Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.
Si les studios Ghibli font presque toujours l’unanimité concernant l’appréciation et la qualité intrinsèque de leurs œuvres, on les associe plus souvent à Miyazaki qu’à son compère/frère ennemi Takahata. Le fait est que, si je suis grand fan de l’œuvre du premier, je ne connais absolument rien du second, mis à part les nombreux éloges distillés par des amis cinéphiles ou la presse spécialisée. L’occasion était trop belle pour découvrir son univers, d’autant que les premières notes au Palmarès étaient plus qu’enthousiastes.
Dès le départ, l’œuvre surprend, déstabilise et fascine. De fait, c’est un peu ce qui semble être la marque de fabrique de Takahata dont les œuvres mettent plus de temps à séduire, moins facilement accessibles aux plus jeunes. Car à l’ère de l’explosion de la 3D et des dessins millimétrés, le réalisateur/scénariste propose des personnages (apparemment) crayonnés à la hâte se mouvant dans des décors minimalistes (parfois un simple fond blanc, d’autres fois quelques arrière-plans aquarellés). On est loin du jeu de séduction habituel des producteurs de métrages d’animation, d’autant que les dits-personnages (le coupeur de bambou, sa femme et quelques enfants) sont dépeints de manière presque grotesque, l’accent étant mis sur les expressions faciales (la bouche et les yeux représentant l’essentiel de leurs traits) à la façon des acteurs de théâtre antique. En parallèle, la narration du conte s’effectue par le biais d’une voix off paisible et sereine, une véritable invite au voyage (les doubleurs français ont été encore une fois particulièrement bien choisis) soulignée par la partition remarquable du toujours impeccable Joe Hisaishi.
Pour qui connaît un tant soit peu les contes, et a fortiori les contes orientaux, le récit de celui-ci est à la fois familier et étonnant. Les bases sont connues, les éléments ponctuant son déroulement éveillent les échos de souvenirs d’écoliers : le coupeur de bambou est un homme foncièrement bon, pieux, vivant simplement et soutenu par l’indéfectible amour de sa femme. L’arrivée de cette petite princesse tombée du ciel n’y changera rien, du moins au départ, et quand bien même elle serait accompagnée d’éléments miraculeux (la croissance extraordinaire du bébé, les monceaux d’or découverts). Seulement, persuadé qu’il s’agit d’un don céleste, le vieil homme finira par prendre une décision capitale qui bouleversera la jeune vie de l’enfant prodige : son destin étant celui d’une princesse, il faut qu’elle mène une vie de princesse.
A partir de cet instant, l’histoire ne cessera de prendre gentiment le spectateur à rebrousse-poil, l’installant d’abord confortablement dans un script qui prend son temps avant de le mener dans une direction inattendue. Le fait est que Takahata ne se prive pas d’allonger la sauce et laisse les séquences se conclure d’elles-mêmes, appuyant les réactions et les sentiments de cette jeune femme d’une beauté telle qu’elle devient l’objet de convoitise des plus puissants représentants de l’empire.
Ce qui est très fort, c’est qu’on s’aperçoit qu’au travers de ce récit millénaire, le cinéaste ne se prive pas d’aborder des thèmes extrêmement modernes avec ce qu’il faut de finesse et de doigté pour ne pas être taxé de féministe ringard ou d’écolo à la petite semaine : dans la scène centrale du conte, ce n’est pas tant la nature fantastique ou mythique des défis à relever pour conquérir Kaguya qui importent, mais bien le fait que dans une société où la femme est reléguée au rang d’objet, les plus grands princes se retrouvent, le temps de sa conquête, soumis à sa bonne volonté dans un retournement de valeurs délicieux.
Il en va de même pour l’histoire d’amour qui semble se construire très tôt : jamais elle ne suivra la voie qui lui semblait toute tracée ; on n’est ni dans la Belle au bois dormant ni dans Raiponce et cette délectable frustration permet peut-être à Takahata de se débarrasser des vieux réflexes de conteurs évoquant l’amour impossible. Tout comme pour la texture fantastique du conte, qui réussit le tour de force de ne se dévoiler qu’à la toute fin, nous laissant profiter d’un monde presque réaliste.
Reste que l’ensemble peut paraître long et les atermoiements de Kaguya finir par lasser celui qui est habitué à des conclusions plus hâtives et, surtout, plus gaies. Car on y pleure autant qu’on y rit dans ce film jamais avare d’émotions qui saura laisser un doux baume nostalgique dans les pensées des spectateurs bien longtemps après le générique de fin.
Beau, plein de promesses et subtil comme une fleur de printemps.
Titre original |
Kaguya-hime no monogatari |
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Réalisation |
Isao Takahata |
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Date de sortie |
25 juin 1994 avec Walt Disney |
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Scénario |
Isao Takahata & Riko Sakaguchi |
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Distribution |
Les voix en VO d’Asia Asakura, Takeo Chii & Nobuko Miyamoto |
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Photographie |
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Musique |
Joe Hisaishi |
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Support & durée |
35 mm en 2.35 :1 / 137 min |
Synopsis : Adapté du conte populaire japonais le Coupeur de bambou, un des textes fondateurs de la littérature japonaise, Kaguya, "la princesse lumineuse", est découverte dans la tige d'un bambou par des paysans. Elle devient très vite une magnifique jeune femme que les plus grands princes convoitent : ceux-ci vont devoir relever d’impossibles défis dans l’espoir d’obtenir sa main.