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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

les Innocentes : Laâge de raison

les Innocentes : Laâge de raison
Les Innocentes

Les Innocentes a au moins un point commun avec les précédents films que nous avons testés récemment : il est directement inspiré d’un fait réel. Mais au contraire d’El Clan et de Free Love, la réalité historique n’a pas été respectée, les scénaristes s’étant servis d’un véritable fait divers atroce qui s’est déroulé durant l’année 1945 afin de construire une histoire cohérente et profondément féminine.

Ainsi, lorsque Mathilde, interne à la Croix-Rouge française, accepte à contrecœur d’aller dans ce couvent de Bénédictines, pressée par une novice fugueuse, elle découvre l’horrible réalité : des bonnes sœurs ont été violées par des soldats soviétiques pendant 2 jours, et certaines, enceintes, se trouvent au plus mal. Toutefois l’Histoire était encore plus inhumaine puisque les militaires en question avaient exécuté 20 des 25 nonnes…

Les Innocentes choisit donc de ne pas s’appesantir sur la barbarie de l’acte ignoble et cette forme d’impunité liée à l’état de guerre, mais plutôt sur la manière dont la foi est capable d’assimiler puis, éventuellement, de passer outre la tragédie pour permettre à l’humain de ne pas se déconstruire. Le biais d’une photographie sublime aux couleurs désaturées permet d’inscrire ce drame dans un registre à la lisière du fantastique : impossible de ne pas s’émouvoir devant la lancinante beauté dégagée par la course d’une nonne dans les bois enneigés. D’autant qu’en dehors des décors austères du couvent (les rares pièces aménagées ayant été reconstruites dans les ruines d’un monastère en Pologne), pas grand-chose ne vient égayer ces tableaux désespérément mornes où les seuls éclats sont ceux des rires d’enfants abandonnés, des regards enfiévrés de religieuses mutiques et du visage compatissant d’une Lou de Laâge au charme cristallin. Interprétant une jeune femme moderne, décidée et presque blasée (au début), elle trouve immédiatement le ton juste pour établir un contrepoint saisissant et riche avec l’entêtement de la Mère Abbesse et la dignité de Sœur Maria. Des millénaires de brutalités phallocrates circulent dans les échanges muets entre ces femmes qui, on le découvrira progressivement, n’ont pas forcément choisi leur statut. Mais qui ne manquent pas de caractère, ce qui occasionne quelques échanges passionnés mais brefs entre une praticienne décidée à aider ces malheureuses malgré elles et des nonnes engoncées dans leur Règle et désireuses de protéger leurs novices incapables de concilier les fondements même de leur vie monastique et les conséquences physiques et morales des viols commis sur elles.

 

C’est à ce moment que le film opère quelques sursauts scénaristiques hasardeux en insérant assez maladroitement une romance hésitante entre Mathilde et le médecin-chef (Vincent Macaigne, à la fois parfait en missionnaire désabusé et presque hors de propos par sa gaucherie cynique). D’ailleurs, les rares séquences introduisant des hommes (le sévère directeur de la Croix-Rouge, les lubriques gardes polonais) ne les montre pas sous leur meilleur jour, comme s’il fallait surligner davantage l’extrême infamie dont les sœurs ont été victimes – un manichéisme qui nuit à la subtilité utilisée jusque lors dans la résolution délicate des situations. Heureusement, ce dernier l’emporte assez vite et laisse une impression dolente d’empathie, sans débordements émotionnels, sans éclat de voix. Les convictions de Mathilde se heurteront souvent à la fermeté des positions de la Mère Abbesse qui ira jusqu’à user d’expédients extrêmes, mais elles demeurent entendues sur le fait qu’il faille à tout prix sauver ces innocentes. Soigner ces mères malheureuses qui ne comprennent parfois pas comment elles ont pu être abandonnées du Dieu qu’elles ont épousé est un fait, mais que faire du fruit de ces rapports non désirés ? Et comment préserver l’intégrité du couvent dans ces temps troubles où le communisme ambiant fait sa chasse aux sorcières ?

Sans dévoiler les ressorts qui amèneront la conclusion, je tiens à souligner la très belle fin apportée à cette histoire sensible et pudique, toute en retenue, qui risque de déstabiliser par son refus du sensationnalisme, la radicalité de sa mise en scène (hormis les chants religieux lors des offices, la bande originale se montre étrangement discrète) et la violence des enjeux. Une œuvre réussie qu’on peut découvrir à présent en vidéo puisque le DVD est disponible depuis le 21 juin.

 

Titre original

Les Innocentes

Mise en scène 

Anne Fontaine

Date de sortie en salles

10 février 2016 avec Mars Films 

Date de sortie en vidéo

21 juin 2016 avec TF1 Vidéo

Scénario 

Sabrina B. Karine & Alice Vial

Distribution 

Lou de Laâge, Vincent Macaigne & Agata Buzek

Photographie

Caroline Champetier

Musique

Grégoire Hetzel

Support & durée

DVD TF1 Vidéo (2016) zone 2 en 2.35 :1 / 115 min

 

Synopsis : Pologne, décembre 1945.
Mathilde Beaulieu, une jeune interne de la Croix-Rouge chargée de soigner les rescapés français avant leur rapatriement, est appelée au secours par une religieuse polonaise.
D’abord réticente, Mathilde accepte de la suivre dans son couvent où trente Bénédictines vivent coupées du monde. Elle découvre que plusieurs d’entre elles, tombées enceintes dans des circonstances dramatiques, sont sur le point d’accoucher.
Peu à peu, se nouent entre Mathilde, athée et rationaliste, et les religieuses, attachées aux règles de leur vocation, des relations complexes que le danger va aiguiser...
C’est pourtant ensemble qu’elles retrouveront le chemin de la vie.

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