Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Avec son deuxième film, Tom Ford fait fort et confirme son talent, déjà prégnant dans A Single Man. Nocturnal Animals est un très très grand film, d’une densité incroyable, difficile à digérer… avec des acteurs époustouflants. Mais sa singularité formelle et son hermétisme narratif pourront agacer. Quelques réserves sur le propos, mais c’est un OFNI qui devrait réjouir les cinéphiles. On le recommande.
En voici un de long-métrage qui va diviser ! Car pour son second film, le réalisateur de A Single Man ne cherche pas à plaire à tout prix et impose son style sans concessions et ses obsessions auteurisantes, quitte à laisser en plan une partie de son public.
Avec ses allures de délires à la Lynch, Nocturnal Animals pourra agacer. On sort de la salle avec l’impression d’avoir vu plusieurs films en un (ce qui est certes un peu le cas), de ne pas avoir tout compris, avec ce besoin de laisser décanter pour se faire un véritable avis. C’est qu’il est d’une densité incroyable - et difficile à digérer qui plus est.
Deux histoires se croisent, celle d’une femme, Susan, évoluant dans un microcosme où tout n’est que vacuité et faux-semblants, duquel elle a semblé vouloir échapper dans sa jeunesse avant que son éducation trop profondément ancrée en elle ne reprenne le dessus et la pousse à rentrer dans le moule auquel elle a toujours été, de par ses origines sociales, destiné, et celle, fictive dans la diégèse de l’œuvre, qui provient du livre que lit le personnage principal et qui a été écrit par son ex-mari Edward, jeune auteur issu d’une famille plus modeste, narrant le calvaire que va endurer un homme n’ayant su protéger sa famille de la violence d’un impitoyable gang. Les deux récits vont peu à peu se faire écho, la fiction de son ex-mari suscitant une remise en question de l’existence que s’est choisie l’héroïne. Cela commence à ce propos métaphoriquement lorsqu’elle se coupe le doigt en déballant le livre de son enveloppe. La chaleur étouffante, la brutalité et la crasse décrites dans le roman contrastent avec l’environnement glacial et l’aseptisation du monde « réel » de Susan, où le « beau », le « lisse » et le « factice » sont synonymes de décadence.
Susan, bouleversée par l’écriture de son ex-mari, va prendre au fur et à mesure conscience de ses erreurs passées et du mensonge qu’est son actuel mariage avec un homme de même classe sociale. La symbolique qui irrigue l’œuvre d’Edward agit comme un révélateur pour Susan : l’horreur est représentée –à l’image et dans l’imaginaire de Susan - sous les traits d’acteurs connus pour leurs rôles d’Apollon, figures d’un milieu artificiel et vide l’écœurant de plus en plus et l’enfermant sur elle-même.
Faut-il voir dans l’écriture de ce roman une volonté d’Edward de « sauver » son ex-femme ou bien un simple désir de vengeance contre celle qui a choisi de le quitter pour un milieu qu’elle détestait autrefois ? Inutile de spoiler la réponse mais le personnage fictif du shérif, symbole d’autorité, peut se voir comme une représentation de l’inéluctabilité de la relation de Susan et Edward. En revanche, il semble évident que le film est en lui-même une sorte de vengeance de Tom Ford sur un milieu qu’il connait très bien, le réalisateur étant issu de la mode. On pourra y voir une critique acerbe d’un monde replié sur ses ridicules préoccupations et sur ses certitudes grotesques, tournant littéralement en rond sans se remettre en question.
Il est peu évident d’analyser le film sans en révéler des éléments importants de l’intrigue, car la fin apporte un second éclairage à un récit a priori complexe. C’est un long-métrage qui ne fera pas l’unanimité, mais la proposition de cinéma devrait réjouir nombre de cinéphiles. Tom Ford brasse les genres avec talent, sa mise en scène étant particulièrement réfléchie et pertinente. Le casting est également judicieux, y compris en ce qui concerne les seconds rôles attribués à d’excellents artistes. On l’a déjà dit, mais que l’on donne donc un Oscar à Amy Adams !
Un très grand film que l’on recommande.
Titre original | Nocturnal Animals |
Mise en scène | Tom Ford |
Date de sortie | 04/01/2017 avec Universal Pictures |
Scénario | Tom Ford & Austin Wright |
Distribution | Amy Adams, Jake Gyllenhaal, Michael Shannon, Armie Hammer, Aaron Taylor-Johnson, Laura Linney & Michael Sheen |
Photographie | Abel Korzeniowski |
Musique | Seamus McGarvey |
Support & durée | 2.35 : 1 / 117 minutes |
Synopsis : Susan, galeriste à Los Angeles mène une vie bien rangée à la limite de la monotonie, délaissée par son époux Hutton Morrow. Jusqu’au jour où, seule à la maison, elle reçoit un livre : Nocturnal Animals, signé par son ex-mari Edward Sheffield, dont elle est sans nouvelles depuis des années. Edwards s’y met en scène dans le rôle de Tony Hastings, un père de famille en proie à l’horreur sur les routes du Texas, face à Ray Marcus, un chef de gang ultraviolent et le lieutenant Bobby Andes. Ce roman, d’une violence rare, va bouleverser Susan et réveiller bien des sentiments, que la jeune femme croyait enfouis à jamais… fissurant dangereusement la surface vernie de l’existence qu’elle s’est choisie.