Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] Her : Android rêve-t-il de moutons électriques ?

Her : Avec son quatrième long-métrage, Spike Jonze nous parle de lui, mais également de nous. Film d'anticipation qui n'en a pas l'air, Her est avant tout une histoire d'amour tout ce qu'il y a de plus simple, malgré l'originalité de son concept. L'occasion pour le réalisateur de faire le point sur sa vie privée, tout en abordant un sujet universel qui parlera à chacun de nous. En s'affranchissant de Charlie Kaufman, Spike Jonze gagne en épure, en sensibilité, et nous offre son film le plus personnel et le plus touchant.

Quatre films et beaucoup de courts-métrages pour le touche-à-tout Spike Jonze, qui n'a jamais été autant sincère qu'avec sa nouvelle réalisation, une première pour lui en tant qu'instigateur de l'histoire et scénariste. C'est dire si le sujet semble lui tenir à cœur. En effet, les errances émotionnelles de ce personnage incapable de tourner la page après son divorce paraissent particulièrement évoquer la vie privée du réalisateur. Sans faire de la sur interprétation, il est assez intéressant de voir Her comme une réponse possible de Spike Jonze à son ex-femme, Sofia Coppola, qu'il avait accompagnée sur le tournage de Lost In Translation, un film sur la rencontre entre deux personnes perdues sentimentalement, incapables de s'adapter à leur environnement. Outre les fameux plans typiques de Sofia Coppola (personne qui regarde le paysage de l'intérieur d'un train en marche, soleil à travers les arbres…), on retrouve quelques similitudes parfois étonnantes dans le film de Spike Jonze, notamment dans une scène de comédie entre le héros et une femme entreprenante renvoyant directement à la séquence « lick my stockings » de Lost In Translation ou encore dans les inévitables conversations à demi-mots en plein milieu de la nuit sur un lit. On pourra aussi remarquer la présence de K.K. Barrett, production designer des deux films, ainsi que bien évidemment de Scarlett Johansson, toujours au cœur de ces romances « interdites », qui s'interrogeait sur la pertinence de son mariage récent dans le film de 2004.

Mais le plus intrigant reste l'arc narratif de Rooney Mara, interprétant l'ex-femme de Joaquin Phoenix, mais semblant surtout imiter Sofia Coppola, dans ses gestes, ses postures et ses attitudes et même dans ses goûts vestimentaires. Rien de négatif, juste une remise en question sur sa relation. On peut penser que l'homme se sert de son film pour tourner la page, avec tendresse et respect. Mais bien entendu, Her est bien plus qu'un film égocentrique. C'est une histoire universelle que met en scène Spike Jonze. Sous ses allures de film de science-fiction, le monde représenté à l'image est très proche du nôtre. Le Los Angeles futuriste (principalement filmé à Shangaï pour certains extérieurs) a quelque chose de crédible, de réaliste, et l'environnement technologique est une proposition envisageable de ce qui pourrait bientôt débouler dans le quotidien. Le but est bien entendu d'arriver à mettre en place un univers cohérent pour que les spectateurs ne remettent jamais en cause ce qu'ils voient, et surtout pour qu'ils croient à cette histoire d'amour entre Théodore et Samantha, son nouvel OS. Etrangement, alors que le concept est complètement délirant, on s'habitue à cette romance et on la trouverait presque normale. C'est la grande qualité d'un film qui joue constamment sur un équilibre fragile, jamais moqueur, à la limite d'être ridicule tout en ne l'étant à aucun moment. Car derrière l'aspect potentiellement malsain d'un tel postulat, la relation entre Théodore et Samantha n'est pas artificielle et paraît bien plus naturelle et évidente que bien des interactions humaines. La sincérité avec laquelle les deux « individus » s'unissent est désarmante, tout comme l'évolution de leur relation arrive à être touchante. La romance est somme toute très classique, très simple, et c'est en cela que l'identification fonctionne totalement. L'on ressort du film bouleversé, mais également rassuré…

En s'affranchissant de Charlie Kaufman, Spike Jonze met en scène un film beaucoup plus épuré, beaucoup plus sensible. Sa réalisation est subtile, d'autant que le fait de ne filmer quasi uniquement qu’un seul personnage tient de l'exploit narratif. Joaquin Phoenix est comme à son habitude absolument remarquable, et il est accompagné de comédiennes tout aussi douées. Bien entendu, on retiendra la performance hallucinante de Scarlett Johansson, venue remplacer Samantha Morton (qui avait enregistré tous les dialogues Note sur 5 : 5aux côtés des autres acteurs au moment du tournage). Mention à la photographie (un jeu de couleurs magnifique, entre le rouge/rose et des tons jaunes et bleus selon l'ambiance) et à la musique planante. Et l'on s'amusera du petit clin d'œil à Blade Runner au moment de l'installation du nouvel OS !

