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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] Le Nom de la rose : parce que le rire tue la peur

[critique] Le Nom de la rose : parce que le rire tue la peur

Alors que sort en vidéo une série dérivée de l'oeuvre d'Umberto Eco, repenchons-nous sur le film de 1986, magistral, élégant et intriguant, qui séduit par son intelligence formelle et son sujet.

Jean-Jacques Annaud a signé un chef-d’œuvre authentique adapté d’un roman à clef, dense et subtil, best-seller inattendu dans le monde entier, grâce à des scénaristes expérimentés tels Gérard Brach et Andrew Birkin – qui s’y sont tout de même cassé les dents puisqu’il a fallu pas moins de quinze versions du script pour parvenir à satisfaire le metteur en scène. Il fallait bien cela pour s’atteler à un monument littéraire – le genre de défi qui ne pouvait que stimuler Annaud et son souci presque pathologique de l’authenticité. Cinq ans de préparation méticuleuse tout de même, avec de très nombreux comédiens envisagés pour les différents rôles, 300 sites explorés afin de trouver LA parfaite abbaye pour les séquences en extérieur (finalement dénichée en Allemagne, à Eberbach) et la construction du plus grand open set depuis Cléopâtre, à quelques kilomètres de Rome – quelques scènes devant d’ailleurs être finalisées à Cinecitta. Chaque lieu, chaque accessoire ou décor (signé par le très grand Dante Ferretti) devait recevoir l’aval du réalisateur, de l’auteur ainsi que des plus grands spécialistes en la matière à la tête desquels on trouvait Jacques Le Goff, référence absolue sur tout ce qui touche au médiéval.

[critique] Le Nom de la rose : parce que le rire tue la peur

Et le résultat est parlant.

Le film en lui-même est ancré dans le mystère médiéval, en ces sombres années annonciatrices de la Guerre de Cent Ans (le règne de Philippe le Bel s’est achevé après le retentissant procès des Templiers) où pourtant perce l’espoir d’un monde meilleur, plus ouvert sur les cultures et moins replié sur des pratiques obscurantistes : le Grand Inquisiteur Bernardo Gui (interprété par un F. Murray Abraham inquiétant) est un personnage historique, connu pour avoir soumis à la Question près de 900 personnes (au moins 42 n’y ayant pas survécu). A son image, l’atmosphère est savamment entretenue, à l’aune d’une Europe plongée dans les tourments du doute après l’échec manifeste des Croisades (la Neuvième ayant eu lieu en 1272 et Saint-Jean d’Acre étant tombée en 1291). La mise en lumière des séquences est à l’image du contexte : ciel chargé, lumière incidente, brumes du soir et brouillard du matin, et tous ces plans en intérieur éclairés par des torches fumeuses et des chandelles tremblotantes (qui avaient le don de ravir le réalisateur et d’exaspérer les comédiens incommodés par la fumée et l’odeur). De même, Annaud a tenu à renforcer le caractère sinistre de ce lieu pourtant dédié au travail et à la prière : les figurants ont été expressément choisis pour leur « gueule » et on a plutôt l’impression d’assister au défilé des pensionnaires d’un asile tant les traits frisent le grotesque (voir la fin d’AmadeusSalieri se proclame prince des médiocres). Quant aux décors liés à cet étrange monastère perché dans les hauteurs alpines, ils imposent leur angoissante présence aux misérables protagonistes de cette histoire : lorsque les moines évoquent le Malin qui rôderait dans les couloirs perpétuellement plongés dans la pénombre, il est aisé de leur donner raison. A l’évidence, dès l’arrivée de Guillaume de Baskerville et de son novice sur les lieux, on aurait tendance à les croire, comme l’exprime Adso, « abandonnés de Dieu ». Troublante affirmation, pour un moine dans un monastère…

[critique] Le Nom de la rose : parce que le rire tue la peur

La caméra s'attache pourtant aux personnages et, entre la placidité classieuse d'un Sean Connery (qui y trouve peut-être son meilleur rôle), le regard perpétuellement stupéfait de Christian Slater et l'hallucinante prestation de Ron Perlman (qui n'est pas doublé en VF), on en oublie presque les enjeux fondamentaux d'une œuvre remarquable sur la fin de l'innocence et les prémisses d'un humanisme salvateur. Et si l'on demeure persuadé qu'on a assisté à une enquête policière atypique (finalement plutôt vite expédiée, les principaux renseignements ayant été glanés hors champ par Baskerville tandis que le jeune Adso se faisait déniaiser), c'est davantage à un récit d'initiation qu'on a affaire.

