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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] Bronco Apache

[critique] Bronco Apache

Continuons dans le cycle estival « Western » en remontant le temps jusqu’aux classiques américains. Le plus vieux DVD disponible dans ma vidéothèque était ce Bronco Apache, qui appartenait à feu mon père, premier western tourné par Robert Aldrich (il enchaînera la même année avec Vera Cruz), produit et interprété par le trépidant Burt Lancaster.

C’était l’occasion non seulement de replonger en enfance, à l’époque où, émerveillés, mes frères et moi suivions docilement les inclinations des parents qui étaient grands amateurs du genre –mais également de retrouver cet esprit plus réactionnaire des films américains d’avant les années 60 où « un bon Indien » était invariablement « un Indien mort ». On y célébrait la camaraderie virile ainsi que l’obstination et la persévérance dans la conquête d’un territoire disputé à cette engeance mauvaise car non civilisée.

Manque de chance : Bronco Apache, tiré d’une histoire vraie (un guerrier apache du nom de Massaï s’est effectivement échappé du train l’emmenant en déportation et a sillonné le pays en volant, violant et tuant des Blancs), choisit dès le départ le point de vue de l’oppressé en construisant dans un récit âpre et nerveux une vision inhabituelle d’un Far-West doutant encore de sa légitimité mais certain de son avenir radieux… pour les colons. En 1886, épuisé par des années de guérilla, à jouer à cache-cache avec l’armée américaine et les forces mexicaines, Geronimo finit donc par se rendre avec ce qui lui restait de la nation apache Chiricahua. Seul Massaï choisit de continuer la lutte, mais il est d’abord contraint de se soumettre aux autorités, sous le regard énamouré de Nalinle, fille du nouveau chef Santos. A la première occasion qui se présentera, il faussera compagnie à ses vainqueurs et devra retrouver seul le chemin menant au territoire apache. Usant au mieux de ses aptitudes guerrier capable d’utiliser à son avantage le terrain et de survivre en territoire hostile, il parviendra à subsister, puis à se fondre dans le décor – ce qui lui permettra de mieux connaître les us de ce peuple étrange et indolent qui se rassemble dans des cités construites en dur et se préoccupe avant tout de son confort et de ses loisirs. En chemin, il rencontrera un de ses pairs, dorénavant intégré : un Cherokee qui, s’il n’a pas vendu son âme aux conquérants blancs, a choisi de vivre en harmonie avec lui en adoptant la posture des fermiers et en cultivant ses propres semences.

Cette rencontre est le nœud gordien sur lequel s’articule le film : le fier guerrier, refusant la soumission, se voit ainsi proposer une alternative à la rébellion désespérée qu’il entend mener (tout en sachant par avance qu’elle ne conduira qu’à sa perte) ; en apprenant la culture du maïs aux derniers Apaches, il pourrait leur permettre de vivre sur un pied d’égalité avec les colons, sans devoir quémander une terre et des vivres. Sa nature fière et brutale refusera régulièrement cette évolution, même s’il sait très vite qu’il faudra forcément en passer par là. Ce faisant, Massaï parvient à regagner ses terres et constate la veulerie de Santos, qui se noie dans l’alcool pour oublier ses tourments. Bien qu’auréolé d’un statut de héros très friable, il ne convainc que Nalinle, toujours en adoration pour ce brave indompté et ce qu’il pourrait apporter à la nation Chiricahua.

On est donc face à un métrage qui sort des sentiers battus. Si de nombreux films avaient déjà utilisé le personnage fascinant de Geronimo (qui s’est plusieurs fois rendu avant de se révolter face aux promesses non tenues de ses oppresseurs), je ne crois pas qu’on était allé aussi loin dans le questionnement de la condition indienne au cinéma, avec ce savant mélange de points de vue qui s’opposent : entre les Indiens dépités qui acceptent leur condition (se faisant déporter dans une région humide en Floride qui finira par avoir raison de leur santé), les réfractaires qui se savent condamnés et les avisés qui choisissent de s’adapter, le choix est restreint si on vise la survie du peuple sur le long terme. Massaï le sait, et c’est pourquoi il préfèrera très tôt mener le combat seul, par vengeance plutôt que par conviction, attendant la mort sur le champ de bataille plutôt que dans une réserve.

Aldrich sait mener sa barque. Malgré un montage parfois maladroit dans les scènes de fusillade (on est loin de la maîtrise qu’il démontrera dans les Douze Salopards), il privilégie les extérieurs aux studios et permet de faire évoluer l’athlétique Burt Lancaster dans des décors impressionnants (des parcs nationaux en Californie et en Arizona), sans toutefois chercher à les magnifier à la manière de John Ford. C’est bien davantage la silhouette et les aptitudes physiques de son acteur principal qu’il met en avant avec ces nombreux plans larges où l’on voit le fier guerrier courir sur les crêtes rocheuses, sauter en contrebas, grimper à flanc de colline ou sur un mur, ramper sur le grès rougeâtre, franchir un canyon ou rester à l’affût de sa proie. On sent que Lancaster se régale de ces séquences agitées qui permettent de briser la solennité dont sont empreints les dialogues. Evidemment, la première qu’on l’aperçoit – ainsi que Nalinle, interprétée par la très belle Jean Peters – on ne peut que sourire devant ces yeux bleus et ces dents impeccablement blanches. De nos jours, ça passe mal, et l’excellente restauration du DVD MGM permet de souligner le travail des maquilleurs qui n’y sont pas allés de main morte avec le fond de teint. La surprise viendra lorsqu’on aperçoit l’acteur derrière Hondo, l’Apache renégat qui sert dans l’armée et traque les siens (au point d’être promu sergent) : c’est bien Charles Bronson, encore un peu tendre et dont on n’entendra que rarement le timbre de voix caractéristique. Ne le cherchez pas au générique, il apparaît sous le patronyme Buchinsky.

Voilà donc un film honnête, au propos détonnant pour l’époque, mené tambour battant au rythme des rapines et attentats menés par ce rebelle qui finira par entendre raison, tempéré par l’amour indéfectible que lui porte la fille du chef indigne. La fin optimiste fait un peu tache dans ce récit amer – on comprend mieux quand on apprend que le script originel était beaucoup plus sombre au point d’avoir choqué les producteurs.

[critique] Bronco Apache

 

Titre original

Apache

Mise en scène 

Robert Aldrich

Date de sortie en salles

22 décembre 1954 avec United Artists

Date de sortie en vidéo

5 août 2003 avec MGM

Scénario 

James R. Webb d’après le roman de Paul I. Wellman

Distribution 

Burt Lancaster, Jean Peters, John McIntire & Charles Bronson

Photographie

Ernest Laszlo & Stanley Cortez

Musique

David Raksin

Support & durée

DVD MGM (2012) zone 2 en 1.33 : 1 / 91 minutes

 

Synopsis : Après des années de guerre sanglante contre les colons, le chef Apache Geronimo accepte de se soumettre avec son peuple. Cette humiliation n’est pas du goût de Massaï, le plus féroce de ses guerriers, qui refuse d’abandonner le combat. D’abord capturé, il s’échappe du train déportant la plupart des Apaches vers la Floride et traverse la moitié du continent pour retrouver les siens et reprendre le flambeau de la révolte. Mais il est bien seul…

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