 

Her est clairement un film à ne pas manquer…

 

Titre original

Her

Mise en scène 

Spike Jonze

Date de sortie

19 mars 2014 avec Wild Bunch

Scénario 

Spike Jonze

Distribution 

Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Rooney Mara & Olivia Wilde

Photographie

Hoyte Van Hoytema

Musique

Arcade Fire

Support & durée

1.85 :1 en 35 mm / 126 min

 

 

Synopsis : Los Angeles, dans un futur proche. Theodore Twombly, un homme sensible au caractère complexe, est inconsolable suite à une rupture difficile. Il fait alors l'acquisition d'un programme informatique ultramoderne, capable de s'adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il fait la connaissance de 'Samantha', une voix féminine intelligente, intuitive et étonnamment drôle. Les besoins et les désirs de Samantha grandissent et évoluent, tout comme ceux de Theodore, et peu à peu, ils tombent

[critique] Her : Android rêve-t-il de moutons électriques ?
Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
J'ai adoré ce film et je trouve pour ma part que l'histoire d'amour est très bien construite. <br /> J'y ai cru à cette histoire, comme d'ailleurs beaucoup de personnes croient en leur histoire construite sur internet. <br /> Ce film nous interroge aussi à l'heure ou les relations se font de moins en moins dans la vraie vie et ou la plupart des gens utilisent les réseaux sociaux pour se faire des amis.
Répondre
V
Vous êtes nombreux à avoir adhéré à l'histoire, comme le reflète le score très élevé du film au Palmarès Interblogs.
N
&quot;une sorte d'échappatoire, de désir d'autre chose, de volonté de se perdre dans l'illusion.&quot;<br /> <br /> Sans aller chercher sur facebook ou dans le virtuel, les propos de Cachou correspondent quand même pas mal à beaucoup de &quot;vraies&quot; relations amoureuses ;-) <br /> <br /> Je ne pense pas que le fait de savoir si la relation avec Samantha est &quot;réelle&quot; est au coeur du film, à l'inverse de la plupart des grands films sur les intelligences artificielles. Je trouve ça assez fort de la part de Spike Jonze de partir d'un postulat sf aussi fort pour parler simplement d'amour ordinaire et pas de la conscience, de la réalité, de l'intelligence ou autre grand concept vertigineux. J'ai beaucoup aimé.
Répondre
N
J'ai la Forêt de cristal sur ma pile à lire mais je n'ai pas vraiment de temps libre pour lire ou écrire en ce moment mais je m'y remettrai prochainement !
V
C'est vrai que souvent, au cinéma, le propos SF a tendance à phagocyter le récit, le noyant sous des artifices : sans doute une solution de facilité, en choisissant d'en mettre plein les yeux plutôt que de faire rêver. Merci d'être passé, et ne te noie pas dans les fins du monde de Ballard (je crois qu'il te manque &quot;la Forêt de cristal&quot; qui est mon préféré pour l'heure).
C
C'est amusant parce qu'on n'a pas du tout perçu la relation entre Theodore et Samantha de la même manière. De mon côté, je n'y ai pas cru un seul instant, non parce que c'était mal fait mais que pour moi, elle constituait non pas une histoire d'amour mais une sorte d'échappatoire, de désir d'autre chose, de volonté de se perdre dans l'illusion. Elle m'a rappelé ces relations que l'on croit avoir par internet mais qui ne sont faites que de ce qu'on a envie d'y projeter et non d'une connaissance &quot;réelle&quot; simplement parce qu'on doit combler trop de vides et interpréter plus de chose que dans une relation IRL. D'où d'ailleurs le final &quot;brutal&quot; qui revient à la réalisation de la part de projection qu'il y avait dans cette illusion d'amour qui n'en a jamais été un à mes yeux.
Répondre
N
Pour moi ils auraient été meilleurs en court ... Je lui préfère l'épure à partir de Max et qui se confirme avec Her
C
C'est marrant parce que moi je préfère le côté foutraque des deux premiers films (et les histoires hallucinantes qui vont avec).
V
Oui, avec le temps, je me fais moins ambitieux.
N
Il y a une nette différence entre les films fait à ses débuts et ses deux derniers; Je le préfère maintenant, moins foutraque, moins délirant, plus fin ...
C
itou. En même temps, 4 films, ça va ^_^.
V
Tout à fait. Et je me referai bien la filmo de Jonze.
C
Du coup, c'est amusant de voir le lien entre les deux films de part l'histoire personnelle du réalisateur (que j'avais complètement oubliée).
V
La discussion est intéressante et me rappelle celles qu'on avait eues pour des films comme &quot;Lost in translation&quot; justement, où la mise en scène laissait justement suffisamment de place à la libre interprétation des séquences en suggérant et proposant plutôt qu'en imposant et balisant.
C
Je ne suis pas sur FB mais j'ai déjà fait plusieurs rencontres virtuelles qui ont toutes été des échecs (enfin, pas toutes, j'ai rencontre un de mes plus proches amis de cette manière, mais là on n'est pas dans le registre amoureux abordé par &quot;Her&quot;) et, à force, j'ai fini par comprendre le problème (et l'irréalité) de la chose, d'où mon interprétation différente du propos de ce film ^_^.
N
Oui je comprends bien ... Après effectivement, je ne suis pas du genre à multiplier les contacts FB et ne suis pas spécialement familiarisé avec le concept de rencontre virtuelle ... Du coup la relation du film me semble &quot;vraie&quot; !