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Quand je regarde l'écran, l'écran me regarde.

[critique] the Assassin de Hou Hsiao-Hsien

[critique] the Assassin de Hou Hsiao-Hsien

Après avoir divisé la critique à Cannes en 2015 (partagée entre admiration totale et consternation), The Assassin a à nouveau partagé le public lors de sa sortie en salles au premier trimestre 2016. Le Top Films le place d’ailleurs à une honorable 61e place avec une moyenne (3,35/5) qui transcrit mal l’écart entre ceux qui ont détesté et ceux qui le considèrent comme un chef-d’œuvre (les notes vont allègrement de 1,5 à 5/5). Programmé par Ad Vitam pour une sortie vidéo anticipée (le 23 août), il nous a offert l’occasion de vérifier par nous-mêmes.

De prime abord, pour qui n’a pas pris le soin (et le temps, car elle est assez longue et se veut d’avantage une analyse) d’en passer par la préface de Jacques Mandelbaum, entrer sans préparation dans l’univers de Hou Hsiao-Hsien n’est pas évident. Quand bien même on serait amateur de wu xia-pian virevoltants ou de chanbara percutants, on se retrouve ici dans un cinéma qui emprunte sa thématique et quelques rares séquences aux premiers, mais en sublimant la mise en forme au détriment des confrontations musclées. On a beaucoup utilisé le terme « contemplatif » pour qualifier the Assassin, et c’est loin d’être galvaudé. Le metteur en scène privilégie en effet les longs plans-séquence englobants, soignant le cadre et les décors et refusant presque systématiquement de sacrifier leur pouvoir esthétique au rythme : il préfère laisser tranquillement se terminer chaque séquence au lieu de placer des inserts et choisit des fondus au noir pour conserver un tempo empli de sérénité. Seules quelques scènes furtives – et, du coup, brutales – impliquant des duels ou des combats de groupe viennent rompre la monotonie assumée de cette tragédie silencieuse, dont l’essentiel tient dans l’image que viennent à peine perturber les rares dialogues du film. A l’image de la tueuse, tête baissée, regard implacable, qui ne desserre les dents que pour lâcher une phrase lourde de sens : belle comme une aube glacée sur les cimes, Shu Qi interprète Yinnian, une femme dont l’éducation a été confiée à une nonne chargée de préparer de futurs exécuteurs des basses œuvres au nom du gouvernement central, dans un empire qui craint de plus en plus la sécession de ses provinces extérieures. Or, Yinnian était auparavant promise à Tian Ji’an, qui est entretemps devenu gouverneur de Weibo et commence à inquiéter par ses velléités rebelles la Cour impériale. Lorsque la tueuse est chargée d’éliminer cette menace, elle se retrouve confrontée à un choix draconien : continuer à servir l’empereur en assassinant un notable gêneur, ou rester fidèle à un amour impossible – puisque son ancien fiancé, déjà marié, est également follement amoureux d’une de ses concubines.

Les matins brumeux, les forêts spectrales, les clairières ensoleillées, les crépuscules voilés sont autant de cadres soigneusement choisis pour les scènes qui se déroulent telles un parchemin antique, réduisant à leur plus simple expression les stratégies politiques des protagonistes (on comprend que le jeune gouverneur ne veut pas s’en laisser compter et préfère sanctionner un de ses conseillers qui prône la prudence envers le pouvoir central) et tamisant les émotions qui peinent à se dégager de ses postures hiératiques à outrance et cette pudeur généralisée : comme intimidés par une nature glorifiée (le tournage en extérieurs magnifie des paysages absolument sublimes), les personnages taisent leurs sentiments, cachent leurs passions et ne communiquent leur amour que par des biais symboliques, usant d’artifices et d’intermédiaires fumeux.

Ainsi, pris séparément, certaines séquences font partie des plus belles choses montrées à l’écran ces dernières années : la (très longue) scène de la chambre de Tian Ji’an, filmée à travers des rideaux translucides éclairés par les lueurs tremblotantes des torchères – et qui justifie à elle seule l’utilisation d’un format presque carré pour l’image – rend hommage tant au talent du cinéaste qu’à celui de son équipe technique et de ses interprètes, communiquant d’un geste, ou un regard entendu. Cependant le rythme a aussi tendance à nous perdre dans un fil narratif plus que ténu, mal soutenu par une intrigue délétère : the Assassin fonctionne davantage comme un album photo, obligeant le spectateur à combler malgré lui les nombreuses ellipses intermédiaires, à moins qu’il ait choisi dès l’entame de se laisser bercer, illuminer et hypnotiser par ces lumières dorées, cette ambiance ouatée et cette musique extrêmement discrète se réduisant le plus souvent à un martèlement étouffé à la semblance d’un lourd battement de cœur.

Beau à en pleurer, the Assassin est également déconcertant par sa délicatesse poussée à l’extrême, une certaine stylisation qui dénature le propos, presque un snobisme : ses personnages, énigmatiques dans leurs attitudes, souffrent, aiment, pleurent et crient en silence et avec une dignité telle qu’on ne peut que les plaindre, mais sans jamais partager leur état d’esprit. Le film s’admire plus qu’il ne se vit, se contemple plus qu’il ne se sent ; seul cette héroïne absolument fascinante parvient à traverser quelque peu l’écran, sorte de Juliette ninja en laquelle compassion, honneur et amour luttent en vain, farouchement séduisante dans son inaccessibilité.

A voir donc, après votre séance de yoga.

 

Titre original

Nie Yin Niang

Mise en scène 

Hou Hsiao-Hsien

Date de sortie au cinéma

9 mars 2016 avec Ad Vitam

Date de sortie en DVD

23 août 2016 avec Ad Vitam

Scénario 

Chu T’ien-wen, Hou Hsiao-Hsien & Cheng Ah

Distribution 

Shu Qi, Chang Chen & Yun Zhou

Photographie

Mark Lee Ping Bin

Musique

Giong Lim

Support & durée

DVD Ad Vitam (2016) zone 2 en 1.37 :1/105 min

 

Synopsis : Chine, IX siècle. Nie Yinniang revient dans sa famille après de longues années d’exil.  Son éducation a été confiée à une nonne qui l’a initiée dans le plus grand secret aux arts martiaux. Véritable justicière, sa mission est d'éliminer les tyrans. A son retour, sa mère lui remet un morceau de jade, symbole du maintien de la paix entre la cour impériale et la province de Weibo, mais aussi de son mariage avorté avec son cousin Tian Ji’an. Fragilisé par les rebellions, l'Empereur  a tenté de reprendre le contrôle en s'organisant en régions militaires, mais les gouverneurs essayent désormais de les soustraire à son autorité. Devenu gouverneur de la province de Weibo, Tian Ji'an décide de le défier ouvertement. Alors que Nie Yinniang a pour mission de tuer son cousin, elle lui révèle son identité en lui abandonnant le morceau jade. Elle va devoir choisir : sacrifier l'homme qu’elle aime ou rompre pour toujours avec  "l'ordre des Assassins".

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