scande le slogan. Oui mais... peut-être le monde n'est-il pas prêt à le mettre en place - ou les hommes sont-ils trop pervers pour l'utiliser à bon escient.
Une oeuvre majeure de la SF au cinéma, tant par sa réalisation que par son approche sensée et sa pré-production exemplaire.
le Point de vue de Nico
Une adaptation de Philip K. Dick par Spielberg, il y a de quoi se réjouir (je rappelle que Blade Runner et aussi Total Recall sont tirés des bouquins de Dick également).
Le film est vraiment prenant, il se suit avec un immense plaisir et le suspense est bien là. Le scénario est très efficace. La description de cet univers futuriste est inspirée, et la mise en scène tend à faire quelques clins d'œil à Blade Runner - le plan du début de l'œil qui s'ouvre, également dans la bande-annonce du Cinquième Elément de Besson.
Mais je suis toujours gêné par quelques passages qui sont, en plus d'être ridicules, totalement inutiles, comme le cours de danse ou les steaks qui cuisent... Pourquoi dans un film aussi sérieux Spielberg nous a-t-il collé ces plans dignes de Michael Bay ? Je comprends largement mieux l'humour lors des passages de l'opération, ou lorsque Cruise fait tomber les yeux...
Il est également étrange que le film se termine de cette façon, la dernière demi-heure étant en trop selon moi.
Titre original |
Minority Report |
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Réalisation |
Steven Spielberg |
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Date de sortie |
2 octobre 2002 avec UFD |
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Scénario |
Jon Cohen d’après la nouvelle de Philip K. Dick |
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Distribution |
Tom Cruise, Colin Farrell, Kathryn Morris & Max von Sydow |
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Photographie |
Janusz Kaminski |
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Musique |
John Williams |
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Support & durée |
Blu-ray Universal (2011) en 2.35 :1 / 145 min |
Synopsis : A Washington, en 2054, la société du futur a éradiqué le meurtre en se dotant du système de prévention / détection / répression le plus sophistiqué du monde. Dissimulés au coeur du Ministère de la Justice, trois extra-lucides captent les signes précurseurs des violences homicides et en adressent les images à leur contrôleur, John Anderton, le chef de la "Précrime" devenu justicier après la disparition tragique de son fils. Celui-ci n'a alors plus qu'à lancer son escouade aux trousses du "coupable"...
Mais un jour se produit l'impensable : l'ordinateur lui renvoie sa propre image. D'ici 36 heures, Anderton aura assassiné un parfait étranger. Devenu la cible de ses propres troupes, Anderton prend la fuite. Son seul espoir pour déjouer le complot : dénicher sa future victime ; sa seule arme : les visions parcellaires, énigmatiques, de la plus fragile des Pré-Cogs : Agatha.