Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
C'est lors d'une soirée spéciale Marvel pompeusement annoncée comme une exclusivité par notre complexe cinématographique local (alors que ce genre de soirées avait déjà eu lieu à Paris et dans de nombreuses villes) que j'ai eu pour la première fois l'occasion de visionner cette nouvelle version filmée d'un de mes héros favoris. Parrainée par NRJ, la double séance comprenait le visionnage du très jouissif Iron Man de Jon Favreau – ce n’était guère que la troisième fois pour moi, mais je ne m’en plaignais pas. Devant la réussite incontestable de l’adaptation au cinéma des aventures de l’Homme de Fer (grâce notamment à une interprétation géniale de Robert Downey Jr), je craignais que le deuxième film sur Hulk en l’espace de cinq ans ne fasse pâle figure. La bande annonce en disait peu, bien que la présence de l’Abomination avait de quoi allécher tout lecteur de comics.
Eh bien, malgré quelques longueurs, j'ai été séduit par le résultat, qui s'avère être un savant mélange :
Leterrier maîtrise son sujet, même si son montage est parfois aléatoire (de nombreux faux-raccords sont visibles, mais sans conséquence) : on ne peut qu’être convaincu par certains travellings sidérants, comme celui, aérien, sur les favelas au Brésil ou d’autres, nerveux et efficaces, au moment de l’apparition de l’Abomination. J’ai beaucoup aimé aussi l’utilisation de la caméra lorsque Betty croit apercevoir Bruce dans le café de son père et le cherche dans la ruelle.
L’interprétation est en outre franchement convaincante malgré une Liv Tyler à la limite de la minauderie mais parfaite pour entretenir une relation du type la Belle et la Bête – voire Ann Darrow et King Kong. Ed Norton joue un Banner extrêmement crédible, tour à tour en contrôle, puis dépassé, constamment en train de s’interroger – en état de tension permanente, mais retenue, à l’image d’un Hulk plus humain, moins dévastateur que dans le précédent film. Certes, les combats s’inscrivent dans un scénario rebattu (Hulk démontre sa puissance, puis commence à céder avant de reprendre le dessus chaque fois qu’il est directement mis en danger ou, surtout, que Betty Ross est menacée). Ce Hulk semble même s’attacher à conclure la dernière saga en date (World War Hulk) en soulignant que, à l’évidence, Hulk n’a JAMAIS SCIEMMENT cherché à tuer : il défonce les voitures et les chars mais ne frappe jamais directement un être humain, civil ou militaire. En fait, il réagit comme un fauve traqué, rugit, crache sa colère mais préfère la fuite à l’affrontement. Seul Blonsky, par sa hargne à le défier, aura l’honneur de se prendre des coups (l’un d’entre eux réduira son squelette en miettes) : mais il aura montré auparavant qu’il était apte à les supporter. De même, le duel Abomination/Hulk fait de multiples clins d’œil à celui qui ponctue la série sur papier rédigée par Bruce Jones. A ce sujet, les clins d’œil sont légion, disséminés un peu partout avec un sens aigu de l’hommage : les fans ne sont donc pas oubliés et s’ébaubiront en reconnaissant, dans les noms de certains personnages (comme les deux témoins de la bagarre sur le campus, ou celui du professeur de biologie de New-York), les apparitions à l’écran, voire certaines marques (le Général Ross utilise des fichiers du S.H.I.E.L.D. et un logiciel de Stark Industries !) des liens directs avec leur culture marvellienne, hissant le film au statut de brique fédératrice dans le Marvel Cinematographic Universe. On n’oubliera pas de sitôt les références à l'inénarrable pantalon violet dont Hulk était traditionnellement affublé ainsi que la façon dont Bruce fait ses courses et essaie des tenues qui, éventuellement, conviendraient à son alter-ego ; personnellement, j’ai adoré quand Hulk frappe dans ses mains afin de souffler les flammes d’un incendie. Bien entendu, Stan Lee y va de son apparition désormais traditionnelle et encore plus loufoque que dans Iron Man (où il interprétait Hugh Heffner, le patron de Playboy, avec lequel il a une certaine ressemblance). Petit bémol : le docteur Leonard Samson s'est sans doute vu spolier de plusieurs séquences puisque celle qu'on voyait dans la bande-annonce, où il discutait avec Banner, a disparu.
Pas de scène post-générique, la surprise du chef intervient avant et ravira, encore, les connaisseurs grâce à un lien génial avec Iron Man qui annonce des suites élaborées, une véritable exploitation rationnalisée de tout l'univers des super-héros Marvel pour peu que le succès soit cette fois au rendez-vous. On regrettera que le film de Ang Lee, qui avait ses qualités, pâtissait d’une fin mal maîtrisée et était sans doute un peu trop ambitieux, passe aussi sèchement à la trappe : qu’il soit ainsi désavoué est manifestement du gâchis mercantile, et les studios ne se gênent guère désormais pour balayer d'un revers de main blasée les précédentes adaptations de Batman, Superman, Spider-Man ou des Fantastiques. Ainsi va le monde des super-héros au cinéma.
Cependant, ne boudons pas notre plaisir : l’Incroyable Hulk m’a convaincu.
