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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

L’Héritage des Templiers

Un roman policier américain de Steve Berry (2007) traduit par Françoise Smith, éditions France Loisirs 2008.

 

4e de couverture : 1118, Jérusalem, Terre sainte. Neuf chevaliers créent un ordre militaire, les « Pauvres Chevaliers du Christ ». Le roi Baudoin II leur cède pour résidence une partie de son palais, bâti sur les ruines du Temple de Salomon. Ils deviennent les « chevaliers du Temple », puis les « Templiers ».

1307 : Jacques de Molay, le grand maître de l’ordre des Templiers, est arrêté sur ordre de Philippe le Bel et livré à l’Inquisition. Il garde le silence sur le déjà célèbre trésor des Templiers.

2006 : Cotton Malone, ex-agent du département de la Justice américaine, et son amie Stéphanie, entrent en possession de documents troublants relatifs à la nature du trésor des Templiers. Commence alors une quête à la fois historique, érudite et périlleuse, qui les mènera à Rennes-le-Château, cœur du mystère.


Un roman étonnamment agréable en soit. Vous me trouverez peut-être un peu suffisant, mais si la mention « Templiers » a bien été le moteur principal de mon choix, j’avais déjà été tellement échaudé par le passé avec des récits n’utilisant que le côté romantique et mystérieux de l’ordre pour dresser une piètre toile de fond à des énigmes éculées que je ne désirais au fond qu’une seule chose : passer un bon moment en compagnie de mes moines-soldats préférés, quitte à décortiquer de temps en temps les références historiques qui y seraient parsemées. Le fait est que Berry est malin : sachant que, rien que chez France Loisirs, des romans évoquant les Pauvres Chevaliers du Christ sont légion, il lui fallait faire acte d’humilité et chercher en même temps à se démarquer pour attirer plus de lecteurs de son côté. Un style direct, franc sans être épuré, efficace à la manière des auteurs de thrillers modernes, un découpage fondé sur des happenings savamment (quoique souvent complaisamment) distillés visant à préserver un rythme soutenu, des personnages avec un petit quelque chose qui les rend immédiatement sympathique et/ou fascinants : autant d’ingrédients pour une lecture de vacances laissant d’agréables souvenirs.

 

Citation : Jésus dit : « Que celui qui cherche soit toujours en quête jusqu’à ce qu’il trouve, et quand il aura trouvé, il sera dans le trouble, ayant été troublé, il s’émerveillera, il règnera sur le Tout. »

Jésus dit : « Si ceux qui vous guident affirment : Voici, le Royaume de Dieu est dans le ciel, alors les oiseaux en sont plus près que vous ; s’ils vous disent : Voici, il est dans la mer, alors les poissons le connaissent déjà. Mais le Royaume est au dedans de vous, et il est au dehors de vous. »

Evangile de Thomas, logia 1 et 2

Traduction de Françoise Smith pour

L’Héritage des Templiers de Steve Berry.

 

Mieux : contrairement à, par exemple, Raymond Khoury dont je suis en train de lire le Dernier Templier ou, pire, les scénaristes de Benjamin Gates & le Trésor des Templiers [cliquer pour lire la chronique], Steve Berry a l’audace de déplacer l’action en Europe, d’abord dans un Danemark alléchant où s’est expatrié ce brave Malone – les descriptions de monuments historiques ont instantanément attiré mon attention, et ce pays n’est pas si loin de chez moi – puis en France, essentiellement dans cette Aude constellée de perles d’architectures et de nids de secrets historiques, avec ce magnifique petit village, propulsé depuis la fin des années soixante sur le devant de la scène, qu’est Rennes-le-Château. On a même droit à une incursion nocturne dans le Palais des Papes en Avignon ! Géographiquement, il s’agit d’un choix pertinent et on sait les Américains friands de ces régions noyées de traditions où la magie, les racines du christianisme, le symbolisme, les sociétés secrètes côtoient avec plus ou moins de bonheur l’Histoire officielle et les trésors naturels. On y trouve ainsi cette même franche admiration pour les paysages des contreforts des Pyrénées, les remparts de Carcassonne, le climat du Sud-ouest que ce que j’avais décelé chez Crichton dans son Prisonniers du Temps bien plus intéressant que le film qui en est issu – sauf que ce dernier situait le cœur de son intrigue dans le Périgord, autre région de l’Hexagone pour laquelle bat le cœur de bien des Etatsuniens.

 

 

Citation : Si un chevalier séculier, ou tout autre homme, veut s'en aller de la masse de perdition et abandonner ce siècle et choisir la vie commune du Temple, ne vous pressez pas trop pour le recevoir. Car ainsi le dit messire saint Paul : probate spiritus si ex Deo sunt, c'est-à-dire "Éprouvez l'esprit pour voir s'il vient de Dieu.