Je garde en souvenir indélébile la détresse de Guillaume, au cœur du labyrinthe de la fabuleuse bibliothèque en flammes, désespérant de pouvoir sauver tous ces grimoires recelant le savoir de l’Humanité.

[critique] Le Nom de la rose : parce que le rire tue la peur

Le résultat en HD n'est pas parfait, loin s'en faut. La présence de grain n'est pas gênante, elle donne au

contraire un cachet particulier à la photographie. Mais les scènes en basse lumière souffrent parfois d'un manque de contraste, et certains arrière-plans sont mal définis, légèrement voilés ou fourmillant. Pas de réel coup de fouet à l'image donc par rapport aux versions existantes en DVD, mis à part la palette de couleurs et certains détails qui ressortent (les bas-reliefs dans la crypte ou les sculptures des très beaux portails, les vêtements chamarrés de la délégation papale, les enluminures de smanuscrits, la toile d'araignée sur la bure du frère Malachie lorsqu'il sort du passage secret). Le travail formidable du chef opérateur de Il était une fois en Amérique n’est donc pas aussi bien mis en valeur que je l’espérais.

En VO, on sent tout de même la puissance supérieure d'une piste HD, même si les effets surround sont limités : les basses terribles de l'excellent score de James Horner (tellement séduit par le challenge de le composer qu'il s'est lui-même proposé à la production) sont ultra-enveloppantes et les bruits d'ambiance sont magnifiés (les chuchotements, les coups de fouet dans la nuit).


Bref, pas l'édition ultime qu'on pourrait attendre de ce chef-d’œuvre, mais la meilleure à ce jour.

[critique] Le Nom de la rose : parce que le rire tue la peur

Titre original

Der Name der Rose

Date de sortie en salles

17 décembre 1986 avec Artistes Auteurs Associés

Date de sortie en vidéo

7 février 2008 avec TF1 Vidéo

 

 

Photographie

Tonino Delli Colli

Musique

James Horner

Support & durée

Blu-ray TF1 (2013) zone B en 1.85 :1 / 131 min

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T
<br /> Un de mes films préférés ! Tellement que je vais passer pour un hérétique en le préférant au livre où les nombreuses citations latines et le style assez lourd par moment m'ont assez gêné<br />
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V
<br /> <br /> Ah c'est vrai qu'Eco n'aime rien tant que puiser dans sa monumentale culture. Le pendule de Foucauld est encore plus indigeste pour les profanes (mais j'ai aimé quand même, hein !).<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Très tentant, j'espère le croiser en seconde main, surtout que ma version DVD n'est pas très nette trouvé-je.<br /> <br /> <br /> Coïncidence amusante: je suis en train de lire un recueil de conférences d'Eco dans lesquelles il parle notamment du "Nom de la Rose", des diverses interprétations, etc. C'est très intéressant.<br /> J'en parlerai certainement demain.<br />
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V
<br /> <br /> J'aime beaucoup et respecte l'écrivain, qui a su parfaitement associer sciences, connaissances occultes et fiction en s'efforçant d'enrichir le lecteur, et non de le prendre pour un pigeon.<br /> <br /> <br /> <br />
G
Que dire de plus que Broots a part que j'ai bien envie de replacer mon DVD (qui est d'ailleurs dans une edition collector de toute beauté) dans le lecteur pour me refaire une petite séance
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J
Un film grandiose, des acteurs excellents (avec des têtes pour l'emploi) et Sean Connery absolument inoubliable...
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V
J'avais oublié la BO, sans doute celle que j'ai le plus écouté (avec celle de Lawrence d'Arabie et de Conan). Merci.
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G
Un film incontournable, immense, probablement l'un des meilleurs jamais réalisés par Jean-Jacques Annaud, ce qui n'est pas peu dire. Le casting est excellent, le scénario d'autant plus brillant que le roman était réputé inadaptable, et la mise en scène impeccable, avec en prime une superbe B.O. de James Horner.
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V
Il est des films dont on ressort grandi, un peu plus riche, un peu meilleur peut-être, et sans être prétentieux, ni pédant.
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T
Pareil. "... et je ne connaissais même pas son nom".Quel beau film. C'est d'ailleurs sans doute le seul d'Annaud qui ne divise pas !
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B
je te rejoins totalement : Sean Connery est énorme, et alors Ron Perlman... pffff... hallucinant comme tu dis !Un des films que je peux revoir en boucle sans jamais me lasser, et en y découvrant qq chose de nouveau ou de différent à chaque fois...
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