Titre original |
The Incredible Hulk |
Réalisateur |
Louis Leterrier |
Date de sortie en salles |
23 juillet 2008 avec SND |
Date de sortie en DVD |
23 janvier 2009 avec Warner Bros. |
Scénario |
Zak Penn, d’après le personnage créé par Stan Lee & Jack Kirby |
Distribution |
Edward Norton, Liv Tyler, Tim Roth & William Hurt |
Photographie |
Peter Menzies |
Musique |
Craig Armstrong |
Support & durée |
35 mm en 2.35 :1 /112 min |
Synopsis : Le scientifique Bruce Banner cherche désespérément un antidote aux radiations gamma qui ont créé Hulk. Il vit dans l'ombre, toujours amoureux de la belle Betty Ross et parcourt la planète à la recherche d'un remède.
La force destructrice de Hulk attire le Général Thunderbolt Ross et son bras droit Blonsky qui rêvent de l'utiliser à des fins militaires. Ils tentent de développer un sérum pour créer des soldats surpuissants.
De retour aux Etats-Unis, Bruce Banner se découvre un nouvel ennemi. Après avoir essayé le sérum expérimental, Blonsky est devenu L'Abomination, un monstre incontrôlable dont la force pure est même supérieure à celle de Hulk. Devenu fou, il s'est transformé en plein coeur de New York.
Pour sauver la ville de la destruction totale, Bruce Banner va devoir faire appel au monstre qui sommeille en lui...
Les diverses critiques glanées ici et là dans la presse plus ou moins spécialisée, les avis éclairés de divers spectateurs et d’amis (dont celui, communicatif, de Vance – voir ci-dessus ) avaient fini par faire monter un certain enthousiasme en moi pour l’Incroyable Hulk, film dont le simple parti pris en tant que projet me donnait la nausée.
Moins de cinq ans après l’œuvre d’Ang Lee, assez mal reçue chez une large frange de publics, Marvel remet le couvert et semble avoir très vite communiqué sur le revirement de bord, jouant de l’opportunisme putassier. Hulk d’Ang Lee — parabole fascinante et boursouflée sur le syndrome Dr. Jekyll & Mr. Hyde avec complexe d’Œdipe à la clé, et théâtre optique expérimental cherchant à traduire à l’image la densité d’une lecture narrative par case — avait sans doute terrassé à force de complexifier un concept qu’on ne peut généralement presser à l’intérieur du moule d’un blockbuster.
Marvel fait donc table rase et a semble-t-il souhaité faire de l’Incroyable Hulk un miroir inversé du film sorti en 2003. On oublie les chiens mutants, les bonds de montagne à ravin et surtout on évite de faire chauffer les cervelles avec des scènes sans décor, surexposées de blanc sur fond noir, où deux personnages font éclater leurs démons enfouis au fil d’une fabuleuse dérive psychologique. Avouons que l’argument économique fait preuve d’un raisonnement plutôt honnête : pourquoi ne pas donner à une majorité de spectateurs ce qu’ils réclament, c’est-à-dire un produit en héritage de la série TV avec Bill Bixby et Lou Ferrigno ?
Alors, soit, ce métrage-là est, de fait, construit, un peu à l’égard de X-Men 2 (mais avec une efficacité bien moindre), comme une fuite en avant.
Pas de montage concentré du Hulk d’Ang Lee en prologue (ce serait trop honteux d’assumer un film pas si raté et, au cas où ce pourrait être utile, une continuité), mieux vaut inventer un original le long de vignettes qui ressuscitent les fragments d’une mémoire inexistante sinon dans le souvenir lointain de la série TV.
A partir de là, l’œuvre se tire et s’étire sans trop d’ennui, même si le montage aurait gagné à se condenser un peu plus. Le dernier acte met un temps fou à pointer le bout de son photogramme et, honnêtement, j’ai beaucoup plus été touché par les moments d’intimisme naïf entre le héros et celle qu’il a perdue que par les nombreux bras de fer homériques. A ce niveau, le produit est d’une extrême précision technique, alliée à une complexité de composition ayant tendance à créer des dynamiques de plan assez impressionnantes. Leterrier est véritablement un habile faiseur, un excellent technicien ayant accumulé des années de pratique en pyrotechnie de plateau ou numérique.
C’est sans doute par les fuites et autres affrontements (péniblement) assourdissants avec une créature qui crie pour faire mastodonte (et ça marche) que certains trouveront l’âme de ce film, le tout brodé sur une trame narrative quasi inexistante (ou dont le pseudo tissu est ridicule) et sans aucune réflexion esthétique de quelque ordre. L’Incroyable Hulk est beaucoup un produit pour geek (sans que ce soit disgracieux) avant d’être matière à cinéphile. C’est une œuvre qui a automutilé son prologue, qui se construit en transition et qui ne s’achève pas vraiment sur la résolution complète ou partielle d’un arc.
Si j’y ai pris un certain plaisir coupable, ce n’est plus vraiment le cinéma que je recherche aujourd’hui. C’est finalement celui qui me regretter l’émulsion créative de l’insurpassable Batman returns de Tim Burton.