Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Le Terminal fait partie de ces œuvres qui paraissent de prime abord mineures, gentillettes, destinées à faire passer un bon moment en famille au cinéma et à s’oublier aussitôt sortis de la salle obscure – et qui révèlent par la suite beaucoup plus que la somme de ses composants visibles à l’écran. Enchaîné juste après Arrête-moi si tu peux, il s’inscrit à l’issue d’une période de grande frénésie chez Spielberg qui semblait ne plus devoir s’arrêter de tourner : même acteur principal et genre similaire, ainsi qu’une ambiance musicale semblable. Cela pourrait passer pour de la facilité chez un metteur en scène désormais sûr de son art, reconnu par ses pairs, encensé par la critique, soutenu par le public mais très loin d’être blasé. A bien y regarder, on s’aperçoit qu’il n’en est rien.
Directement inspiré de l’histoire vraie de cet Iranien sans papiers qui passera des années dans l’aéroport de Roissy, le Terminal se veut avant tout une comédie de mœurs et utilise ce véritable melting-pot comme boîte de Petri pour toutes sortes d’interactions sociales, sentimentales et même politiques. De fait, un terminal international, quand on y pense, n’est rien d’autre qu’un condensé de la société humaine : venus de tous les horizons, les gens s’y croisent et se fréquentent brièvement dans un terrain véritablement miné par des règlements draconiens et la barrière de la langue. Cette dernière est même fondamentale : regardez à quel point Navorski se retrouve démuni lorsqu’il désire passer un coup de téléphone ! Les représentants de l’autorité aéroportuaire ont pourtant correctement fait leur travail (on en est encore au début de film, et si on comprend bien l’ambition de Dixon, on ne peut pas vraiment critiquer son travail et celui de l’agent de sécurité – à part le fait qu’ils se débarrassent un peu vite d’un étranger dont ils savent pertinemment qu’il ne parle pas un mot d’anglais) mais comment voulez-vous qu’on puisse se servir d’une cabine téléphonique avec une carte prépayée rédigée dans une autre langue ? A ce propos, pour relever un des nombreux parallèles notables du Terminal avec d’autres œuvres (que Nico, admirateur du film, s’est empressé de me rappeler, merci !), on apprend que Spielberg s’est finalement décidé à modifier les lignes de dialogue de Tom Hanks, estimant que lui faire dire « Phone home ! » était un peu trop voyant…
Tout ou presque se déroule dans l’enceinte de ce terminal de l’aéroport de JFK entièrement bâti dans un hangar – de manière à ce que Spielberg puisse faire circuler sa caméra comme bon lui semblait (et il ne s’en prive pas dès le début avec ce superbe travelling arrière, complété plus tard par un panoramique oblique sur les escalators, deux mouvements d’une limpidité remarquable destinés à illustrer le sentiment de perdition, d’exclusion d’un homme seul au milieu d’une foule).
Sur ce plan, le Terminal est exemplaire et peut se permettre ainsi (comme souvent chez Spielberg, sous l’apparence optimiste et enjouée) d’aller relever quelques-uns des travers de nos sociétés occidentales, a fortiori de la société américaine qui, quoique forgée sur la solidarité entre peuples déracinés, persiste à stigmatiser les minorités, terre d’accueil cynique qui veut bien fermer les yeux sur le passé de ses immigrés plus ou moins officiels tant que ceux-ci rendent les services pour lesquels ils sont, naturellement, sous-payés. Il est ainsi symptomatique de constater que Navorski, grand benêt d’apparence mais loin d’être empoté, puis redoutablement efficace dès lors qu’il s’agit de survivre, pourra compter sur l’aide des hommes de l’ombre, tous ressortissants d’une minorité ethnique (un Indien technicien de surface, un Latino magasinier aux cuisines), pour résister à la pression grandissante de Dixon, tout puissant et vindicatif responsable de la sécurité qui ne supporte pas ce grain de sable ambulant et imprévisible qu’est l'apatride. Stanley Tucci est très juste dans le rôle de cet ambitieux personnage un peu trop rigide mais dont l’aigreur correspond bien aux caractères foncièrement positifs des autres personnages dans un récit assez proche du conte, mais un conte à rebours dans lequel on apprend finalement davantage sur les personnages secondaires (Gupta est recherché pour agression sur un fonctionnaire de police dans son pays, Enrique est secrètement amoureux de Torres, la préposée aux visas, Dixon ambitionne de devenir calife à la place du calife et Amelia avoue ne pas pouvoir vivre sans un homme à ses côtés, quand bien même il abuserait de ses faiblesses) que sur le héros, sans famille, provisoirement sans patrie, au métier indéterminé – mais doué de ses mains, observateur, perspicace, foncièrement bon et surtout malin. Candide lucide sur les failles du système dans lequel il se meut, « il découvre l’Amérique et ses travers dans un microcosme » et rebâtit sa vie : « il cherche un travail, se nourrit, construit, trouve le bonheur, l’amour, les désillusions et l’entraide » [dixit Nico]. Tout naturellement, avec la grâce évidente dont Spielberg a le secret, Viktor, d’abord victime d’un processus dont il ne comprend pas les ressorts, devient le héros des opprimés, leur porte-étendard et leur symbole vivant : par ses actes, sa pugnacité placide, sa bonhomie, il influencera durablement tous ceux qu’il a approchés, aidés, soutenus, conseillés voire simplement côtoyés. Il en a fait sourire plus d’un, en a intrigué d’autres, mais il les a tous fascinés à la longue : tranquillement, gentiment, discrètement, ce drôle de bonhomme à la démarche ridicule (même dans un costume Hugo Boss, il semble gauche, alors qu’il est incroyablement talentueux un marteau en mains) a changé leur vie. Dixon, s’il avait eu l’esprit moins obnubilé par une promotion qui lui tendait les bras, aurait sans doute été également sensible à l’incroyable parcours de Viktor et il n’est pas étonnant qu’il finisse seul dans sa croisade absurde contre celui qui refuse à simplement de se soumettre. Le finale attendu, avec le retournement des policiers, est de ces moments gratifiants qu’on collectionne dans notre mémoire, pour les vieux jours, mettant ce film dans la liste des feel good movies.
