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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] le Secret de Kanwar : sans contrefaçon...

Avec ce deuxième film salué par la critique dans les festivals qu’il a fréquentés et couronné par de nombreux prix (Prix du Public à Rotterdam, Prix du Jury à Vesoul, Prix NetPac à Toronto), Anup Singh choisit un curieux mélange des genres cinématographiques pour raconter la douleur d’un père spolié de sa terre et accablé par un destin contraire, mais aussi les méandres moraux de la condition féminine en Inde.

Le Secret de Kanwar n’est pas un film aisé, confortable. Son rythme indolent, parfois ponctué de drames plus ou moins poignants, se cale sur une photographie soignée baignant les scènes dans une aura mordorée, les rendant parfois irréelles. Tourné au Pendjab, afin de coller au plus près de la réalité des personnages (tout tourne autour d’une famille Sikh, et plus particulièrement d’un père et de sa 4e fille, Kanwar, que, dans sa rage aveugle après avoir été chassé de son village lors de la partition du Pakistan, il décide d’élever comme un garçon), ce métrage a le don d’interroger en permanence la conscience du spectateur en le confrontant à certains paradoxes éthiques liés aux contraintes sociétales et/ou religieuses.

Il est clair que le film, s’il paraît de prime abord construit de façon classique, avec des transitions presque surannées (des fondus au noir entre les époques), a tendance à surprendre par son ton et certains virages adoptés. Passé un prologue à l’ambiance lourde dans une atmosphère de fin du monde mêlant un homme qui soupire, un cadavre de femme et une rivière dans une nuit chargée de mystère, le récit entame sa progression quelques années auparavant. Umber y est le héros d’une communauté sikh qui a réussi in extremis à repousser les « bandits » pakistanais, mais un héros désenchanté car il sait que ce n’est que partie remise : le départ est inévitable. Au même moment, sa femme accouche d’une troisième fille. Quelques temps plus tard, alors qu’il tente de reconstruire sa vie et son honneur, une nouvelle naissance survient : en elle il fonde tous ses espoirs. Las ! Sa femme donne vie à ce qu’il ne pouvait tolérer. Pourtant, au lieu de rejeter le nourrisson, Umber, les yeux déjà voilés d’une folie latente, refuse de reconnaître les faits : Kanwar est un garçon, sera un garçon, et élevé comme tel. Son épouse, complice malgré elle, scellera alors le sort de l’enfant dont le père choisit de trahir le destin.

Loin de l’Inde multicolore et innocente de Bollywood, le film s’applique à suivre au plus près des personnages composant tant bien que mal avec un système de castes et des principes difficilement imaginables pour nous autres occidentaux, tout en se gardant bien de souligner outre mesure ces règles ancestrales qui cloisonnent l’existence des femmes, tout en mettant en valeur leur formidable ténacité :

Dans ce monde où l’avidité masculine et la volonté de posséder sont des forces dominantes, les femmes, même privées de tout pouvoir, gardent une immense capacité d’empathie.

Singh ne se prive pas ainsi, bien aidé par son chef opérateur qui délivre une lumière éthérée dans les intérieurs, de cadrer très serré sur les visages de ses interprètes, lesquels sont tous convaincants : la fraîcheur et le naturel de Rasika Dugal – jeune bohémienne qui sera contrainte d’épouser Kanwar – font écho à la beauté solennelle de Tisca Chopra, formidable mère courage face à un mari déraciné capable des pires violences sur ses filles. Mais impossible de passer sous silence la performance d’Irrfan Khan (déjà vu dans the Lunchbox), tour à tour mari aimant et père attentionné avec son « fils », guerrier intrépide et chef de famille implacable, écrasé par le poids des conventions et s’enfonçant, à chaque choix capital sur l’avenir de ce garçon-qui-n’en-est-pas-un, davantage dans l’irrémédiable folie qui conduira à l’inévitable drame.

Quoique balisé, le sentier suivi par le métrage ne s’affranchit pas d’heureuses surprises, de petites saynètes chargées d’une poésie antique, de dialogues percutants au sein d’une romance inattendue entre Kanwar et Neeli avant d’entrer dans une dernière demie heure surprenante qui sort le film du pur réalisme en ouvrant des passages vers le fantastique. C’est là que Kanwar devra définitivement faire un choix dans sa dualité masculine/féminine, l’une affirmée contre la nature de l’autre, choix perturbé par sa relation ambiguë avec Neeli et par la présence d’un… fantôme.

Très riche par les valeurs véhiculées et l’intensité des émotions dévoilées, cette œuvre quoique parfois maladroite dans certaines scènes-clefs délivre énormément de questions et laisse au spectateur un sentiment d’impuissance pénible mais salvateur. Les acteurs excellent dans leur registre et seul un montage un peu lancinant pousse à estimer que le film est un peu trop long. Mais il est certainement à voir.

 

 

 

Titre original

Qissa : the Tale of a lonely ghost

Réalisation 

Anup Singh

Date de sortie

3 septembre 2014 avec Zootrope Films

Scénario 

Anup Singh

Distribution 

Irrfan Khan, Tisca Chopra, Tillotama Shome & Rasika Dugal

Photographie

Sebastian Edschmid

Musique

Béatrice Thiriet

Support & durée

35 mm 2.35 :1 / 109 min

 

Synopsis : 1947. Partition de l’Inde et création du Pakistan. Umber Singh, un père de famille Sikh, est contraint de fuir son village et de tout abandonner derrière lui. Son dernier espoir est d’avoir un fils comme héritier. Mais sa femme donne naissance à une quatrième fille. Umber décide alors de changer la destinée de cet enfant en l’élevant comme un garçon , et en allant jusqu’à « le » marier à une jeune fille…

 

[critique] le Secret de Kanwar : sans contrefaçon...

Dans ce monde où l’avidité masculine et la volonté de posséder sont des forces dominantes, les femmes, même privées de tout pouvoir, gardent une immense capacité d’empathie.

Entretien avec Anup Singh par Ronald Glasbergen

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