Pour que la compagnie des frères lui soit donnée, que la règle soit lue devant lui et s'il veut obéir à ses commandements, s'il plaît au maître et aux frères de le recevoir, qu'il montre sa volonté et son désir aux frères assemblés en chapitre et devant tous et qu'il fasse sa demande avec courage.

Règle de l’Ordre du Temple, version française primitive, article 55.

 

 

Ca se lit aisément, avec cette fausse décontraction qui fait qu’on avale les pages sous prétexte que les chapitres soient si courts. Et si, au début, l’action semble répartie sur plusieurs lieux, on s’y retrouve très vite : les rebondissements sur l’identité des protagonistes, le passé des parents disparus, les manigances au sein d’un Ordre qui a survécu pendant des siècles (la partie sans doute la moins crédible de l’échafaudage) pullulent, pas toujours de manière adéquate, mais permettent en tout cas de ne pas s’ennuyer tout en lisant de larges extraits de textes anciens, des débats passionnants sur le Jugement des Templiers, la pertinence de certains documents ou la position de l’Eglise et des considérations un peu loufoques sur la nature du Trésor si fascinant que tant cherchent à retrouver – on part du principe reconnu que le roi de France, au moment de la rafle de 1307, n’a jamais pu mettre la main sur les espèces sonnantes et trébuchantes qu’il escomptait transférer dans ses comptes à sec.

 

Citation : Que lorsqu’une chose sera commandée par le maître ou par celui à qui le maître en aura donné le pouvoir, qu’elle soit faite sans aucune réserve, comme si c’était Dieu qui l’avait commandée. Comme dit Jésus-Christ par la bouche de David, et c’est la vérité :

Ob auditu auris obedivit mihi.

« Il m’a obéi dès qu’il m’a entendu. »

Règle de l’Ordre du Temple, version française primitive, article 35.

Citation reprise des Psaumes, XVII, 45

 

Assez adroitement, Berry a associé à l’image pourtant déjà fortement chargée de l’Ordre le mystère de l’Abbé Saunière, celui qui officia au début du XXe siècle dans l’église de Rennes-le-Château et y dépensa une somme faramineuse qui ne cesse encore aujourd’hui de susciter passions et convoitises. L’idée d’entremêler les Templiers et Saunière n’est pas neuve (l’Ordre a possédé des commanderies dans la région, voisine d’un Aragon dont le roi a ouvertement donné refuge aux moines fuyant le Royaume de France) : l’hypothèse avancée sur la source des richesses de Saunière est même osée, culottée, elle n’en est pas moins risible que ceux qui évoquent les extraterrestres.

 

Citation : Mais les soldats du Christ combattent en pleine sécurité les combats de leur Seigneur, car ils n’ont point à craindre d’offenser Dieu en tuant un ennemi et ils ne courent aucun danger, s’ils sont tués eux-mêmes, puisque c’est pour Jésus-Christ qu’ils donnent ou reçoivent le coup de la mort, et que, non seulement ils n’offensent point Dieu, mais encore, ils s’acquièrent une grande gloire : en effet, s’ils tuent, c’est pour le Seigneur, et s’ils sont tués, le Seigneur est pour eux ; mais si la mort de l’ennemi le venge et lui est agréable, il lui est bien plus agréable encore de se donner à son soldat pour le consoler. Ainsi le chevalier du Christ donne la mort en pleine sécurité et la reçoit dans une sécurité plus grande encore. Ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée ; il est le ministre de Dieu, et il l’a reçue pour exécuter ses vengeances, en punissant ceux qui font de mauvaises actions et en récompensant ceux qui en font de bonnes. Lors donc qu’il tue un malfaiteur, il n’est point homicide mais malicide, si je puis m’exprimer ainsi ; il exécute à la lettre les vengeances du Christ sur ceux qui font le mal, et s’acquiert le titre de défenseur des chrétiens. Vient-il à succomber lui-même, on ne peut dire qu’il a péri, au contraire, il s’est sauvé.

Bernard de Clairvaux, Eloge de la Nouvelle Chevalerie, ch. III, 4

 

Voilà donc nos héros, dont un Cotton Malone plutôt séduisant (très réussi dans ce mélange habile d’enquêteur doué et d’intellectuel chevronné doté d’une mémoire éidétique), sur la piste d’un véritable trésor qu’on trouvera un peu  surfait, mais dont l’attrait est réel. Complots, énigmes des origines, généalogies secrètes : tout y passe, et on a presque envie de ralentir pour profiter encore de ce contexte si riche et évocateur.

 

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