Reste la romance.
Je dois avouer que les premières fois, je la trouvais déplacée ou, au mieux, maladroite et inutile. J’admettais les grands sentiments animant les autres personnages, leur ineffable bonté presque disneyenne face au cynisme aveugle du seul méchant personnifié de service (le véritable ennemi étant le système, invisible et omniprésent) mais j’avais du mal à vibrer pour la relation entre cette hôtesse accorte au sourire lumineux (rarement Catherine Zeta-Jones aura été aussi belle) et le résidant permanent de la Porte 67. Pourtant, ça fonctionne, car Spielberg ne se précipite pas sur leur liaison (Amelia n’étant de passage à JFK que toutes les trois semaines environ) et établit des paramètres singuliers : même s’il est immédiatement séduit par la fraîcheur et l’éclat d’Amelia, Viktor n’entreprendra rien de décisif en premier – au contraire, c’est elle qui l’invite un soir de déprime et lui fait clairement comprendre quelle genre de femme elle est. Là aussi, on remarquera que l’entreprise de séduction de Viktor, complètement surannée dans son principe, emporte l’adhésion et nous rappelle le bon temps des bluettes où l’homme comptait fleurette et ne précipitait pas les choses : ici, notre héros va d’abord s’intéresser à elle, enregistrer ses doutes, ses passions, ses attitudes et courtisera savamment la jeune femme en jouant sur des détails signifiants. Il donne toutes les garanties du futur compagnon adorable et prévenant, celui qui saura séduire la fille comme la belle-mère par ses attentions – mais est-ce bien ce qu’elle cherche, après tout ? Elle l’avait mis en garde dès le début. Pertinente ou pas, cette histoire d’amour intemporelle permet aussi de mettre en avant le travail d’interprétation de ses acteurs et procure son lot de scènes émouvantes. Ajoutons que Tom Hanks, depuis ce moment où il découvre, atterré, le coup d’Etat en Krakhozie, déploie une vaste palette de sensations convaincantes.
Il ne faut pas oublier de souligner l’exceptionnel travail de John Williams qui nous
gratifie d’une bande originale riche en sonorités jazz auxquelles se mêlent des thèmes bulgares, qui se marie avec la très belle photo de Kaminski (le blu-ray lui rend la plupart du temps hommage, hormis quelques scènes en basse lumière un peu fourmillantes). « Sans compter les référence pop présentes dans chacun de ses films comme avec Friends ou Twilight Zone » [Nico].
Beau film qui laisse un goût de miel et donne envie de tenir les promesses faites à sa famille.
Titre original |
The Terminal |
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Réalisation |
Steven Spielberg |
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Date de sortie |
15 septembre 2004 avec Dreamworks |
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Scénario |
Nathanson, Gervasi & Niccol d’après le roman le Terminal & moi |
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Distribution |
Tom Hanks, Catherine Zeta-Jones, Zoé Saldana & Stanley Tucci |
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Photographie |
Janusz Kaminski |
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Musique |
John Williams |
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Support & durée |
Blu-ray Universal (2014) region 2, 1.85 :1 / 128 min |
Synopsis : Viktor Navorski est l'un de ces milliers de touristes, venus des quatre coins du monde, qui débarquent chaque jour à l'Aéroport JFK de New York. Mais, à quelques heures de son arrivée, voilà qu'un coup d'État bouleverse sa petite république d'Europe Centrale, mettant celle-ci au ban des nations et faisant de Viktor... un apatride. Les portes de l'Amérique se ferment devant lui, alors même que se bouclent les frontières de son pays : Viktor est bel et bien coincé...
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